La lettre juridique n°370 du 5 novembre 2009 : Éditorial

Marx à l'heure des stock-options et le problème de la détermination de la valeur d'échange de la force de travail

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N3529BMN

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Marx à l'heure des stock-options et le problème de la détermination de la valeur d'échange de la force de travail. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212091-marx-a-lheure-des-i-stockoptions-i-et-le-probleme-de-la-determination-de-la-valeur-dechange-de-la-fo
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Ce qui sur le marché fait directement vis-à-vis au capitaliste, ce n'est pas le travail mais le travailleur. Ce que celui-ci vend, c'est lui-même, sa force de travail. Dès qu'il commence à mettre cette force en mouvement, à travailler dès que son travail existe, ce travail a déjà cessé de lui appartenir et ne peut plus désormais être vendu par lui. Le travail est la substance et la mesure inhérente des valeurs mais il n'a lui-même aucune valeur" - Karl Marx.

Est-ce là l'origine du malentendu qui règne en matière d'évaluation salariale, apanage de l'employeur ? En effet, l'indétermination objective de "la valeur d'échange de la force de travail" empêcherait, alors, de dépasser la simple alternative aux termes de laquelle si tout travail mérite salaire, toute insatisfaction patronale dans ce travail mérite le licenciement.

Aussi, qu'il nous soit permis de penser que la théorie marxiste du salaire aura lourdement grevé l'appréhension humaniste du duo travail/salaire. La conception matérialiste des rapports sociaux aura, éventuellement, entravé leur relativité et leur temporalité ; l'universalisation des théories n'est pas forcement la bienvenue lorsqu'il en va de la description de la diversité des relations qui unissent les hommes... même au sein d'un rapport salarial.

Preuve en est : l'employeur ne peut pas prononcer, à l'encontre des salariés fautifs, de sanctions pécuniaires. Ainsi, l'employeur ne peut pas attribuer une sanction qui a pour objet la diminution de la rémunération. Le problème évident avec ce genre de principe aux sentiments les plus nobles, visant à protéger la partie au contrat de travail présumée la plus faible, c'est qu'a priori la seule contrainte matérielle et réelle pesant sur le salarié, et mise à la disposition de l'employeur, demeure dans le versement du salaire -si l'on voudra bien écarter la problématique de la détention du capital et, ce faisant de l'outil de travail, qui mondialisation et dilution actionnariale obligent, sont assez loin de préoccuper réellement le seul salarié, mais intéressent aussi le dirigeant d'entreprise-.

Ainsi, l'article L. 1331-2 du Code du travail prohibe toute amende et autre sanction pécuniaire, toute disposition contraire étant réputée non écrite ; et sur cette base, la retenue sur salaire, la réduction d'un élément variable de salaire, la suppression d'une prime en invoquant un fait fautif du salarié sont des sanctions pécuniaires prohibées. Par conséquent, l'employeur insatisfait, même temporairement, du travail accompli par son salarié sera prié de s'en démettre ; autrement dit, la seule sanction est le licenciement -si tant est qu'il soit causé-. Et, au final, une diminution du salaire, même causée, est illicite ; en revanche, un licenciement fondé sur la même cause -une faute dans l'exécution du travail- pourra être pleinement validé par le juge.

Et, ce dernier de prohiber le retrait d'un véhicule de fonction qui est un avantage en nature, comme sanction pécuniaire ; ou encore la privation d'une prime de fin d'année, même en cas de faute grave. Cette même faute grave, c'est-à-dire, traditionnellement, celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, qui, aux termes d'un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 21 octobre 2009, ne justifie pas non plus la privation de la faculté de lever d'options d'achat. Dès lors, cette privation ne pouvait être prévue par le plan de stock-options.

Exit Caton l'ancien et son "je préfère bien faire et ne pas être remercié que de mal faire et ne pas être sanctionné" ! Le Code du travail censure le Censeur et prône l'inverse : l'employeur a seulement le droit de gratifier ou... de licencier... point de demie mesure, si ce n'est la stagflation salariale qui, dans de nombreuses circonstances, peut paraître, elle-même, satisfaisante au salarié.

Mais, on ne pourra pas reprocher au juge d'être incohérent en matière de stock-options ; à partir du moment où la loi et la jurisprudence tendent à les intégrer dans le droit commun de la rémunération, tout empêchement, toute contrainte en la matière s'appréhendent comme une sanction prohibée.

L'ennui, en l'espèce, c'est que l'économie générale ou plutôt le fondement économique des stock-options n'est pas le fruit d'une relation salariale classique. D'un point de vue marxiste, on pourrait dire que l'attribution de stock-options n'est pas la valorisation de la commercialisation de la force de travail auprès de l'employeur. D'abord, parce que les attributaires sont, dans leur grande majorité, les dirigeants sociaux des entreprises... donc les employeurs eux-mêmes. Ensuite, parce que le fondement des stock-options relève de la théorie de l'agence qui donne la primauté à la création de valeur pour l'actionnaire. Il s'agit grossièrement de faire en sorte que la part variable de la rémunération des dirigeants les pousse à oeuvrer prioritairement en faveur de la performance à long terme de l'entreprise, avec comme postulat le fait que le cours de bourse traduit effectivement cette performance. Au final, il s'agit de maximiser le profit de l'actionnaire et de permettre au dirigeant d'en tirer, en échange, des bénéfices.

Aussi, quid de la valorisation du louage de la force de travail du dirigeant ou du cadre subordonné à l'actionnaire, lorsqu'il perçoit, d'ores et déjà, un salaire ? L'attribution de stock-options ne relève nullement de la valorisation du travail, mais de la valorisation de la compréhension par le dirigeant des intérêts premiers des actionnaires de l'entreprise qu'il dirige. Or, quid de l'état de cette intégration managériale, lorsque l'attributaire d'options d'achat commet une faute grave, entravant irrémédiablement sa relation contractuelle avec l'employeur ? Quelle est la légitimité de tirer profit d'une performance de l'entreprise à laquelle l'attributaire n'a, finalement, pas, partiellement ou entièrement, contribué ?

Le salaire est "le nom particulier donné au prix de la force de travail appelé d'ordinaire prix du travail, il n'est que le nom donné au prix de cette marchandise particulière" écrivait Marx ! Pas si particulière que cela : en droit commun, une fois d'accord sur l'objet et le prix du contrat de travail, la force obligatoire contraindra les deux parties, sauf que là, l'employeur ne peut pas réclamer la rescision pour cause de lésion... Et, Marx de nous laisser devant une simple forme (le salaire comme valorisation monétaire de la force de travail) sans nous fournir ni les moyens d'en justifier le contenu (les formes de réalisation), ni les moyens de comprendre le rapport que ces masses monétaires entretiennent avec la valeur (cf. La théorie marxiste du salaire par J.P. Daubigney et G. Meyer).

De toute manière, "il n'y a qu'un moyen légitime qui est le travail de se procurer de l'argent, et comme une foule de gens ne veulent pas l'employer, il en résulte une foule de malentendus" ironisait Alexandre Dumas, fils.

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