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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Mais, relisez Victor Hugo, pâles robes noires : "Les souvenirs sont nos forces. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume des flambeaux" -Discours de Commémoration de l'anniversaire du 24 février 1848-. Et, la nuit n'est-elle pas en passe de s'étendre, aujourd'hui, sur une profession sujette, chaque jour, à une nouvelle réforme pour accommoder, le plus souvent, le pouvoir en place ?
Alors, oui ! Nous ne commémorons ni l'instauration de la profession, ni la création des Ordres. La profession d'avocat est réglementée depuis le XIIIème siècle et les premières listes officielles d'avocats datent de 1340, recensant dès lors 51 défenseurs des droits à Paris. Pourquoi tout ce tintouin pour un rétablissement ? D'abord, parce que jusqu'au XVIème siècle, la profession d'avocat ne fut que l'antichambre de celle de magistrat et vénalité des offices de l'administration aidant, le barreau ne s'est affirmé alors que pour être plus indépendante et autonome, portant à sa tête un Bâtonnier et une assemblée de députés, ancêtres des membres du conseil de l'Ordre. Mais, la Révolution n'aura pas été clémente avec ses chantres : ces Ordres qui, bien souvent, ont pris le parti des Lumières disparaissent dans le fatras de la loi "Le Chapelier" de 1790, interdisant les corporations : c'est que l'on se méfie des privilèges accordés à ou au sein d'une communauté de pensée ; et pour tout dire, la défense des pauvres, des mineurs, des veuves et des orphelins ne fait pas bon ménage avec la lame de la guillotine, le régime martial de la Terreur et les tribunaux révolutionnaires.
Vingt ans d'errance, à travers lesquels la profession ne meurt pas, bien que désorganisée. Vingt ans, une République, un Directoire, un Consulat, un Empire pour que l'initiateur du Code civil accorde aux avocats, en 1810, le droit de se regrouper, à nouveau, par Ordre, à condition de "couper la langue à un avocat qui s'en sert contre le gouvernement". Napoléon confie au Procureur général le soin de nommer le Bâtonnier et les membres du conseil de l'Ordre. Les avocats devront attendre vingt ans, 1830, pour obtenir de Louis-Philippe le droit de choisir eux-mêmes leurs représentants et s'affranchir ainsi de la tutelle des pouvoirs publics.
Mais, pourquoi vouloir rétablir ces Ordres, à la fin ? La profession d'avocat est une profession indépendante, autonome, libérale ! Quel besoin de regrouper tous ces auxiliaires de Justice sous une bannière, derrière un bâton, dût-il représenter Saint Yves, patron des avocats ? Parce que "l'ordre, et l'ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude" nous confie Charles Péguy dans ses Cahiers de la quinzaine. Parce qu'un Ordre régule l'accès à la profession, contribue à la formation initiale de ses membres, s'assure du respect des l'obligation de formation continue, assure une concurrence entre ses membres sur une base équitable, non vénale et respectueuse des règles déontologiques. Cet Ordre rétabli joue un rôle arbitral ou disciplinaire à l'égard de ses membres et dans les relations entre ces derniers et leurs clients. Mais encore, il représente de la profession à l'égard des pouvoirs publics. Et, ce n'est pas une mince affaire en ces temps troublés par un champ de compétence, sans cesse, grignoté par d'autres professions, elles-mêmes en rangs serrés ; par une justice pénale qui souhaiterait tant faire sans l'avocat, sacrifiant la Défense pour désengorger les tribunaux...
Et, il en va des avocats comme de la Démocratie : rien est acquis ; comme l'on fête chaque année le démantèlement d'une prison royale, symbole de l'absolutisme et les lettres de cachets, il convient de fêter les avocats et, en leur nom, les Ordres représentatifs de la profession, qui sont les derniers garants des libertés individuelles et du Droit, les derniers empêcheurs de tourner en rond, les derniers remparts face à une Justice au rabais. C'est qu'en passant de 25 000 à 50 000 inscrits aux tableaux, en l'espace de trente ans, la profession d'avocat a pu se raviver, se vivifier : de nouvelles ambitions pour une meilleure Justice sont nées dans le terreau des années 80', de l'ère numérique, mais aussi des années de crise économique et de drames sociaux. On aurait pu penser à une atomisation de la profession à l'image de l'individualisme ambiant... mais, au contraire, les Ordres sont d'autant plus vivants et vigilants qu'ils savent qu'ils doivent défendre le droit romano-civiliste face à une common law rampante ; qu'ils savent qu'ailleurs, en Chine, les droits de la défense ne bénéficient d'aucune garantie et que la profession d'avocat désorganisée est soumise à la justice d'Etat, sous le contrôle du Parti -le secret professionnel n'existant évidemment pas- ; qu'ils savent qu'ailleurs, en Iran, c'est le pouvoir judiciaire qui délivre le permis d'exercer la fonction d'avocat au mépris de toute impartialité et indépendance de la profession ; qu'ils savent qu'au Royaume-Uni la profession est littéralement coupée en deux, entre barristers qui plaident les affaires devant les cours et sollicitors qui postulent, représentent et conseillent juridiquement leurs clients -une distinction qui, à travers les divergences de pratique de la profession entre plaideurs et conseils, entre pénalistes et avocats d'affaires, s'instille également en France à l'encontre d'une unité de pratique de l'avocature, unité de pratique garante d'une unité déontologique et d'une unité de la Défense des Citoyens-.
C'est contre l'atomisation du destin de la profession d'avocat, contre l'impérialisme du droit anglo-saxon, contre la mise sous tutelle du procès pénal, aujourd'hui, civil, demain, que se dressent les Ordres rétablis, il y a 200 ans, pas au nom du corporatisme, mais au nom de l'unité d'âme, du respect de la règle déontologique, du respect par l'avocat de son serment.
"Sanctus Yvo erat brito
Advocatus sed non latro
Res mirabilis populo"...
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