La lettre juridique n°401 du 1 juillet 2010 : Droit des étrangers

[Doctrine] Chronique de droit des étrangers - Juin 2010

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de droit des étrangers, rédigée par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, un arrêt du Conseil d'Etat du 25 mai 2010 qui précise la condition de recevabilité de la demande de naturalisation tenant à ce que le demandeur ait fixé, en France, de manière stable, le centre de ses intérêts. Si l'autorité administrative peut, notamment, prendre en compte la durée de la présence du demandeur, sa situation familiale, le caractère suffisant et durable des ressources lui permettant de demeurer en France, l'absence d'activité professionnelle ne saurait, à elle seule, constituer un élément dirimant pour faire obstacle à la condition de résidence. Dans le deuxième arrêt, rendu le 11 juin 2010, le Conseil d'Etat juge qu'une stipulation internationale interdisant l'expulsion d'un apatride que pour des raisons de sécurité nationale et d'ordre public ne fait pas obstacle à l'extradition de cet apatride, y compris vers l'Etat dont la personne réclamée a eu la nationalité. Le dernier arrêt de la chronique a été rendu le 27 mai 2010 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui ne juge pas excessif, au regard de sa jurisprudence traditionnelle, la notification des droits attachés à la garde à vue dix minutes après l'interpellation d'un étranger faisant l'objet le même jour d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et d'une décision de maintien en rétention administrative.
  • L'exercice d'une activité professionnelle en France n'est pas nécessaire pour l'obtention d'une naturalisation (CE 2° et 7° s-s-r., 25 mai 2010, n° 327922, Ministre de l'Immigration c/ Mme Methari, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6923EXP)

La naturalisation est le mode le plus connu et le plus usuel d'acquisition de la nationalité française par un étranger. Il est régi par les articles 21-15 (N° Lexbase : L2368ABC) à 21-25-1 du Code civil et repose sur trois éléments, auxquels les textes peuvent d'ailleurs déroger dans des cas particuliers : une demande de l'intéressé, un "stage" correspondant à une résidence habituelle en France d'une durée de cinq ans précédant le dépôt de la demande, et un décret concrétisant la décision de l'autorité publique. Si la naturalisation a longtemps été entendue comme un champ d'étude du droit privé, le contentieux de la naturalisation relève du Conseil d'Etat et non des tribunaux civils, même si ce contentieux est demeuré presque inexistant durant de nombreuses années avant d'exploser depuis le milieu des années 1980.

Il a trait presque exclusivement aux conditions de recevabilité de la demande de naturalisation. La naturalisation constituant encore une "faveur accordée par l'Etat français à un étranger", le Conseil d'Etat ne peut que limiter son contrôle à celui de l'erreur manifeste d'appréciation. En revanche, les conditions légalement posées à la recevabilité de la demande de naturalisation lui permettent de faire peser sur l'administration un contrôle normal (1). Parmi ces conditions, la condition de domiciliation en France suscite un contentieux abondant. En effet, si l'article 21-16 du Code civil (N° Lexbase : L2369ABD) dispose que l'étranger doit avoir sa résidence en France au moment du décret de naturalisation, le législateur est resté muet quant au contenu de cette notion de "résidence". La présente décision permet d'éclairer davantage ce que recouvre ce concept de "résidence instantanée".

Il ressort des faits de l'espèce que la requérante résidait en France depuis 2002 avec ses enfants de nationalité française, qu'elle était mariée à un ressortissant français depuis 1979 et qu'elle disposait, conjointement à son mari, d'un compte bancaire ouvert auprès d'une banque en France sur lesquels étaient, notamment, versés les revenus tirés de la location d'un appartement situé en France. Il résulte des dispositions de l'article 21-16 du Code civil que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière stable le centre de ses intérêts (2). Pour apprécier si cette condition est remplie, l'administration peut, notamment, se fonder, sous le contrôle du juge, sur la durée de la présence du demandeur sur le territoire français, sur sa situation familiale et sur le caractère suffisant et durable des ressources qui lui permettent de demeurer en France. Le ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire a déduit de ses éléments que la demanderesse devait être regardée comme n'ayant pas fixé en France de manière stable le centre de ses intérêts, alors même que son mari exerce une activité professionnelle de médecin en Algérie.

Pour le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de Nantes (3), le ministre a fait une appréciation erronée de la condition posée par l'article 21-16 du Code civil. Le Conseil d'Etat confirme la décision de la cour administrative d'appel en considérant que, "si la circonstance que la personne qui demande à être naturalisée ne peut justifier d'une occupation professionnelle en France peut constituer un élément conduisant à estimer qu'elle n'y a pas fixé sa résidence de manière stable, en particulier lorsqu'il n'est fait état d'aucune ressource provenant de France, l'absence d'activité professionnelle en France ne fait pas obstacle, par principe, à ce que la condition de résidence puisse être jugée remplie, compte tenu des autres circonstances de l'espèce".

En agissant de la sorte, le Conseil applique une jurisprudence constante. La stabilité de la résidence se déduit sinon de la durée de la présence en France, du moins de la continuité du séjour dans ce pays, et surtout de la force des attaches qui relient l'intéressé à la communauté française. La décision d'espèce rappelle, à cet égard, qu'il s'agit plus d'une situation de fait que d'une situation de droit. L'ensemble des données recueillies, essentiellement les attaches matérielles et les liens familiaux, fait l'objet d'une appréciation globale : tel élément permettant de refuser la naturalisation (par exemple, comme en l'espèce, l'origine étrangère des ressources) peut être tempéré par d'autres faits qui rattachent l'individu à la France.

En principe, l'origine étrangère des ressources amène à la conclusion que l'intéressé n'a pas de résidence en France au sens de l'article 21-16 du Code civil. Tel est le cas d'un demandeur qui, s'il se rendait régulièrement à Paris où habite sa famille, résidait en Arabie Saoudite où il exerçait l'activité personnelle d'où provenaient ses revenus (4). Tel est le cas, également, de ressortissants allemands tirant l'ensemble de leurs ressources de l'activité du mari entrepreneur à Francfort alors même que le couple s'était fait construire une maison en Alsace où étaient scolarisés leurs enfants (5). Toutefois, comme le confirme le Conseil d'Etat dans la décision d'espèce, à elle seule, cette donnée n'est pas de nature à faire obstacle à la recevabilité de la demande de naturalisation : tout est affaire d'espèce et d'appréciation par l'administration et le juge administratif de l'intensité, à défaut d'exclusivité, des liens rattachant l'intéressé à la France. Il n'est, ainsi, pas tenu compte des seuls revenus professionnels du demandeur, mais aussi de ses revenus fonciers dès lors, du moins, qu'ils proviennent d'immeubles situés en France, ceci étant le cas en l'espèce (6).

Corrélativement aux liens familiaux et, notamment, à propos de conjoints restés ou repartis à l'étranger, le fait que le conjoint du demandeur réside à l'étranger ne révèle pas nécessairement que le demandeur n'a pas fixé en France le centre de ses intérêts. Si le conjoint n'a pas la nationalité française, le Conseil d'Etat a, par exemple, affirmé qu'était irrecevable la demande d'une femme qui vivait pourtant en France depuis 1978 et qui y exerçait une activité salariée lui procurant des revenus suffisants pour son propre entretien, dès lors que son mari, de nationalité syrienne, exerçait son activité professionnelle et résidait hors de France (7). En sens inverse, dans une affaire où la demanderesse vivait en France depuis une vingtaine d'années avec ses trois enfants mineurs qui avaient acquis la nationalité française, et qui exerçait une activité salariée qui lui procurait des revenus suffisants à son propre entretien et à celui de ses enfants, le Conseil d'Etat estima que, compte tenu des éléments exposés, la condition de résidence stable en France était bien remplie alors qu'il fut opposé, en première instance, que son mari exerçait son activité professionnelle au Maroc (8).

Ce faisant, l'arrêt du Conseil d'Etat s'inscrit dans la ligne de la jurisprudence ayant précisé les contours de la notion de résidence même s'il est possible de déceler une légère évolution de la tendance jurisprudentielle dans un sens plus humaniste, laquelle se traduit en termes chiffrés puisque, si la courbe de l'immigration en France tend à décroître, le nombre de naturalisations n'a jamais été aussi élevé.

  • Les stipulations internationales ne font pas obstacle à l'extradition d'un apatride (CE 2° et 7° s-s-r., 11 juin 2010, n° 334454, M. Sokolowski, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9266EYT)

L'extradition est le mécanisme le plus attentatoire aux droits et libertés des étrangers résidant sur le territoire français et, dans la mesure où elle concerne les relations diplomatiques de la France avec un ou plusieurs Etats étrangers, son exercice a longtemps échappé au contrôle du juge en application de la théorie de l'acte de Gouvernement abandonné depuis les décisions d'assemblée "Decerf" (9) et "Kirkwood" (10). Il constitue un acte détachable des relations diplomatiques et peut donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Le régime juridique de l'extradition est marqué par une grande hétérogénéité des textes. L'on y trouve, en effet, des textes de droit interne qui ne sont pas codifiés au sein du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais essentiellement dans le Code de procédure pénale, et une grande variété de conventions internationales ce qui rend la tache du juge, dans son contrôle, souvent délicate, ce dont témoigne l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 11 juin 2010.

Il ressort des faits de l'espèce que M. d'origine polonaise, s'est vu reconnaître la qualité d'apatride par l'OFPRA. Il a, néanmoins, fait l'objet d'un décret d'extradition le 19 octobre 2009 accordant son extradition aux autorités polonaises eu égard à une décision définitive d'une juridiction polonaise par laquelle il a été condamné pour des faits de récidive de vol avec violence et de récidive de destruction de biens. L'article L. 511-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1298HPR) ne protège pas l'apatride contre une mesure de départ forcé. Pour autant, privé de passeport, il peut, en pratique, difficilement être éloigné du territoire français.

Nonobstant cet état de fait, les autorités françaises ont accordé l'extradition aux autorités polonaises par décret du 19 octobre 2009, décret contesté eu égard, notamment, au fait que la Convention internationale de New York du 28 septembre 1954, relative au statut des apatrides (N° Lexbase : L6795BH7), dans son article 31, interdit toute extradition pour des motifs autres que pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public. Dans la mesure où la décision d'extradition revêt la forme d'un décret du Premier ministre sur proposition du Garde des Sceaux, c'est au Conseil d'Etat qu'il revient d'en connaître comme juge de premier et dernier ressort. Il lui appartient donc d'examiner la légalité interne de l'avis attaqué par voie d'exception et l'intégralité de la légalité du décret d'extradition. Pour le Conseil, les stipulations de la Convention de New-York ne font pas obstacle à l'extradition de l'apatride. Au titre de la légalité interne, il écarte en l'espèce beaucoup de moyens qu'il juge inopérants, puis examine le respect des règles de droit interne, notamment les principes généraux du droit qu'il a dégagé tout en vérifiant la bonne application des conventions internationales.

Il ressort de la décision qu'une fois la décision d'admission au statut d'apatride prise, l'intéressé est placé, comme les réfugiés statutaires et les bénéficiaires de la protection subsidiaire, sous la protection juridique et administrative de l'OFPRA. Pour autant, il existe une certaine ambiguïté quant à l'assimilation entre droit des apatrides et droit des étrangers en droit interne. S'il existe une définition de l'apatride au niveau international (11), cette définition n'est complétée par aucune disposition interne, le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile étant, de manière générale, silencieux sur le chapitre du droit de l'apatridie (12). La Convention du 28 septembre 1954 précitée énumère un certain nombre de droits qui reposent sur un principe d'égalité et de non-discrimination avec les étrangers (13). Toutefois, l'article L. 511-4 ne protège pas l'apatride contre une mesure de départ forcé comme il pourrait le faire à propos d'une personne de nationalité française (14), ou d'un réfugié politique, ou d'un demandeur d'asile vers le pays dont il a la nationalité.

Ce dernier principe a été dégagé par le Conseil d'Etat sous forme de principe général du droit de l'extradition en déduction de l'application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés (N° Lexbase : L6810BHP), qui stipule à son article 33 qu'"aucun des Etats contractants n'expulsera de quelque manière que ce soit un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou liberté seraient menacés". Cet article, qui n'interdit pas par lui-même l'extradition d'un réfugié, est interprété par le Conseil d'Etat pour se prononcer contre l'extradition d'un réfugié vers son pays d'origine (15). Pour autant, et comme en témoigne la décision d'espèce, si un apatride est privé de passeport et peut, en ce sens difficilement être éloigné du territoire français, il n'y a pas d'obstacle a priori à son extradition même si la Convention de New-York affirme, dans son article 31, que "les Etats contractants n'expulseront un apatride se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public". En agissant de la sorte, le Conseil d'Etat fait clairement prévaloir le droit interne sur la stipulation internationale.

Il agit ici de manière contraire à sa jurisprudence traditionnelle dans la mesure où, face à la grande multiplicité des sources, la position du Conseil d'Etat, depuis l'arrêt "Nicolo" (16), est de faire prévaloir la norme internationale, quelle que soit sa date, sur la norme législative. Mais si le juge administratif estime, en règle générale, que les conventions d'extradition visent bien à conférer des droits aux particuliers dont ils peuvent se prévaloir devant lui afin de contester un décret autorisant leur extradition, cette conclusion n'a rien d'automatique. En droit français, les traités internationaux sont généralement présumés produire des effets directs en droit interne, c'est-à-dire créer des droits subjectifs dont les particuliers peuvent se prévaloir devant le juge national. Toutefois, cette présomption est loin d'être irréfragable. C'est le cas lorsque la convention a précisément pour objet de conférer des droits subjectifs aux particuliers, et non exclusivement de régler les relations entre Etats parties (17).

Mais s'il peut paraître logique que les particuliers ne puissent se prévaloir de dispositions dont ils ne sont pas les destinataires, il n'en demeure pas moins que le critère amenant à l'interprétation est éminemment subjectif. L'analyse du juge administratif se fait disposition par disposition, et sa jurisprudence se prête donc mal à une quelconque systématisation ce qui est confirmé par l'arrêt d'espèce et de manière générale par le contentieux de l'extradition. En l'espèce, la stipulation internationale n'est pas retenue par le juge, ce qui peut être vu, sur un plan concret, comme preuve de bon sens, l'impunité étant refusée au criminel se terrant sur le territoire français. Toutefois, ceci peut aussi être discuté sur un plan plus strictement juridique dans la mesure où, si les conventions d'extradition ne créent pas de droits au profit des particuliers, les stipulations conventionnelles imposent bien des devoirs à l'égard de l'Etat. Il peut, à cet égard, paraître fondé d'autoriser les requérants à invoquer ces obligations à l'encontre d'actes réglementaires de la puissance publique qui les méconnaîtraient (18).

  • La notification des droits intervenue dix minutes après l'interpellation ne peut être considérée comme tardive (Cass. civ. 1, 27 mai 2010, n° 09-12.397, F-P+B+I N° Lexbase : A6279EXT)

Susceptibles de concerner toute personne résidant en France, les contrôles d'identité présentent un enjeu spécifique pour les étrangers. En effet, un contrôle peut constituer le prélude à des poursuites pour une infraction à la législation sur l'entrée et le séjour en France et justifier une mesure administrative de départ forcé. Depuis 1995 (19), les conditions d'interpellation d'un étranger peuvent être discutées à l'occasion du recours devant le juge judiciaire contre la demande de prolongation du maintien en rétention administrative. Sur ce fondement, l'étranger placé en rétention à la suite d'un contrôle d'identité irrégulier doit être libéré (20).

Il ressort des faits de l'espèce qu'un étranger de nationalité tunisienne, interpellé le 25 février 2009 à 7h35 lors d'un contrôle d'identité sur réquisitions du Procureur de la république, a reçu notification de ses droits lors de son arrivée au commissariat de police à 7h50. Il a fait l'objet, le même jour, d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et d'une décision de maintien en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire. Ecartant le moyen de défense pris de la tardiveté de la notification des droits attachés à la garde à vue, un juge des libertés et de la détention a, par ordonnance du 27 février 2009, ordonné la prolongation de cette mesure. Pour dire la procédure irrégulière, l'ordonnance infirmative retient qu'aucun obstacle n'interdisant de notifier ses droits à l'intéressé lors de son interpellation, la notification intervenue plus de dix minutes après était tardive. En statuant ainsi, alors que n'est pas tardive, la notification, avec ses droits, du placement en garde à vue, intervenue dès l'arrivée de la personne dans les services de police, dix minutes après son interpellation, le premier président a donc méconnu le sens et la portée des règles en la matière.

L'article 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0961DYA) exige que l'officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, l'agent de police judiciaire, informe immédiatement de ses droits toute personne placée en garde à vue. La Cour de cassation souligne que la notification des droits a été réalisée dix minutes précisément après son interpellation, soit en réalité dès son arrivée au commissariat de police, et dès son placement effectif en garde à vue. Or, un tel délai ne saurait être considéré comme excessif au regard de la jurisprudence habituelle de la Cour de cassation (21) dans la mesure où la notification des droits peut parfaitement être faite au moment de l'arrivée dans les locaux de police (22).

Sur le fond, la garde à vue reste définie comme un simple acte de police judiciaire, modalité pratique de contrainte visant à maximiser l'effectivité de l'enquête en permettant, notamment, l'audition des gardés à vue en situation de rétention. Mesure de police judiciaire, elle ne se confond pas, sauf texte exprès, avec les diverses autres rétentions existantes au titre de la police administrative. L'opportunité de cette mesure concrète est librement appréciée par l'officier de police judiciaire sous le contrôle fonctionnel du magistrat en charge de l'enquête au titre de son pouvoir de direction de la police judiciaire. Il n'existe pas de droit à la garde à vue et à son régime protecteur, notamment le droit à l'avocat. La garde à vue n'est jamais la conséquence nécessaire d'une situation infractionnelle. Seul l'usage préalable de la contrainte (interpellation) oblige l'officier de police judiciaire à y recourir sans alternative possible. En revanche, les modalités de déroulement de la garde à vue et l'effectivité des droits dont bénéficie le gardé à vue font l'objet d'un contrôle juridictionnel étroit sanctionné par des nullités d'ordre public.

Le principe d'immédiateté de la notification des droits reconnus aux gardés à vue, a été posé de longue date (23) par la jurisprudence. De manière générale, tout retard injustifié dans la notification des droits attachés au placement en garde à vue "porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne", (24) et les actes accomplis en méconnaissance de cette formalité substantielle encourent l'annulation alors même que la personne gardée à vue a pu se prévaloir de ses droits. Cependant, des circonstances insurmontables, dûment caractérisées et appréciées souverainement par les juges du fond, peuvent justifier un retard de cette notification. L'état d'ivresse du gardé à vue peut justifier que la notification de ses droits soit différée jusqu'au moment où il sera en état de les comprendre (25). Il en est de même pour les délais de transfert au service même si la jurisprudence est variable dans ce domaine (26). C'est le cas, également, de l'état de santé d'une personne placée en garde à vue qui, saisie d'un froid intense, doit recevoir des soins hospitaliers d'urgence (27) ou de l'attitude de la personne placée en garde à vue qui prétend ne pas comprendre le français (28). Enfin, constituent aussi des circonstances insurmontables les circonstances extérieures comme le siège du commissariat par des manifestants (29).

En revanche, ne constitue par une circonstance insurmontable l'indisponibilité d'un interprète, "alors que l'arrêt attaqué n'invoque aucune circonstance pouvant justifier qu'il ait été impossible, en l'espèce, de faire appel à un autre interprète que celui qui avait été requis" (30). Néanmoins, en sens inverse, l'impossibilité d'obtenir le concours d'un interprète dûment actée en procédure avec le détail des recherches effectuées constitue une circonstance insurmontable justifiant un retard dans la notification des droits (31). De même, ne constituent pas des circonstances exceptionnelles justifiant un retard à l'accomplissement d'une formalité, ou l'omission de celle-ci, des "problèmes informatiques" allégués, sans autre précision (32). Il convient, enfin, de rappeler aussi que la notification des droits peut être faite oralement lors du placement en garde à vue avant une notification écrite ultérieure, la preuve de cette notification pouvant résulter du procès-verbal récapitulatif des opérations de garde à vue signé par l'intéressé (33).

Dans l'arrêt commenté, aucune circonstance insurmontable n'a pu être établie, ce qui n'empêche pas le juge de faire preuve, pour une fois, de souplesse dans l'exigence d'immédiateté de la notification des droits, souplesse qui peut surprendre si l'on tient compte du contrôle juridictionnel assez étroit souvent pratiqué en matière de garde à vue, mais qui peut aussi se comprendre devant les contraintes existantes en la matière.

Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz


(1) CE, 16 octobre 1985, n° 62331, Akoman (N° Lexbase : A3753AMX), Rec. CE, Tables, p. 629 ; CE, 5 février 1986, n° 62278, Ministre des Affaires sociales c/ Khoualdia (N° Lexbase : A7610AMS), Rec. CE, Tables, p. 529.
(2) CE, 27 juillet 1985, n° 54865, Ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale c/ Benedetti (N° Lexbase : A3255AMI), Rec. CE, p. 229 ; CE, 28 février 1986, n° 57464, Ministre des Affaires sociales c/ Bouhanna (N° Lexbase : A4666AMR), Rec. CE, p. 53 ; CE, 28 février 1986, n° 50277, Akhras (N° Lexbase : A4662AMM), Rec. CE, p. 54, AJDA, 1986, p. 320, concl. R. Denoix de Saint Marc.
(3) CAA Nantes, 2ème ch., 24 mars 2009, n° 08NT02998 (N° Lexbase : A2723EIP).
(4) CE, 25 avril 1990, n° 89678, Ministre des Affaires sociales et de l'Emploi c/ Consorts Takla (N° Lexbase : A7036AQN), D., 1991, p. 44, note P. Guiho.
(5) CE, 26 avril 1988, n° 79261, Ministre des Affaires sociales et de l'Emploi c/ Consorts Scello (N° Lexbase : A8788AP8).
(6) CE, 13 juin 1986, n° 61108, Mlle Perahia ([LXB=A6299AMA ]). Si les revenus proviennent de biens immobiliers situés à l'étranger, le juge ne tient pas compte des revenus fonciers : CE, 27 avril 1987, n° 63736, Consorts El Helou (N° Lexbase : A4839APW), ou CE, 15 mars 1996, n° 156517, M. Ahmadi (N° Lexbase : A8278ANW), où la demande a été déclarée irrecevable car l'intéressé n'exerçait pas d'activité professionnelle en France et tirait ses revenus de capitaux placés à l'étranger.
(7) CE, 3 novembre 1995, n° 137773, Mme Rahhal (N° Lexbase : A6544ANP) ; voir, dans le même sens, CE, 21 février 1996, n° 147632, Mme Boudiabi (N° Lexbase : A7680ANR), où le juge approuve le retrait pour irrecevabilité de la demande du décret de naturalisation d'une femme, mariée au moment de la signature du décret avec un ressortissant marocain résidant au Maroc et y ayant ses activités professionnelles.
(8) CE, 10 décembre 1993, n° 118611, Brache (N° Lexbase : A1514ANE), Rec. CE, p. 359.
(9) CE, Ass., 28 mai 1937, Decerf, Rec. CE, p. 534.
(10) CE, Ass., 30 mai 1952, Kirkwood, Rec. CE, p. 291.
(11) L'article 1er de la Convention internationale de New York du 28 septembre 1954 définit l'apatride comme la "personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation".
(12) En pratique, l'apatridie résulte de contradictions entre des lois de nationalité, d'une succession d'Etats et de transferts de souveraineté, de la défaillance ou de l'inexistence des lois sur l'enregistrement des naissances, des applications strictes du droit du sol et du droit du sang, ou d'une déchéance de nationalité.
(13) L'article 7 de la Convention internationale de New York précitée énonce que "tout Etat contractant accordera aux apatrides le régime qu'il accorde aux étrangers en général".
(14) Ce principe est posé par les articles 696-2 (N° Lexbase : L0802DYD) et 696-4 (N° Lexbase : L0804DYG) du Code de procédure pénale.
(15) CE, Ass., 1er avril 1988, n° 85234, Bereciartua-Echarri (N° Lexbase : A7654AP8), Rec. CE, p. 135.
(16) CE, Ass., 20 octobre 1989, n° 108243, Nicolo (N° Lexbase : A1712AQH), Rec. CE, p. 190.
(17) Le Conseil d'Etat a, par exemple, pu estimer que les dispositions d'une convention d'extradition franco-colombienne invoqué par le requérant de nationalité colombienne n'étaient pas d'effet direct au motif que des dispositions "qui prévoient la consultation du Gouvernement colombien lorsque l'extradition d'un de ses ressortissants est demandée par un pays tiers, créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir des droits aux intéressés" : CE, Ass., 8 mars 1985, n° 64106, Alvaro Garcia-Henriquez (N° Lexbase : A3150AMM), Rec. CE, p. 70, RDP, 1985, p. 1130, concl. B. Genevois.
(18) Cf. conclusions de R. Abraham sur CE, 23 avril 1997, n° 163043, GISTI (N° Lexbase : A9436ADT), RFDA, 1197, p. 589.
(19) Cass. civ. 2, 28 juin 1995, n° 94-50.002, Préfet de la Haute-Garonne c/ M. Bechta (N° Lexbase : A6192ABX), Bull. civ. II, n° 221, JCP éd. G, 1995, II, n° 22504, concl. J. Sainte-Rose, AJDA, 1996, p. 72, note Legrand.
(20) Voir, par exemple, Cass. civ. 2, 4 février 1998, n° 97-50.027, Procureur général près la cour d'appel de Toulouse c/ Mlle Aggad (N° Lexbase : A2977ACA), Bull. civ. II, n° 43.
(21) Voir, en ce sens, Cass., crim., 27 juin 2000, n° 00-80.411, Mme Z et autres (N° Lexbase : A2247CKG), où "la notification à l'intéressé des dispositions relatives à la durée de cette mesure, intervenue quinze minutes après son interpellation, ne saurait être considérée comme tardive".
(22) Voir, en ce sens, Cass., crim., 23 mars 1999, n° 98-86.263, X (N° Lexbase : A6796CIK).
(23) Cass. crim., 30 avril 1996, n° 95-82.217, Procureur général près la cour d'appel de Versailles (N° Lexbase : A9154ABN), Bull. crim. n° 182.
(24) Cass. crim., 31 mai 2007, n° 07-80.928, Nizard Julien (N° Lexbase : A9586DWX), Dr. pén. 2007, comm. 163, note A. Maron, AJ Pénal, 2007, p. 385, note G. Roussel.
(25) Cass. crim., 19 décembre 2007, n° 07-81.740, Procureur général près la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, F-D (N° Lexbase : A5096E37), ou Cass. crim., 12 octobre 1999, n° 99-85.089 (N° Lexbase : A1744CSE).
(26) Il a pu être jugé ainsi pour un retard d'une heure (Cass. crim., 21 septembre 1999, n° 99-84.706, N'Siss Abdelouab N° Lexbase : A7551CYC) ou pour un délai de trois heures, justifié par la nécessité de procéder à des actes urgents d'enquête et le délai de transfert (Cass., crim., 4 novembre 1999, n° 99-85.512, Baldacci Jean-Dominique N° Lexbase : A7069CMR). En revanche, un retard de 55 minutes dans la notification des droits expliqué par les nécessités du transfert du service d'interpellation au service compétent (brigade des mineurs) est injustifié, le transfert ne constituant pas une circonstance insurmontable (Cass. crim., 19 décembre 2007, n° 07-83.340, F-D N° Lexbase : A5097E38).
(27) Cass. crim., 17 mai 2000, n° 00-81.149, Andreani Ange (N° Lexbase : A7966CUL).
(28) Cass. civ. 1, 19 juin 2007, n° 06-19.153, Mme Aman-Marie Diloua, F-D (N° Lexbase : A8854DWT).
(29) Cass. crim., 10 avril 1996, n° 94-81.728, Hadjadj Salim (N° Lexbase : A7770CQT).
(30) Cass. crim., 3 décembre 1996, n° 96-84.503, El Saidi Ibrahim (N° Lexbase : A1300AC7), Bull. crim., n° 443.
(31) Cass. civ. 1, 19 juin 2007, n° 06-19.153, Mme Aman-Marie Diloua, F-D (N° Lexbase : A8854DWT), Dr. pén., 2007, comm. 122, note A. Maron.
(32) A propos de l'enregistrement audiovisuel de l'audition d'un mineur, voir Cass. crim., 3 avril 2007, n° 06-87.264, Procureur général près la cour d'appel de Montpellier, F-P+F+I (N° Lexbase : A0382DW3).
(33) Cass., crim., 9 février 2000, n° 99-80.381, Coulibaly Toumani (N° Lexbase : A1286CQP), Bull. crim., n° 64.

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