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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"
le 07 Octobre 2010
1.1. Faute médicale
Ne commet pas de manquement fautif dans le suivi postopératoire le médecin qui ne laisse pas un malade sans surveillance postopératoire, dont le suivi a été conforme aux données acquises de la science, le praticien ayant reçu le patient à deux reprises et prévu de le revoir une troisième fois, ce qui n'avait pas été possible en raison de la négligence du patient.
Conditions du suivi postopératoire. Cet arrêt fournit une nouvelle illustration de la méthode d'appréciation de la faute médicale qui mêle des références abstraites ("le suivi conforme aux données acquises de la science") et concrètes (le médecin "a reçu le patient à deux reprises et prévu de le revoir une troisième fois, ce qui n'avait pas été possible en raison de la négligence du patient") dans des contentieux, assez fréquents, mettant en cause la responsabilité de médecins ou d'établissements dans le cadre du suivi postopératoire des patients, tant sur le plan pénal (1) que civil (2).
Prise en compte du comportement du patient. Cet arrêt met également en évidence le double rôle que le comportement du patient est susceptible de jouer en matière de responsabilité médicale.
Ce comportement peut tout d'abord être pris en compte dans le cadre d'une défense exonératoire du médecin ou de l'établissement mis en cause pour provoquer une exonération totale ou partielle (3).
Il peut également, en creux, démontrer que le comportement du médecin, tenu d'une simple obligations de moyens, n'est pas fautif en ce que le patient ne lui a pas permis de réaliser les actes médicaux dans de bonnes conditions. En l'espèce, c'est en raison de la négligence du patient, expressément relevée par la Cour, qui avait occulté l'une des visites postopératoires, que l'absence de faute du médecin a pu également être établie.
A commis une imprudence le médecin qui positionne une patiente sur la table d'opération avec les bras écartés de l'axe du corps, la complication survenue étant certes exceptionnelle mais constituant néanmoins un risque connu de l'intervention qui a pour partie causé le dommage, compte tenu notamment de la durée de l'intervention.
Le positionnement de la patiente pendant l'intervention, dont le lien scientifique avec la complication survenue était établi même si tout n'était pas clairement connu dans le mécanisme de sa survenance, avait été, au moins partiellement, à l'origine du dommage subi par cette dernière et que, dès lors, l'imprudence du chirurgien était en lien de causalité avec le préjudice subi.
Méthode d'appréciation de la faute médicale. Cet arrêt, comme l'autre décision commentée rendue le même jour (n° 09-13.591 ; cf. supra), met en oeuvre la même méthode d'appréciation de la faute médicale. Pour conclure à l'existence d'une faute dans cette affaire, la Cour de cassation a, en effet, analysé in concreto le comportement du médecin et relevé un certain nombre d'indices factuels présents dans le dossier (le positionnement de la patiente sur la table d'opération avec les bras écartés de l'axe du corps, la durée de l'intervention), mais a aussi comparé ce comportement aux données acquises de la science, c'est-à-dire aux bonnes pratiques médicales en la matière.
Le médecin tentait ici d'échapper à sa responsabilité en faisant valoir que le dommage constituait la réalisation d'un risque exceptionnel et qu'il n'y avait donc pas de "faute" à exposer un patient à un tel risque, précisément en raison de la faible probabilité qu'il se réalise.
La Cour de cassation ne l'a pas suivi dans cette voie et considéré que l'élément important n'était pas le caractère "exceptionnel" du risque, mais son caractère "connu". Ce faisant, la Cour de cassation montre sa volonté d'unifier l'analyse de la faute "technique" et de la faute "éthique" que constitue le manquement au devoir d'information, dont on rappellera qu'elle doit porter sur les risques "fréquents ou graves normalement prévisibles" (4). Reste qu'il n'est pas possible de détacher totalement l'analyse de la faute technique de l'importance de la probabilité de réalisation du risque, car c'est bien au terme d'un bilan risque/profit que doit s'évaluer le comportement du médecin.
Dans cette affaire, le risque semblait renforcé par la durée de l'opération, ce qui aurait dû conduire le médecin à modifier son modus operandi. Par ailleurs, il s'agissait ici d'une opération à visée esthétique. Or, on sait que la jurisprudence se montre plus sévère avec les praticiens dans la mesure où les actes médicaux réalisés ne sont pas rendus nécessaires par l'état de santé du patient.
L'imputabilité du dommage à la faute médicale. L'arrêt présente un autre intérêt dans sa manière d'appréhender la question de l'imputabilité du dommage à la faute médicale. Pour échapper à la condamnation, le médecin se fondait en effet sur le fait que "tout n'était pas clairement connu dans le mécanisme de [...] survenance" du dommage. Cette relative incertitude ne constitue toutefois pas un obstacle à l'établissement du lien de causalité dès lors que la probabilité de ce lien est suffisamment forte. On retrouve ici la volonté de la Cour de cassation de ne pas débouter les victimes de leurs actions sous prétexte d'incertitudes, plus ou moins étendues, sur le déclenchement ou la survenance de certaines affections, comme l'ont démontré les décisions rendus depuis mai 2008 en matière de preuve de l'imputabilité de maladies auto-immunes à la vaccination anti hépatite B (5).
1.2. Défaut d'information
Manque à son devoir d'information le médecin qui n'informe pas une patiente de la nécessité de réaliser une échographie destinée à diagnostiquer une éventuelle trisomie 21 au travers d'une mesure de la clarté nucale du foetus, alors que cet examen apparaissait comme le moyen le plus fiable et le plus adapté, ce médecin n'étant pas dispensé de son obligation d'information par l'intention, d'ailleurs non suivie d'effet, exprimée par la patiente de consulter un autre médecin, la privant ainsi de la possibilité d'obtenir un des éléments du diagnostic de la trisomie 21 du foetus, lequel lui aurait permis d'exercer le choix éclairé d'interrompre ou non sa grossesse.
Analyse du comportement du patient et faute du médecin. Cet arrêt présente des similitudes évidentes avec une autre décision commentée rendue par la même première chambre civile de la Cour de cassation quelques jours plus tard, le 3 juin 2010 (n° 09-13.591 ; cf. supra), même s'il conduit à une solution qui pourrait sembler contradictoire. Dans l'arrêt rendu le 3 juin, le patient avait manqué son troisième rendez-vous de suivi et cette circonstance avait été relevée par la Cour pour écarter toute faute commise par le médecin. Dans l'affaire qui conduit à cet autre arrêt en date du 6 mai, la patiente, qui cherchait à déterminer si l'enfant qu'elle attendait risquait de souffrir d'une trisomie 21, avait indiqué au médecin qui la suivait qu'elle ferait réaliser la suite du suivi de sa grossesse par un autre praticien, ce qu'elle n'avait, en réalité, pas fait, et avait mis au monde un enfant qui souffrait de cette anomalie. Or, dans cette affaire, la Cour conclut au manquement du praticien à son devoir d'information tout en constant que la patiente avait elle-même manqué son troisième rendez-vous, alors que dans la première affaire le comportement du patient avec conduit à mettre hors de cause le praticien.
Conciliation des deux décisions. La divergence entre les deux solutions n'est toutefois qu'apparente. Dans l'arrêt rendu le 6 mai qui nous intéresse ici plus particulièrement, le médecin prétendait qu'il avait été privé de la possibilité d'informer la patiente sur la nécessité de procéder à la mesure de la clarté nucale par le fait que cette dernière lui avait indiqué vouloir poursuivre le suivi de sa grossesse avec un confrère, pensant sans doute que c'était à ce dernier de prescrire l'échographie. Or, dans cette hypothèse, le médecin aurait dû, compte tenu de la gravité des risques, informer d'ores et déjà la patiente de la nécessité de procéder à l'examen, sans se défausser sur un confrère.
Ce faisant, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme une jurisprudence bien établie, qui vaut d'ailleurs bien au-delà de la responsabilité médicale (6), et qui veut qu'un professionnel astreint à une obligation d'information ne peut jamais s'exonérer de sa propre responsabilité sous prétexte qu'un autre professionnel également concerné serait lui-même astreint à sa propre obligation d'information. Cette solution est, bien entendu, indispensable pour éviter que des professionnels ne se rejettent mutuellement la responsabilité d'un échec commun et se sentent ainsi dispensés de leurs propres obligations.
Faute et naissance de l'enfant handicapé. Une fois établi le caractère fautif du manquement à l'obligation d'information, restait à faire application des solutions qui prévalent habituellement en présence d'enfants nés avec un handicap non décelé pendant la grossesse, avant l'entrée en vigueur de l'article 1er de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 N° Lexbase : L1457AXA), c'est-à-dire de réparer le préjudice consécutif à la perte d'une possibilité (7) "d'exercer le choix éclairé d'interrompre ou non sa grossesse" (8).
Il résulte des articles 16 (N° Lexbase : L1687AB4), 16-3, alinéa 2 (N° Lexbase : L6862GTC), et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil que toute personne a le droit d'être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n'est pas à même de consentir.
Le non-respect du devoir d'information qui en découle, cause à celui auquel l'information était légalement due, un préjudice, qu'en vertu du dernier des textes susvisés, le juge ne peut laisser sans réparation.
Les juges ne peuvent écarter toute responsabilité d'un médecin envers son malade alors qu'ils ont constaté un manquement au devoir d'information, sous prétexte qu'il n'existait pas d'alternative à l'ablation envisagée de la prostate et qu'il est peu probable que le malade, dûment averti des risques de troubles érectiles qu'il encourait du fait de l'intervention, aurait renoncé à celle-ci et aurait continué à porter une sonde qui lui faisait courir des risques d'infection graves.
Revirement de jurisprudence. C'est à un véritable revirement de jurisprudence que nous convie la première chambre civile de la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 3 juin 2010, par ailleurs déjà commenté pour un autre de ses aspects (cf. supra).
Solution antérieure. Jusqu'à présent, et depuis l'arrêt "Hédreul II" rendu en 2000, la première chambre civile de la Cour de cassation écartait toute responsabilité du médecin ayant pourtant commis un manquement fautif à son obligation d'information, singulièrement lorsqu'elle porte sur l'existence d'alternatives thérapeutiques moins risquées (9), lorsqu'il apparaissait que ce manquement n'avait pas déterminé le patient dans sa décision, "en prenant en considération l'état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins et de ces risques, les effets qu'aurait pu avoir une telle information quant à son consentement ou à son refus" (10).
Cette solution, qui se justifiait sans doute du point de vue de l'analyse de la causalité, était pourtant contestée dans la mesure où elle laissait sans "sanction" la faute commise par le médecin, rendant ainsi ineffectif le droit à l'information du patient dès lors que l'acte envisagé était nécessaire et que le bon père de famille, placé dans la même situation, aurait très certainement pris la même décision.
L'arrêt. C'est précisément cette solution qui se trouve ici remise en cause. Au visa des articles 16, 16-3, alinéa 2, et 1382 du Code civil, la Cour, après avoir rappelé "qu'il résulte des deux premiers de ces textes que toute personne a le droit d'être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n'est pas à même de consentir", affirme, en effet, "que le non-respect du devoir d'information qui en découle, cause à celui auquel l'information était légalement due, un préjudice, qu'en vertu du dernier des textes susvisés, le juge ne peut laisser sans réparation".
Une solution pleinement satisfaisante. Cette solution, que nous avions, avec d'autres (11), appelée de nos voeux (12), est pleinement satisfaisante, même si le visa de l'article 1382 du Code civil pourrait surprendre s'agissant d'une hypothèse de responsabilité contractuelle. On pourra, d'ailleurs, se demander si ce visa répond à une logique de cassation, le texte ayant fondé l'arrêt d'appel, ou par une volonté délibérée de la Cour de marquer la spécificité de la responsabilité qui découle de la violation d'un droit subjectif qui serait détachée du contrat de soins et, en quelque sorte, par nature extracontractuelle.
Mais finalement cette question de fondement est secondaire sur le plan pratique et d'ailleurs non déterminante de la solution, que nous approuvons pleinement.
En premier lieu, elle garantit l'effectivité du droit à l'information du patient en considérant que le fait d'en avoir été privé lui cause nécessairement un préjudice qu'il convient de réparer, ne serait-ce que symboliquement (13). En second lieu, elle traite la question de l'atteinte au droit à l'information en matière médicale comme d'autres atteintes à d'autres droits subjectifs en considérant que l'atteinte cause nécessairement un préjudice qu'il convient de réparer (14).
Une solution à la portée incertaine. Reste à déterminer la portée de la décision qui constitue un premier pas vers l'autonomisation du préjudice consécutif au défaut d'information.
Dans cette affaire, le manquement à l'obligation d'information n'avait pas été déterminant dans la décision prise par le patient, la réparation d'un simple préjudice moral, déconnecté du préjudice imputable à l'acte chirurgical, apparaissant comme la seule possibilité d'indemniser la victime. Mais qu'en sera-t-il lorsque le défaut d'information aura privé la victime d'une possibilité de se soustraire à l'acte dommageable ?
En l'état actuel de la jurisprudence, deux hypothèses doivent être distinguées : soit la victime aurait certainement pris une autre décision, et le manquement à l'obligation d'information a directement contribué à causer l'intégralité du préjudice consécutif à l'acte médical, par application de la théorie de l'équivalence des conditions, soit il ne s'agit que d'une simple probabilité, d'une "chance réelle et sérieuse" (15), et, dans cette hypothèse, l'application de la théorie de la perte de chance permet de relier la faute au préjudice final, mais la réparation sera affectée du coefficient correspondant au pourcentage de la chance perdue.
On peut dès lors s'interroger sur les prolongements de ce revirement de jurisprudence, et sur l'autonomisation complète du préjudice résultant du défaut d'information.
Nous avons manifesté notre hostilité à l'application de la théorie de la perte de chance qui nous semble assez peu réaliste ; de deux choses l'une : ou l'absence d'information a directement faussé le consentement du patient qui aurait, sans cette faute, refusé l'opération, et la réparation du préjudice doit être intégrale, ou il apparaît que le patient aurait de toute façon pris la même décision s'il avait été informé, et dans ce cas il convient de lui attribuer des dommages et intérêts spécifiques réparant le préjudice moral consécutif au non-respect de son droit à l'information.
Vers une autonomie complète du préjudice de non-information ? Mais peut-on aller plus loin encore et déconnecter totalement la réparation du préjudice consécutif au non-respect de l'obligation d'information du préjudice résultant de l'accident médical ?
Avant l'application du dispositif d'indemnisation mis en place par la loi "Kouchner" du 4 mars 2002, pareille analyse aurait pu conduire à priver les patients de toute réparation, ce qui n'était pas souhaitable et justifiait le recours, certes artificiel, à la théorie de l'équivalence des conditions.
Mais la mise en place d'un système d'indemnisation, et d'un mécanisme de réparation des conséquences d'accidents médicaux non fautifs par l'ONIAM, change considérablement les données dans la mesure où, si la responsabilité du médecin ou de l'établissement pour défaut d'information n'est pas engagée, c'est l'ONIAM qui indemnisera la victime au titre de la solidarité nationale dès lors que celle-ci aura atteint le seuil de gravité fixé par la loi. Par ailleurs, les dispositions relatives à l'information du malade ont été nettement dissociées de celles consacrées à l'indemnisation des victimes, ce qui pourrait constituer un indice de l'autonomisation de l'obligation d'information et du fait que la responsabilité d'un médecin ou d'un établissement supposerait la réalisation d'un acte de prévention, de diagnostic ou de soin, mais pas nécessairement un simple manquement à l'obligation d'information (16).
Il appartiendra, bien entendu, à la Haute juridiction de préciser, dans ses prochaines décisions, la portée qu'elle entend donner à cet arrêt et dans le cadre nouveau mis en place en 2002, car dans cette affaire les dispositions de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH) n'étaient pas applicables puisque les faits étaient antérieurs au 5 septembre 2001.
Les juges ne peuvent, en présence d'un risque d'infection nosocomiale scientifiquement connu comme étant en rapport avec ce type d'intervention, se fonder sur la seule absence de faute du praticien dans la réalisation de celle-ci pour déterminer la teneur de son devoir d'information.
Indépendance de l'obligation d'information et de l'obligation de soins. L'étendue de l'obligation d'information sur les risques opératoires qui pèse sur le médecin est indépendante des conditions dans lesquelles il est amené à répondre de la réalisation de ce risque. Tel est en substance l'apport de cet arrêt en date du 8 avril 2010 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation.
L'affaire. Dans cette affaire, un patient avait développé une arthrite septique du genou après une infiltration intra-articulaire. Il avait alors recherché la responsabilité du médecin et lui reprochait de ne pas l'avoir informé de l'existence de ce risque ; il avait été débouté sous prétexte qu'en l'absence de preuve d'un défaut fautif d'asepsie imputable au praticien dans la réalisation de l'acte médical, il ne pouvait être reproché à celui-ci de n'avoir pas informé son patient d'un risque qui n'était pas lié à l'intervention préconisée.
L'arrêt est cassé, au visa des articles 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) et L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5232IEI), la Cour considérant que les juges ne pouvaient "en présence d'un risque d'infection nosocomiale scientifiquement connu comme étant en rapport avec ce type d'intervention, se fonder sur la seule absence de faute du praticien dans la réalisation de celle-ci pour déterminer la teneur de son devoir d'information".
Une différenciation justifiée. La solution doit être pleinement approuvée dans la mesure où le raisonnement des magistrats de la cour d'appel d'Aix-en-Provence était particulièrement confus. L'article L. 1111-2 du Code de la santé publique ne lie, en effet, pas l'étendue de l'obligation d'information sur les risques liés aux actes envisagés au fait que ces risques, lorsqu'ils se réalisent, engagent la responsabilité du médecin ou de l'établissement qui les a pratiqués. Cette information doit, en effet, porter sur les "risques fréquents ou grave normalement prévisibles". Or, certains de ces risques, lorsqu'ils se réalisent, ne sont pas de nature à engager sa responsabilité civile qui, rappelons-le, suppose la preuve d'une faute, y compris pour ce qui concerne les infections nosocomiales. Dans ces conditions, il était non seulement intellectuellement inexact de confondre le régime de la responsabilité du médecin (pour faute) et l'étendue de son obligation d'information (portant sur les risques), mais également contraire aux dispositions de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique de restreindre l'obligation d'information aux seuls risques dont la réalisation entraîne la responsabilité du médecin, sans avoir égard à la notion légale de "risque fréquent ou grave normalement prévisible". La seule limite à l'information réside alors dans l'état des connaissances scientifiques du moment car un médecin ne saurait être tenu de donner au patient une information portant sur des risques dont il ne pouvait pas connaître l'existence (17). C'est d'ailleurs dans le sens d'une obligation d'information étendue à l'ensemble des risques nosocomiaux, même exceptionnels, qu'avait déjà statué la Haute juridiction (18).
1.3. Indemnisation des victimes de recherches médicales
Dans la mesure où le but de l'étude litigieuse, menée sur des personnes atteintes de cancer, était de comparer deux types de chimiothérapie adjuvante et de démontrer que l'association des médicaments proposés au malade était susceptible d'augmenter de 10 % la survie en réduisant le risque de récidive après l'intervention, que l'opportunité d'un tel traitement pour le type de tumeurs dont ce dernier était atteint était évoqué par différentes études et que beaucoup d'équipes médicales y recouraient de façon systématique, il ne pouvait être reproché au promoteur de la recherche de l'avoir mis en oeuvre.
Cadre juridique applicable. On se rappellera que la loi n° 2004-804 du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique (N° Lexbase : L0814GTC) a simplifié le régime de l'indemnisation des victimes de recherche biomédicale. L'article L. 1121-10 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8523GTT) dispose, en effet, désormais, pour toutes les victimes sans que soit reprise la distinction introduite par la loi "Huriet" (loi n° 88-1138 N° Lexbase : L4504DIN) selon que les recherches ont ou non un bénéfice individuel direct, que "Le promoteur assume l'indemnisation des conséquences dommageables de la recherche biomédicale pour la personne qui s'y prête et celle de ses ayants droit, sauf preuve à sa charge que le dommage n'est pas imputable à sa faute ou à celle de tout intervenant sans que puisse être opposé le fait d'un tiers ou le retrait volontaire de la personne qui avait initialement consenti à se prêter à la recherche".
Le débat porte donc, au stade de l'exonération, sur l'existence d'une faute commise par le promoteur, et c'est tout l'intérêt de cet arrêt en date du 14 janvier 2010 qui, quoi que rendu sous l'empire du régime antérieur à 2004, demeure pertinent dans le cadre actuel en ce qu'il porte sur les éléments constitutifs de la faute du promoteur.
L'affaire. Dans cette affaire, un patient imputait à un traitement de chimiothérapie adjuvante, reçu à la suite de l'ablation d'un adénocarcinome et en application d'un protocole de recherche biomédicale, des troubles qui avaient nécessité son hospitalisation et dont certains avaient subsisté malgré plusieurs interventions chirurgicales. Il avait alors recherché la responsabilité du promoteur de la recherche, mais avait été débouté de ses demandes par la cour d'appel de Paris.
Cet arrêt est confirmé par le rejet du pourvoi. Selon la Haute juridiction, en effet, le but de l'étude litigieuse, menée sur des personnes atteintes de cancer, était de comparer deux types de chimiothérapie adjuvante et de démontrer que l'association des médicaments proposés était susceptible d'augmenter de 10 % la survie en réduisant le risque de récidive après l'intervention. La Cour relève également que l'opportunité d'un tel traitement pour le type de tumeurs dont ce dernier était atteint était évoquée par différentes études et que beaucoup d'équipes médicales y recouraient également, de sorte qu'il ne pouvait être reproché au promoteur de l'avoir mis en oeuvre.
Comme elle le fait par ailleurs pour caractériser la faute médicale, la Cour de cassation s'en tient à une analyse du rapport bénéfice/risque du protocole mis en oeuvre et sur le fait qu'il était conforme aux données acquises de la science, puisque d'autres promoteurs avaient retenu les mêmes associations médicamenteuses (19).
2. Dispositif d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux
2.1. Indemnisation des parents et enfants nés avec un handicap non décelé pendant la grossesse
Si des motifs d'intérêt général pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui avaient, antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d'obtenir la réparation de leur préjudice ; le 2 du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 [loi n° 2005-102, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées N° Lexbase : L5228G7R]doit être déclaré contraire à la Constitution.
Cadre juridique applicable. L'article 1er de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 a souhaité soustraire au droit commun de la responsabilité civile la réparation des dommages liés à la naissance d'enfants handicapés, pour en confier essentiellement la prise en charge à la collectivité par le biais de l'aide sociale (20).
L'application de ce dispositif aux enfants nés avant l'entrée en vigueur de la loi a été écartée en raison de sa contrariété avec l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) (21), ce qui autorise ces derniers à agir sur le fondement du droit commun.
Abrogation. Devenu de fait sans objet, ce principe de l'application immédiate du dispositif dit "anti-Perruche" se trouve désormais abrogé par le Conseil constitutionnel qui a rendu le 11 juin 2010 l'une de ses toutes premières décisions dans le cadre de la nouvelle procédure de question prioritaire de constitutionnalité, applicable depuis le 1er mars 2010, le Conseil ayant considéré, dans le cadre d'une question transmise par le Conseil d'Etat (22), qu'aucun motif d'intérêt général ne justifiait qu'il soit ainsi porté atteinte aux droits des personnes antérieurement indemnisées.
Désormais abrogé, ce texte disparaît, et c'est fort heureux, du droit positif.
Le reste de l'article 1er, devenu article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L8912G8L) en 2005, a, en revanche, passé sans encombre le contrôle de constitutionnalité et continuera donc de limiter le préjudice des parents aux seuls préjudices moraux (préjudice d'impréparation) et professionnel (préjudice de carrière) résultant d'une faute caractérisée d'un médecin, et celui des enfants à la seule hypothèse d'un dommage directement causé par une faute médicale.
2.2. Système d'indemnisation
Les CRCI étant des commissions administratives dont la mission est de faciliter, par des mesures préparatoires, un éventuel règlement amiable des litiges relatifs à des accidents médicaux, des affections iatrogènes ou des infections nosocomiales, l'ONIAM n'était pas lié par l'avis émis par la CRCI.
Solution. La Cour de cassation confirme à son tour la jurisprudence du Conseil d'Etat qui estime que l'ONIAM ne saurait être lié par les avis des CRCI dont le rôle consiste à préparer la transaction qui devra être conclue avec l'Office ou l'assureur, selon le cas (23). Même si le caractère obligatoire des avis pouvait être défendu, au regard de la rédaction des textes et de l'usage de l'indicatif présent dont ou pouvait croire qu'il valait impératif, la Cour de cassation n'a pas souhaité se désolidariser ici du Conseil d'Etat et considère que le juge judiciaire est totalement souverain pour conclure dans un sens opposé à celui de la CRCI, et qu'il ne saurait être reproché à l'office d'avoir refusé de faire une offre à la victime si elle conteste l'avis.
Conséquences. Les assureurs de responsabilité ne sont pas "tenus" par les avis, mais peuvent se voir infliger une pénalité par les juges judiciaires ou administratifs, pouvant aller jusqu'à 15 % des sommes attribuées aux victimes, en cas de refus d'indemnisation. Dans cette hypothèse, l'ONIAM doit en principe se substituer à l'assureur défaillant. Mais comme l'ONIAM ne risque rien à refuser de suivre l'avis ou à ne pas présenter d'offre en lie et place de l'assureur, la victime sera parfois contrainte de saisir le juge pour contraindre véritablement assureurs et office à l'indemniser.
(1) Cass. crim., 15 décembre 2009, n° 09-82.213, Bertrand D., F-D (N° Lexbase : A4837EQ9) : le chirurgien a été reconnu coupable d'homicide involontaire pour avoir commis, dans le suivi postopératoire, une succession de fautes en relation causale certaine et directe avec le décès. Les juges du fond avaient en effet retenu que l'apparition d'une fuite digestive, entraînant une péritonite, est un risque bien connu de l'opération de gastroplastie, que les conséquences en sont très graves et qu'il est vital d'intervenir à nouveau très rapidement, et que le prévenu a gravement tardé à tenir compte des symptômes présentés par la patiente, qu'il n'a pas fait procéder aux examens qui s'imposaient et qu'au surplus, lors de la nouvelle intervention, il a eu recours à un procédé inadapté et insuffisant pour traiter la péritonite.
(2) Cass. civ. 1, 5 novembre 2009, n° 08-15.220, Mme Christiane Guinet, épouse Leneutre, F-D (N° Lexbase : A8093EMP) : doivent être condamnés les médecins assurant le suivi d'un patient qui avait "fait une chute mortelle au décours d'une crise d'épilepsie, les juges du fond ayant constaté que les praticiens s'étaient abstenus de prendre les mesures qui s'imposaient à l'égard d'un patient dont les antécédents étaient connus et que la transmission par le personnel de la clinique à l'équipe médicale des informations relatives à l'épilepsie du patient et aux risques de chute aurait permis la mise en place d'un dispositif de protection, tel qu'une contention au fauteuil ou au lit, ce qui excluait tout aléa dans la réalisation du dommage". Egalement Cass. civ. 1, 18 juillet 2000, n° 99-12.207, Mme Jeanne Four, née Lacroix (N° Lexbase : A9079AGD).
(3) Ainsi Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, n° 06-20.107, M. François Goliard, F-P+B (N° Lexbase : A7677D3Q), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (janvier à mars 2008), Lexbase Hebdo n° 299 du 2 avril 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6278BEA).
(4) C. santé publ., art. L. 1111-2 (N° Lexbase : L5232IEI).
(5) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, 6 arrêts, n° 05-20.317 (N° Lexbase : A7001D8S), n° 06-14.952 (N° Lexbase : A7009D84), n° 06-10.967, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7005D8X), n° 05-10.593 (N° Lexbase : A6996D8M), n° 06-18.848 (N° Lexbase : A7014D8B) et n° 07-17.200, F-D (N° Lexbase : A7136D8S), et nos obs., Produits de santé : imputabilité de poussées de scléroses en plaques à des vaccins anti hépatite B et absence de preuve du caractère défectueux d'un médicament anti goutte, Lexbase Hebdo n° 311 du 2 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4910BGX) ; Resp. civ. et assur., 2008, chron. 8 ; J. Peigné, RDSS, 2008, p. 578 ; L. Grynbaum, JCP éd. G, 2008, II 10131 ; P. Jourdain, RTDCiv., 2008, p. 492 ; S. Hocquet-Berg, Gaz. Pal., 9 octobre 2008 n° 283, p. 49 ; J.-S. Borghetti, RDC, 2008, p. 1186 ; P. Stoeffel-Munck, JCP éd. G, 2008, I, 186, n° 3.
(6) Vendeur et installateur : Cass. civ. 1, 25 janvier 2000, n° 98-12.702, Epoux Le Moal c/ M. Signol (N° Lexbase : A3611AUB), JCP éd. G, 2000, IV, 1450.
(7) On notera que dans cet arrêt la Cour a la délicatesse de ne pas parler de "chance" s'agissant d'une interruption de grossesse pour un motif médical.
(8) Dans le même sens, et pour des faits similaires, Cass. civ. 1, 8 juillet 2008, n° 07-12.159, M. Eric Lallement, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5290D9S), JCP éd. G, 2008, II, 10166, avis C. Melloté, note P. Sargos ; et nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 du 6 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3835BHI), et les réf. citées.
(9) Dans cette affaire, l'urologue qui avait opéré son patient de la prostate après avoir procédé à l'adénomectomie sans lui proposer l'alternative consistant à lui poser une sonde vésicale, solution qu'il considérait comme étant moins indiquée eu égard au danger grave que faisait courir la sonde vésicale.
(10) Cass. civ.1 , 20 juin 2000, n° 98-23.046, Hédreul c/ Cousin (N° Lexbase : A3773AUB), D., 1999, jur., p. 46, note H. Matsopoulou : "c'est par une appréciation souveraine tirée de ces constatations que la cour d'appel a estimé qu'informé du risque de perforation, M. X n'aurait refusé ni l'examen, ni l'exérèse du polype, de sorte qu'il ne justifiait d'aucun préjudice indemnisable".
(11) Dernièrement S. Hocquet-Berg, La place du défaut d'information dans le mécanisme d'indemnisation des accidents médicaux, Resp. civ. et assur., 2010, chron. 5, et les réf. citées.
(12) Notre chron. L'obligation d'information en matière médicale et l'office du juge, Resp. civ. et assur., 2003, chron. 7. Dernièrement nos obs. sous Cass. civ. 1, 11 mars 2010, n° 09-11.270, Société Medical Insurance company Ltd, représentée en France par la société François Branchet, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1775ETW), dans Panorama de responsabilité civile médicale (février et mars 2010), Lexbase Hebdo n° 390 du 8 avril 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N7306BNW).
(13) Pour une analyse plus globale en matière de responsabilité contractuelle, notre étude Droit à réparation. Conditions de la responsabilité contractuelle. Dommage, J.-Cl. Responsabilité civile, Fasc. 170, 8-1999, n° 9.
(14) Les illustrations abondent, qu'il s'agisse de l'atteinte au droit au respect de la vie privée, du droit au respect à la présomption d'innocence, ou, en droit du travail, au droit au reclassement, au respect de la procédure de licenciement, etc..
(15) Cass. civ. 2., 1er avril 1965, Bull. civ. II, p. 230.
(16) En ce sens notre chron. La réforme de la responsabilité médicale après la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Resp. civ. et assur., 2002, chron. 7.
(17) C'est ce qui a été jugé à plusieurs reprises, qu'il s'agisse de l'obligation d'information pesant sur les fabricants de médicaments (Cass. civ. 1, 8 avril 1986, n° 84-11.443, M. Thorens c/ La Société Merell Toraude et autre N° Lexbase : A2983AAQ, JCP éd. G 1987, II, 20721, note Viala et Viandier) ou sur les médecins (Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-19.927, M. Henri Lopez c/ Mme Hélène Cocolakis N° Lexbase : A7539AHP, Resp. civ. et assur., 1998, comm. 393, 1ère esp.).
(18) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, n° 97-14.254, Caisse primaire d''assurance maladie de la Seine-Saint-Denis c/ M. Henry et autres (N° Lexbase : A6656AHY).
(19) Cass. civ. 1, 11 décembre 2008, n° 08-10.255, M. Mostefa Meftah, F-D (N° Lexbase : A7290EBM), et nos obs., in Panorama de responsabilité civile médicale (décembre 2008 à mars 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 345 du 8 avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0099BKU).
(20) Aujourd'hui, C. act. soc. fam., art. L. 114-5 (N° Lexbase : L8912G8L).
(21) Cass. civ. 1, 8 juillet 2008, n° 07-12.159, M. Eric Lallement, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5290D9S), JCP éd. G, 2008, II, 10166, avis C. Melloté, note P. Sargos ; et nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 du 6 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3835BHI).
(22) CE, 4° et 5° s-s-r., 14 avril 2010, n° 329290 (N° Lexbase : A0208EWM).
(23) CE, 4° et 5° s-s-r., 10 octobre 2007, n° 306590, M. Sachot (N° Lexbase : A7282DYD) : "les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation, dont la saisine est dépourvue de caractère obligatoire, et dont les avis ne lient pas l'ONIAM, sont des commissions administratives dont la mission est de faciliter, par des mesures préparatoires, un éventuel règlement amiable des litiges relatifs à des accidents médicaux, des affections iatrogènes ou des infections nosocomiales".
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