La lettre juridique n°401 du 1 juillet 2010 : Procédures fiscales

[Jurisprudence] Qui est le destinataire des actes de procédure en cas de vérification de comptabilité après la clôture des opérations de liquidation ?

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 2 juin 2010, n° 322267, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2053EYP)

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par un arrêt en date du 2 juin 2010, vient de juger que l'administration fiscale ne peut pas mener une procédure de contrôle avec le liquidateur amiable après la clôture des opérations de liquidation ; il lui appartient alors de demander au juge compétent la désignation d'un mandataire ad hoc. Les faits, dans cette affaire, sont les suivants : la SARL V. dont M. T. était l'un des trois associés exerçait l'activité de travaux de maçonnerie. Par une décision de l'assemblée générale extraordinaire des associés du 9 mai 1998, cette société a été dissoute à compter du 31 mai suivant et M. T. désigné comme liquidateur amiable. La clôture des opérations de liquidation a été enregistrée par le tribunal de commerce et des sociétés le 31 juillet 1998, antérieurement au début de la vérification de comptabilité réalisée en 1999. Pour confirmer le jugement du tribunal administratif de Marseille qui avait refusé de décharger la société des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et d'imposition forfaitaire annuelle consécutives à cette vérification, la cour administrative d'appel de Marseille avait jugé que l'administration fiscale était en droit de mener la procédure de contrôle avec le liquidateur amiable de la société, au motif que n'avait pas été désigné de mandataire ad hoc. La Haute juridiction censure cette solution.

L'arrêt du Conseil d'Etat vient préciser quels sont, "ratione temporis", les pouvoirs de représentation du liquidateur amiable d'une société commerciale et ceux de l'administration postérieurement à la clôture des opérations de liquidation inscrivant son arrêt dans le prolongement de l'arrêt du 31 juillet 2009 (CE 9° et 10° s-s-r., 31 juillet 2009 n° 290971 N° Lexbase : A1228EKP), lequel détermine le destinataire de l'avis de vérification postérieurement à la dissolution d'une société de personne. Le Conseil d'Etat, qui précise cette fois la limite dans le temps de la représentation du liquidateur amiable d'une société commerciale régulièrement désigné, semble, en l'espèce, revenir sur un arrêt rendu le 28 novembre 2008 (CE 4° et 5° s-s-r., 28 novembre 2008, n° 298152 N° Lexbase : A4474EBC), en s'inspirant des solutions retenues par la Cour de cassation.

1. Les pouvoirs de représentation de la société dissoute du liquidateur amiable subsistent jusqu'à la clôture des opérations de liquidation

La solution retenue par le Conseil d'Etat sous son arrêt du 2 juin 2010 semble revenir sur son arrêt du 28 novembre 2008 tout en s'inspirant des arrêts de la Cour de cassation.

1.1. Les pouvoirs de représentation du liquidateur amiable après dissolution de la société commerciale

Dans l'espèce soumise au Conseil d'Etat, la SARL V., dont M. T. était l'un des trois associés, a été dissoute à compter du 31 mai 1998 et M. T. désigné comme liquidateur amiable. La clôture des opérations de liquidation a été, de son côté, enregistrée par le tribunal de commerce et des sociétés le 23 juillet 1998 et la société radiée du registre du commerce à la date du 31 juillet suivant, soit antérieurement au début de la vérification de comptabilité. Le Conseil d'Etat rappelle, dans les motifs de son arrêt, qu'en vertu des dispositions des articles 1844-7 (N° Lexbase : L3736HBY) et 1844-8 (N° Lexbase : L2028ABQ) du Code civil, la société prend fin par la dissolution anticipée décidée par les associés et que la dissolution de la société entraîne sa liquidation. Ainsi, la dissolution impose et emporte mécaniquement la liquidation en application des dispositions du Code de commerce. Ces opérations de liquidation peuvent porter sur le recouvrement des créances de la société en liquidation judiciaire, la réalisation des éléments d'actifs, le paiement du passif et des frais de liquidation, la détermination du résultat de liquidation et l'établissement du compte définitif de liquidation. La personnalité morale de la société subsiste, alors, pour les différents besoins qui viennent d'être rappelés, jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci. La liquidation est conduite par un liquidateur qui, en application des dispositions de l'article L. 237-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L6398AIS), représente la société en liquidation. Aussi, lorsque l'administration décide d'engager une procédure de vérification elle doit mener les opérations de contrôle avec ce représentant (CE 8° s-s., 6 octobre 2000, n° 208765 N° Lexbase : A9611AHG et CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2006, n° 276854 N° Lexbase : A2401DPM).

Le droit de vérification de la comptabilité requiert, alors, l'envoi d'un avis de vérification prévu à l'article L. 47 du LPF (N° Lexbase : L3907ALB), pour être régulier. La jurisprudence du Conseil d'Etat impose d'adresser un avis de vérification pour chaque activité professionnelle exercée par un même contribuable (CE, 8 juillet 1998, n° 164657 N° Lexbase : A8025AYU). S'agissant d'une société relevant de l'article 8 du CGI (N° Lexbase : L2311IB9) dépourvue de personnalités morale, le Rapporteur public, dans ses conclusions sous l'arrêt du 31 juillet 2009 (CE, 31 juillet 2009, n° 290971, précité) avait précisé que, postérieurement à la dissolution d'une SEP, l'administration fiscale ne trouve plus face à elle que les anciens associés, la procédure de vérification devant, comme dans le cas d'une indivision de l'article 1844-9 du Code civil (N° Lexbase : L2029ABR), être conduite avec l'ensemble des associés et non avec l'ancien gérant d'une société dissoute. La cour administrative d'appel de Nantes, sous un arrêt du 4 mars 2010 (CAA Nantes, 1ère ch., 4 mars 2010, n° 07NT01039 N° Lexbase : A9991EUL), a appliqué la solution retenue par la Haute juridiction sous son arrêt du 31 juillet 2009, à propos d'une SEP ayant opté pour le régime d'imposition des sociétés de capitaux. Toutefois, la solution est, dans tous les cas, peu praticable en présence de nombreux actionnaires.

1.2. La clôture des opérations de liquidation met fin aux fonctions du liquidateur amiable

La cessation des compétences du liquidateur amiable précisée "ratione temporis" par l'arrêt du Conseil d'Etat du 2 juin 2010 semble revenir sur la solution dégagée sous l'arrêt du 28 novembre 2008 (CE, 28 novembre 2008, n° 298152, précité). Ce dernier arrêt de la Haute juridiction administrative précisait, en effet, que la clôture de la liquidation d'une société pour extinction du passif ne fait pas obstacle à la désignation d'un liquidateur amiable aux fins de recouvrement des créances dont pourrait encore disposer ladite société. La solution retenue se justifiait, notamment, par le fait que, après la clôture de la liquidation, des créances sur des tiers ou sur l'Etat peuvent subsister et qu'il n'est pas anormal de souhaiter les recouvrer ; la liquidation était, donc, dans ce cas, regardée comme incomplète et pouvant reprendre.

Le Conseil d'Etat lève l'ambiguïté née de son arrêt du 6 octobre 2000, précité, et rappelle, sous l'arrêt du 2 juin 2010, dans un considérant de principe, qu'une société prend fin par la dissolution anticipée décidée par ses associés et le mandat de son liquidateur amiable s'achève lors de la clôture des opérations de liquidation. La clôture des opérations de liquidation met fin aux fonctions du liquidateur et la publication de l'avis de clôture rend la liquidation opposable aux tiers, notamment, à l'administration fiscale. Aussi, lorsque celle-ci souhaite engager une vérification de comptabilité à ce stade, elle ne peut adresser l'avis de vérification ni aux anciens dirigeants dont les fonctions ont cessé, ni au liquidateur dont la mission a pris fin avec la clôture de la liquidation.

La solution retenue par le Conseil d'Etat rejoint la jurisprudence de la Cour de cassation (notamment, Cass. com., 27 octobre 1999, n° 99-47.720), même si la Cour de cassation a jugé, sous un arrêt du 8 juin 2010 (Cass. com., 8 juin 2010 n° 09-15.550 N° Lexbase : A0156EZS), qu'après la clôture de la liquidation judiciaire pour extinction de passif, une société dont la personnalité morale subsiste pour les besoins de sa liquidation et qui n'était pas dessaisie, peut exercer par l'organe de son liquidateur amiable une action nouvelle tendant à augmenter l'actif à partager. La doctrine a relativisé la portée de cette solution en soulignant que cette solution intervient sous le régime antérieur à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT), avant, donc, que la loi ne vienne maintenir les dirigeants sociaux en fonction au jour du jugement de liquidation judiciaire malgré la dissolution de plein droit qu'opère ce jugement ; la solution retenue par la Cour de cassation peut aussi être regardée comme concernant une simple reprise de la liquidation.

2. La société ne peut plus être représentée postérieurement à la date de la clôture de la liquidation que par un administrateur ad hoc désigné par la juridiction compétente

Le droit d'action de la société est exercé postérieurement à la date de la clôture de la liquidation par un mandataire ad hoc, il appartient à l'administration fiscale d'en demander la désignation.

2.1. Une clarification des compétences des interlocuteurs de l'administration fiscale postérieurement à la clôture de la liquidation

Lorsque la mission du liquidateur est achevée, l'avis de clôture ayant été régulièrement édicté, le liquidateur amiable est dessaisi. Le Conseil d'Etat juge, alors, sous son arrêt du 2 juin 2010, que la procédure de vérification doit être suivie avec un mandataire ad hoc de la société désigné en justice. Cette solution avait déjà été esquissée sous l'arrêt du 3 juillet 2009, le Conseil d'Etat rappelant dans sa motivation qu'il est aussi loisible à l'administration de demander la désignation par la juridiction compétente d'un mandataire ad hoc à l'égard duquel se mènera la procédure de vérification. C'est donc à tort que la cour d'appel de Marseille a considéré que l'administration était en droit de mener le contrôle avec le liquidateur, dès lors qu'aucun administrateur ad hoc n'avait été désigné (CAA Marseille, 3ème ch., 4 septembre 2008, n° 05MA02830 N° Lexbase : A6955EAT).

La solution retenue par le Conseil d'Etat rejoint la jurisprudence de la Cour de cassation. Sous un arrêt du 17 octobre 2002, la Cour de cassation avait jugé qu'un commandement délivré au liquidateur après la clôture de la procédure collective pour insuffisance d'actif, est irrégulier, le liquidateur ne pouvant représenter la personne morale dès lors qu'il a cessé ses fonctions (Cass. civ. 2, 17 octobre 2002, n° 01-13.553, FS-P+B N° Lexbase : A2609A3Z). La liquidation fait obstacle à la désignation d'un mandataire amiable et il est, alors, nécessaire de nommer un mandataire ad hoc pour représenter la société.

Ce faisant, la solution du Conseil d'Etat revient sur la solution du 5 mai 2006 (CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2006, n° 276854 N° Lexbase : A2401DPM), dans laquelle elle avait admis que la procédure de contrôle pendant les opérations de liquidation pouvait être menée avec le gérant dont la qualité de représentant de la société avait été maintenue, en l'absence de liquidateur ou de mandataire ad hoc désigné. La Haute juridiction s'était appuyée sur la théorie de l'apparence pour admettre la validité de la procédure suivie entre l'administration et le gérant assisté de l'administrateur judiciaire, dès lors qu'il résultait d'un jugement du tribunal de commerce qu'à la date de l'engagement de la procédure de contrôle fiscal, le gérant avait encore la qualité de représentant de la société et que l'administrateur judiciaire était investi d'une mission de commissaire à l'exécution du plan de cession des actifs.

Ainsi, si la personnalité morale de la société subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés, la société ne peut plus être représentée après la clôture de la liquidation que par un administrateur ad hoc désigné par une juridiction compétente.

2.2. Une désignation qui pourra être subordonnée à une demande de l'administration fiscale

En l'absence de mandataire déjà nommé, il appartient à l'administration fiscale de demander elle-même en justice sa désignation pour les besoins du contrôle. La solution peut, de prime abord, surprendre au regard des dispositions de l'article 1844-8 du Code civil (N° Lexbase : L2028ABQ) qui prévoient que la nomination par décision de justice est faite subsidiairement, lorsque les associés ne le font pas. Le président du tribunal de commerce peut, alors, être saisi à cette fin à la diligence de tout intéressé et, notamment, par l'administration fiscale. La solution retrouve, cependant, tout son sens s'agissant d'une vérification de comptabilité, l'intérêt des associés à faire l'objet d'une procédure de vérification n'étant pas certain et le civisme fiscal touchant là, sans doute, l'une de ses limites.

Dès lors, lorsque la liquidation de la société a été clôturée et que la mention de cette liquidation a été faite au registre du commerce, l'avis de vérification de comptabilité et l'ensemble des pièces de la procédure de vérification doivent être adressés à l'administrateur ad hoc de la société désigné en justice, le cas échéant à la demande de l'administration.

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