La lettre juridique n°401 du 1 juillet 2010 : Avocats/Gestion de cabinet

[Jurisprudence] Exercice de la profession d'avocat et convention de mise à disposition et de services

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 23 février 2010, n° 09/06754 (N° Lexbase : A9088ESE)

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N4376BPR

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

le 07 Octobre 2010

Il ne fait aucun doute que, lorsque les parties sont liées par contrat, la rupture du contrat à l'initiative de l'une d'elles, à moins d'avoir été prévue par celui-ci ou de sanctionner un manquement imputable à son cocontractant, constitue une faute de nature à engager la responsabilité contractuelle de son auteur. On pourra, cependant, relever, en premier lieu, que l'existence d'un contrat n'est pas une condition nécessaire à la mise en oeuvre d'une action en responsabilité : ainsi, si la liberté contractuelle implique que la simple rupture des pourparlers ne puisse pas, en tant que telle, constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de son auteur, c'est bien entendu à la condition que cette rupture ne soit pas abusive. La jurisprudence décide, en effet, que la rupture abusive des pourparlers constitue une faute, au sens de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), donc une faute délictuelle ou quasi-délictuelle, ouvrant droit au versement de dommages et intérêts à la victime. Et, l'on sait, à cet égard, que la faute sera caractérisée non seulement par la déception de la confiance légitime que pouvait avoir la victime dans la poursuite et le succès des négociations, mais encore par la déloyauté de l'auteur de la rupture qui aura laissé se poursuivre des négociations qu'il n'avait en réalité pas l'intention de mener jusqu'à leurs termes, ou bien encore qui aura rompu tardivement, avec brutalité ou avec malice, les pourparlers. En revanche, il est, aujourd'hui, parfaitement acquis que la faute commise dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne peut être la cause d'un préjudice consistant dans la perte de chance de réaliser des gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat (1). On ajoutera, en second lieu, qu'entre ces deux hypothèses, une troisième ne doit pas être écartée : sans qu'aucun contrat ne lie les parties, qui ne sont cependant pas non plus en pourparlers, la rupture d'une relation commerciale établie peut être la source d'une action en responsabilité. Tel est ce que prévoit l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L8644IBR), introduit dans le Code de commerce par la loi "Galland" du 1er juillet 1996 (loi n° 96-588, 1er juillet 1996, sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales N° Lexbase : L0102BIM), sous le chapitre des "Pratiques restrictives de concurrence", et modifié par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), aux termes duquel tout commerçant ou industriel engage sa responsabilité lorsqu'il rompt "brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" (2). A s'en tenir, ici, au premier des cas de figure qui viennent d'être évoqués, la difficulté consiste souvent dans une question de preuve, puisqu'il importe d'établir l'existence d'un manquement contractuel, généralement au coeur de la discussion entre les parties. Et, il n'est pas rare que, complexifiant encore la situation, celui qui invoque la faute contractuelle de son partenaire tente, plus radicalement, d'obtenir la nullité du contrat. Un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 23 février 2010, à propos d'une contestation portant sur la validité et l'exécution d'une convention de mise à disposition et de services conclue entre un avocat et les avocats associés d'un cabinet groupé, en constitue un exemple.

En l'espèce, une convention de mise à disposition et de services avait effectivement été conclue entre un avocat et des avocats associés. Ceux-ci ayant donné congé à l'avocat, un litige était né entre eux sur les comptes à faire. Les parties avaient saisi le Bâtonnier, puis avaient signé un procès-verbal d'arbitrage. L'avocat avait fait valoir qu'il avait payé un loyer triple de celui qu'acquittaient les locataires principaux, loyer s'ajoutant aux charges communes, qu'il n'avait pas bénéficié des services communs et en avait pâti dans l'exercice de ses activités d'avocat, notamment lors de multiples dysfonctionnements téléphoniques. L'arbitre ayant débouté l'avocat de sa demande en nullité de la convention de mise à disposition et de services, celui-ci avait interjeté appel de la sentence, développant, devant elle, plusieurs arguments, en ordre, il faut bien le dire, quelque peu dispersé. Synthétiquement, il soutenait avoir été victime d'un dol de la part de ses cocontractants qui auraient précipité les discussions ayant précédé la signature de la convention litigieuse, mettait en avant son état de santé précaire ayant au demeurant conduit à une incapacité totale de travail de près de deux ans, invoquait le fait que le cabinet avec lequel il avait contracté avait, dans le même temps que celui de la signature de la convention litigieuse, consenti à un tiers une convention du même type mais pour un coût moindre, et contestait le montant du loyer qui lui était réclamé, estimant que le loyer devait être calculé au prorata de la surface qu'il occupait. De cet enchevêtrement de griefs, il ressortait, en définitive, que l'avocat cherchait à obtenir la nullité de la convention de mise à disposition et de services et, subsidiairement, une indemnité correspondant à la réduction des loyers. Ses prétentions sont, cependant, rejetées par la cour d'appel qui confirme la sentence en toutes ses dispositions. Elle décide, en effet, d'abord, que "c'est par une exacte analyse en fait et en droit que la cour fait sienne que la sentence, ayant retenu à juste titre que les relations avec les tiers sont sans intérêt si elles n'ont pas de conséquences sur la situation personnelle de [l'avocat] et qu'en particulier peu importe par exemple que les titulaires du bail principal n'aient pas obtenu dès l'origine les autorisations administratives, en particulier quant à la déclaration à l'ordre, qui s'est faite tardivement et de manière chaotique mais a été régularisée [...], ce qui n'a pas d'incidence pour le sous-locataire qui ne peut l'invoquer à son profit". La cour poursuit, ensuite, en relevant que l'avocat, "qui a reconnu avoir pris connaissance du bail principal, ne peut soutenir, au seul motif de difficultés de santé qui ne sauraient être imputables à ses cocontractants, que son consentement aurait été vicié", pour en déduire que "la convention [...] qu'il a librement signée ne saurait être annulée". Enfin, après avoir validé le congé régulièrement remis à l'avocat, la cour juge que "le loyer ne peut être ramené à un simple calcul arithmétique lié au montant du loyer principal divisé par le nombre de m² occupé par chacun des locataires, puisqu'il s'agit aussi de services allant au-delà de la mise à disposition d'espaces de travail ou de rangement et justifiant à eux seuls une partie de la somme facturée, autonome vis-à-vis de la surface occupée".

La décision paraît cohérente.

En effet, aucun des arguments avancés par l'appelant au soutient de sa demande en nullité de la convention pour dol ne paraissait convaincant. La preuve du dol, au sens de l'article 1116 du Code civil (N° Lexbase : L1204AB9), n'était, en effet, aucunement rapportée, et c'est avec raison que la cour relève que les relations qu'a pu avoir le bailleur avec les tiers sont sans intérêt dans le débat, dès lors qu'il n'est pas établi qu'elles aient eu une incidence sur la situation du demandeur. En outre, c'est à juste titre que la cour décide que le seul argument tiré des difficultés de santé du demandeur n'est pas suffisant à établir la preuve de l'existence d'un vice du consentement : encore aurait-il fallu démontrer que son état de santé l'avait affaibli et que, peut-être, cette situation l'avait rendu moins vigilant et l'avait conduit à se méprendre sur la teneur et/ou la portée de son engagement (3), ce qui n'était manifestement pas le cas.

Les arguments invoqués pour obtenir une réduction du loyer, donc une remise en cause des termes de la convention, ne pouvaient, pas plus que les précédents, emporter l'adhésion. En dehors même du fait, relevé par les magistrats, que, en raison de son expérience professionnelle "très suffisante pour en apprécier, avant de contracter, la justesse", il est acquis que le loyer ne peut être ramené à un simple calcul arithmétique lié au montant du loyer principal divisé par le nombre de m² occupé par chacun des locataires puisqu'il intègre aussi l'accès à un certain nombre de services distincts de la seule occupation des locaux. Au demeurant, l'idée n'est pas propre à l'exercice de la profession d'avocat. Ainsi, par exemple, a-t-il été jugé que le locataire d'un centre commercial qui profite comme tous les autres du service de sécurité doit contribuer au paiement des charges de sécurité, dès lors que les charges de sécurité sont destinées à assurer le financement du personnel de sécurité dont le nombre et la qualification sont imposés et contrôlés par l'administration, faute de quoi celle-ci peut à tout moment révoquer son autorisation d'ouverture au public de l'immeuble entier (4).


(1) Cass. com., 26 novembre 2003, n° 00-10.243, FS-P (N° Lexbase : A2938DA3), JCP éd. E, 2004, p. 738, note Ph. Stoffel-Munck ; Cass. civ. 3, 28 juin 2006, n° 04-20.040, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1027DQ4) ; Cass. civ. 3, 7 janvier 2009, n° 07-20.783, FS-P+B (N° Lexbase : A1578ECG).
(2) M. Pédamon, Nouvelles règles relatives à la rupture des relations commerciales établies, Lamy Droit économique, décembre 2001, n° 146 ; J. Beauchard, Stabilisation des relations commerciales : la rupture des relations commerciales continues, LPA, 5 janvier 1998, p. 14 ; H. Dewolf, Réflexion sur le déréférencement abusif, LPA, 7 février 1997, p. 13 ; P. Vergucht, La rupture brutale d'une relation commerciale établie, RJ com., 1997, p. 129 ; E. Bouretz, L'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : revue de trois ans de jurisprudence, JCP éd. E, 2001, 649 ; J.-M. Meffre, La rupture des relations commerciales établies : 36-5° vs 1135 Harmattan ou Sirocco ?, Cah. dr. entr., 2000, n° 4, p. 10 ; V. Sélinsky, Nouvelles régulations : comment améliorer l'effectivité du droit de la concurrence ?, Rev. Lamy droit aff., 2000, n° 27.
(3) Ou encore que sa faiblesse avait été exploitée, caractérisant une violence au sens de l'article 1112 du Code civil (N° Lexbase : L1200AB3). Mais la jurisprudence se montre exigeante : v. not. CA Toulouse, 15 juin 2004, n° 03/03603.
(4) CA Paris, 13 juin 2001, n° 1999/24425.

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