La lettre juridique n°321 du 9 octobre 2008 : Éditorial

Inégalités de traitement, discriminations et harcèlements : entre nécessaire régulation et moralisme jurisprudentiel

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N3850BH3

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Inégalités de traitement, discriminations et harcèlements : entre nécessaire régulation et moralisme jurisprudentiel. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210560-inegalitesdetraitementdiscriminationsetharcelementsentrenecessaireregulationetmoralismeju
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


La désacralisation du patron/employeur ne risque-t-elle pas le moralisme de la société professionnelle ? Cette question aux accents socio-philosophiques pourrait paraître mal à propos dans un éditorial juridique, assis, en principe, sur le dogme de la domination rationnelle-légale chère à Max Weber. Et pourtant...

Par une série de six arrêts, promis à la plus significative publicité, la Chambre sociale de la Cour de cassation renforce ses positions concernant la lutte contre l'inégalité de traitement, les discriminations et les harcèlements, d'une part. Et la Cour régulatrice d'adresser des "itératives remontrances" aux juridictions du fond, pourtant souveraines dans l'appréciation des faits, afin d'harmoniser, pour ne pas dire uniformiser, l'approche jurisprudentielle de la caractérisation de ces mêmes notions, hautement délicates dans les rapports sociaux, d'autre part. C'est pourquoi, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, nous alerte, cette semaine, sur la reprise en main opérée par la Cour, en confirmant la sévérité avec laquelle il convient de traiter tous les avatars de la domination patronale, qu'il convient de répartir équitablement la charge de la preuve en la matière, sans omettre les modalités de défense de l'employeur confronté à des allégations pertinentes, et qu'un retour au contrôle des qualifications par la Chambre sociale s'avère nécessaire. Et pourtant...

Il convient d'admettre, avec Marx, Bourdieu et Weber justement, que l'histoire de l'humanité recèle celle de la domination de l'homme par l'homme ; et le progrès social, on dira même "civilisationnel", tient sans doute dans le changement de nature de la domination en question. Et la Cour de cassation de bien prendre acte et de porter la bonne parole que la domination traditionnelle, assise sur la croyance en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer la domination, ou charismatique assise sur la soumission au caractère exceptionnel, sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire de la personne qui exerce le pouvoir, n'a pas droit de cité en matière professionnelle. Or, inégalités de traitement, discriminations et harcèlements sont les turpitudes inhérentes de ces dominations... incompatibles avec celle, légitimement et communément admise, issue de la raison objective et de la loi. Pour autant...

Cette objectivisation de la domination patronale n'est-elle pas excessivement moralisatrice ? Permettez l'herméneutique : chacun conviendra que la morale, dont on appelle les voeux dans tous les rouages de la société et de l'économie particulièrement, commande que le "droit de cuissage", comme la corvée, ne soient pas de mise dans une société professionnelle qui se doit d'être, elle aussi, démocratique. Mais à la lecture d'Hegel, ne sommes nous pas, là, devant la "belle âme" de notre Cour suprême ? C'est-à-dire que la jurisprudence ne tend-t-elle pas ainsi vers une culture de sa propre morale sans se soucier du bien à réaliser effectivement ? Car, à n'en pas douter, la moralisation des relations professionnelles conduit inexorablement à une aseptisation qui ne peut être propice au développement des rapports humains, clés de la perduration du rapport professionnelle, tout emprunts, eux et nécessairement, de subjectivité. C'est le pari de la confiance fondée sur la règle plutôt que sur le rapport personnel. Pour autant...

A la morale sociologique de Durkheim et de Lévy-Bruhl, nous pourrions opposer le doute hyperbolique de Descartes : lorsqu'une proposition emporte un doute quelconque, elle est nécessairement fausse... ou du moins, convient d'être relativisée ; tout est donc bien affaire de circonstances.

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