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N4269BPS
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef
le 07 Octobre 2010
Jean-Charles Savouré : L'AFJE est favorable depuis toujours à l'idée de grande profession du droit. Si la Commission "Darrois" n'a pas retenu cette idée pour des motifs d'opportunité et de pragmatisme, au demeurant compréhensibles, elle préconise, en revanche, le rapprochement des avocats et des juristes d'entreprise.
Dans le principe, nous sommes favorables à ce rapprochement et ce, essentiellement pour deux raisons.
Tout d'abord, parce qu'une telle réforme permettrait, en France, la fluidité interprofessionnelle des métiers juridiques, cette fluidité étant génératrice de talents et de compétences et constituant donc une source d'enrichissement à la fois pour les entreprises et les juristes eux-mêmes. C'est d'ailleurs ainsi que sont organisées les professions du droit dans de nombreux pays étrangers, comme l'Angleterre, l'Espagne, ou les Etats-Unis pour n'en citer que certains.
Ensuite, parce que ce rapprochement permettrait la reconnaissance de la confidentialité des avis rendus par les juristes d'entreprise, objectif pour lequel l'AFJE se bat depuis toujours et que le rapport "Darrois" lui-même qualifie lui-même d'enjeu essentiel. La création du statut d'avocat en entreprise aboutirait à ce résultat via l'assujettissement des juristes internes aux règles déontologiques des avocats, notamment à l'obligation au secret professionnel.
Lexbase : En l'espèce, le rapport de la Commission "Darrois" se prononce en faveur de l'obligation au secret professionnel et non du legal privilege. Approuvez-vous ce choix ou continuez-vous à militer en faveur de l'instauration du legal privilege ?
Jean-Charles Savouré : Il est vrai que la notion de secret professionnel n'est pas strictement identique au concept anglo-saxon de legal privilege, pour lequel nous militons depuis de nombreuses années. Il faut rappeler que ce concept vise, non pas à régir la personne du juriste en l'assujettissant à un statut particulier, mais à protéger l'avis juridique qui circule au sein de l'entreprise. Il s'agit par ce concept de reconnaître à l'entreprise le droit de s'opposer à la saisie, à la production et à l'utilisation de ces avis. C'est donc un droit pour l'entreprise, à la différence du concept de secret professionnel qui se définit, lui, comme une obligation qui pèse sur le juriste, celle de ne pas divulguer l'information qu'il tient de son "client". Il existe donc une différence d'approche entre les deux notions, même si, au final, le résultat pour l'entreprise ne diffère pas fondamentalement.
Le secret professionnel est une notion qui a le mérite d'exister dans l'environnement juridique français. Retenir cette notion plutôt que celle de legal privilege procède d'un souci louable de simplification dans une matière déjà suffisamment complexe par ailleurs. Mais il est impératif que les juristes d'entreprises et les avocats définissent ensemble les règles pratiques de son fonctionnement dans le contexte interne de l'entreprise. Il ne faudrait pas en effet que l'introduction du secret professionnel soit un frein à la liberté ou à la fluidité de circulation de l'information juridique au sein de l'entreprise. Pour bien appréhender les conditions de mise en oeuvre du secret professionnel, il conviendra de s'appuyer sur l'expérience qu'en ont les avocats et de confronter celle-ci à la connaissance qu'ont les juristes d'entreprise du fonctionnement des entreprises afin de déterminer ce qui est transposable tel quel et, le cas échéant, ce qui ne l'est pas ou nécessite des ajustements.
Lexbase : Quels sont vos arguments pour convaincre les réfractaires à la création du statut d'avocat en entreprise ?
Jean-Charles Savouré : L'un des éléments avancés par les avocats réfractaires à la création du statut d'avocat en entreprise est celui de l'absence d'indépendance qui serait inhérente à la nature-même du contrat de travail qui les lie à leur employeur. Or, ce problème est le plus souvent mal posé. En effet, comme beaucoup d'organisations de juristes, y compris les avocats eux-mêmes, le soulignent ou le reconnaissent, l'indépendance dont il s'agit ici est l'indépendance intellectuelle, qui n'est pas liée à un statut, mais à un état d'esprit. On n'est pas indépendant par le simple effet d'un statut. On l'est parce que l'on décide de l'être et c'est le cas de ceux qui pratiquent la matière juridique de façon professionnelle.
La question de la plaidoirie est un autre élément sensible aux yeux de certains avocats, qui craignent que les avocats en entreprise viennent leur faire concurrence dans leur activité de prétoire. Or, la plaidoirie est, et restera, une spécialité requérant une compétence autonome, distincte de l'activité de conseil qui constitue le coeur du métier de juriste d'entreprise. La preuve en est que la possibilité qui existe aujourd'hui pour les juristes d'entreprise de représenter en justice leur entreprise devant certaines juridictions (conseil de prud'hommes, tribunaux de commerce...) est très peu utilisée en pratique. Les juristes d'entreprise ne demandent d'ailleurs pas que cette possibilité soit étendue à d'autres juridictions.
Enfin, certaines organisations d'avocats redoutent que la création du statut d'avocat en entreprise génère une concurrence accrue, via un afflux massif vers l'activité libérale. Or, les statistiques sur la passerelle démontrent que le grand nombre de juristes d'entreprise répondant aux conditions pour devenir avocat utilise très peu, en pratique, cette possibilité. Si beaucoup d'avocats deviennent juristes d'entreprise, l'inverse n'est pas vrai.
Lexbase : S'agissant justement du maintien ou non de la passerelle existante, cette question divise encore fortement, au sein même de chacune des professions. Quelles sont vos exigences sur cette question ?
Jean-Charles Savouré : Rappelons que le système actuel de la passerelle permet à tout juriste d'entreprise non titulaire du CAPA de devenir avocat s'il justifie de la détention d'un master 1 au minimum et de huit années d'expérience professionnelle.
A l'AFJE, nous considérons que les conditions actuelles de la passerelle ne correspondent plus aux réalités d'aujourd'hui. En particulier, la condition d'expérience de huit années ne se justifie plus et doit donc être réduite. Il n'en reste pas moins que, dans son principe, la passerelle est une bonne chose. Sa suppression dans le cadre de la création du statut d'avocat en entreprise ne pourrait se concevoir que s'il existait une formation adaptée à ce métier, c'est-à-dire à la pratique du droit de l'entreprise. Or, le CAPA, dans sa forme actuelle, ne répond pas à cette exigence. Dès lors, il serait absurde de faire de la détention de ce diplôme, quelle que soit sa qualité par ailleurs, un préalable au métier d'avocat en entreprise et de priver les entreprises de la possibilité de recruter des juristes, soit détenteurs d'une formation plus adaptée, soit ayant acquis une forte expérience pratique au sein d'une ou de plusieurs entreprises. En attendant la réforme de la formation aux métiers du droit, au demeurant préconisée par le rapport "Darrois", il est donc impératif de conserver le système de la passerelle.
Lexbase : Quelles sont vos recommandations s'agissant de la formation commune aux métiers du droit ?
Jean-Charles Savouré : Outre une formation adaptée aux différentes facettes du droit de l'entreprise et des affaires, il nous semble essentiel que soit dispensée une solide formation à la déontologie, condition nécessaire à l'exercice du droit en tant qu'avocat en entreprise. Il conviendra également de mettre l'accent sur des disciplines périphériques que sont par exemple la finance, la comptabilité, le management ou encore les techniques de communication.
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