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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Mais force est de constater que ce congé paternité, dont nous abandonnerons, à nos éminents auteurs universitaires, le soin de dresser les contours juridiques, s'intègre dans un "modèle familial idéal", si l'on s'attarde quelque peu sur cet arrêt du 11 mars 2010, à travers lequel la deuxième chambre civile de la Cour de cassation retient que le bénéfice du congé de paternité est ouvert au père de l'enfant uniquement, à raison de l'existence d'un lien de filiation juridique, de sorte que le refus du bénéfice de ce congé à la compagne de la mère n'est constitutif ni d'une discrimination selon le sexe ou l'orientation sexuelle, ni d'une atteinte au droit à une vie familiale.
Alors bien sûr, les juges du Quai de l'Horloge, comme ceux de la cour d'appel de Rennes et ceux du Tass de Nantes, avant eux, arguent, à juste titre, de l'absence de "lien de filiation juridique" pour exclure les "mères bis" du bénéfice du congé paternité. Et, il n'appartient pas au juge, et encore moins au juge social, de forcer la loi, en reconnaissant la possibilité pour la femme qui désire, accompagne la grossesse, et protège l'enfant à sa naissance, un congé complémentaire. Ce serait implicitement reconnaître un lien juridique quelconque entre la mère homosexuelle non génitrice et l'enfant.
"L'accueil enthousiaste réservé à cette mesure montre que cette reconnaissance concrète du rôle du père est en harmonie avec l'évolution des mentalités. Nous trouvons en tout cas dans ces chiffres un début de récompense à notre volonté de faire en sorte que des éléments matériels ne constituent plus un obstacle à l'arrivée d'un bébé par ailleurs tellement désiré" confiait Marie-Françoise Clergeau, rapporteure de la commission des affaires culturelles pour la famille, lors du vote de la mesure en 2001. Alors, effectivement, si le congé paternité doit être envisagé comme un facteur de promotion de la natalité, on comprend que les couples homosexuels et leurs relations affectives avec leurs enfants sont la dernière roue du carrosse familial idéal.
Mais au-delà du lien juridique, au-delà des politiques natalistes, le congé paternité n'est-il pas surtout une avancée des moeurs plus qu'une avancée sociale ? Enfin quoi ! S'il s'agit de prendre onze jours de congé pour s'occuper de son enfant à sa naissance et récupérer des nuits hachées par la tétée ou les biberons, il n'y a pas de quoi en faire tout un plat. Elle serait belle la révolution parentale ! Le congé paternité ne serait-il pas, plus volontiers, deux siècles après l'Emile de Rousseau, la reconnaissance de l'affection naturelle que porte un père à son enfant, et le besoin que ce père a de vivre en communion avec celui-ci, si fragile, au moins durant les premiers jours de son existence, avant d'être à nouveau happé par ses obligations professionnelles. Et, je dis "père", par commodité de langage... Je devrais dire "papa", du latin pappus qui signifie "aïeul", ce qui chez les romains n'a très souvent que peu de lien avec la réalité génétique ou juridique, mais traduit un rôle et une affection paternel. "Les beaux sentiments ne sont-ils pas les poésies de la volonté ?" me susurre à l'oreille Balzac, dans son père Goriot. Alors soit, soyons réservé, et gardons le vocable de "père", entendu comme le mâle reconnaissant juridiquement l'enfant d'une femme -"Vénérez la maternité, le père n'est jamais qu'un hasard", à lire Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra-, et non comme la personne qui a désiré et inspiré la vie de ce même enfant, la figure du père, en soit !
Mais attention, "plus d'Etats ont péri parce qu'on a violé les moeurs que parce qu'on a violé les lois" nous met en garde Montesquieu. Aphorisme sibyllin s'il en est, mais qui cristallise, pourtant bien, la croisée des chemins à laquelle nous nous trouvons. S'agit-il des "moeurs" entendues comme les habitudes sociales ou individuelles ? Auquel cas les moeurs de la société évoluent vers l'égalité juridique entre les couples quelle que soit leur orientation sexuelle. Ou s'agit-il des "moeurs" entendues comme les prescriptions morales édictées par la société ? Auquel cas on comprendra que le statu quo soit de rigueur et qu'un père reste un père et ne pourra en aucun cas revêtir les atours de cette "mère bis". Mais, la loi doit-elle être morale ? Vaste question, pour des logorrhées scripturales incessantes...
Enfin, pour revenir à cette décision du 11 mars dernier, n'oublions pas que s'il est un fait que la compagne homosexuelle de la mère n'est pas la génitrice de l'enfant ; s'il est un droit que cette même compagne n'a pas de lien juridique avec l'enfant (sauf à lire une certaine jurisprudence naissante en matière d'adoption [CEDH, 22 janvier 2008, req. n° 43546/02 et TA Besançon, 10 novembre 2009, n° 0900299]) ; il est un droit fondamental au-dessus des lois et au-dessus des moeurs : l'intérêt supérieur de l'enfant. Et, c'est sans doute par le prisme de ce droit, de plus en plus invoqué auprès de nos juridictions, qu'il faudra lire cette décision de la Cour de cassation et plus globalement les conditions d'octroi du congé paternité. Par ailleurs, si toute discrimination selon le sexe ou l'orientation sexuelle et l'atteinte au droit à une vie familiale sont écartées par les juges suprêmes, il n'en convient pas moins que, si la "mère bis" était un homme, elle bénéficierait de ce congé paternité !
Guitry avait, là, déjà les prémices d'une solution : "Les femmes sont faites pour être mariées et les hommes pour être célibataires. De là vient tout le mal". Et s'il s'agissait de conjurer le mal !
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