Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 6 août 2008, n° 288453, Organisme de gestion de l'établissement catholique d'enseignement Notre Dame de Saint-Mandé, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A0693EAW)
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N3806BHG
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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes
le 07 Octobre 2010
1. L'exonération des salaires versés au personnel affecté concurremment à la cantine et à d'autres services est possible sur le fondement de la doctrine administrative du 22 novembre 1971
L'exonération de taxe sur les salaires ne s'applique, en principe, qu'aux rémunérations versées au personnel affecté exclusivement au service des cantines ou de la fourniture de repas (1.1.) ; la doctrine du 22 novembre 1971 permet de déroger à ce principe (1.2.).
1.1. La règle : les salaires versés au personnel affecté exclusivement à la restauration sont exonérés
L'exonération de taxe sur les salaires ne s'applique, en principe, qu'aux rémunérations versées au personnel affecté exclusivement au service des cantines ou de la fourniture de repas. Ces cantines peuvent être gérées directement par l'entreprise ou l'être par des personnes morales qui ne sont pas passibles de la TVA et, notamment, comme dans la décision du 6 août 2008 "OGEC de Notre-Dame de Saint-Mandé", par des associations "loi de 1901".
L'originalité de cette exonération est qu'elle est doctrinale. En effet, aucune disposition du CGI ne prévoit d'exonération de la taxe sur les salaires pour les rémunérations versées au personnel affecté en tout ou partie au service des cantines ; l'article 231 du CGI est muet sur ce point. L'instruction fiscale 5 L-6-71 du 22 novembre 1971, relative à l'exonération des cantines prévoit que cette exonération ne s'applique qu'aux rémunérations versées au personnel affecté exclusivement au service des cantines ou de la fourniture de repas. La notion d'affectation exclusive a été précisée par le juge et l'administration. Il a, en effet, été jugé (TA Paris, 2 mai 1989, n° 69364/3, Comité d'établissement Rank Xerox France) que, sur le terrain de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L8568AE3), le personnel exclusivement employé à la gestion quotidienne d'une cantine doit être regardé comme étant exclusivement affecté au service des cantines au sens de l'instruction du 22 novembre 1971. L'administration fiscale tirant les conséquences de ce jugement a précisé, dans une réponse ministérielle (QE n° 11220 de M. Vidal, réponse publiée au JO Sénat Q, 14 février 1991, p. 305 ; BOI 5 L-5-91 et doc. adm. DGI 5 L-1322), que les salaires versés aux économes qui sont affectés uniquement au service de la restauration peuvent bénéficier de l'exonération.
L'exonération de taxe sur les salaires prévue en faveur des cantines ne peut, en revanche, être étendue aux auberges de jeunesse (QE n° 19082 de M. Boucheron, réponse publiée au JOAN Q du 19 janvier 1990, p. 436). Cette exonération doctrinale n'a été ni confirmée ni remise en cause par l'instruction en date du 12 septembre 2002 (BOI 5 L-5-02 N° Lexbase : X2433ABQ) commentant la nouvelle assiette de la taxe sur les salaires.
1.2. Un tempérament à la règle : une exonération possible en cas d'affectation concurrente du personnel à la cantine et à d'autres services
Le Conseil d'Etat, dans sa décision du 6 août 2008, vient confirmer l'analyse qu'a faite la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 2ème ch., 19 novembre 1992, n° 91LY00316, Centre de rééducation fonctionnelle Notre-Dame N° Lexbase : A3365A87). La doctrine administrative en date du 22 novembre 1971 admet que, lorsque le personnel assure concurremment d'autres services, la partie du salaire correspondant au service de la cantine peut bénéficier de l'exonération. La cour administrative d'appel de Lyon précise, alors, qu'un employeur peut, sur le terrain de la doctrine demander une exonération de 30 %, le pourcentage étant obtenu par application au total des salaires payés au personnel affecté au service de la restauration du rapport entre le nombre de repas servis aux employés de l'établissement et le nombre total de repas servis.
Dans le prolongement de cette décision de la cour administrative d'appel de Lyon, il a été admis que le simple hébergement des enfants par les personnes morales gérant des crèches, colonies ou centres de vacances pour enfants et comportant une cantine destinée au personnel d'encadrement et aussi aux enfants qui leur sont confiés ne fait pas obstacle à l'exonération. Toutefois, lorsque le personnel assure concurremment d'autres services, seule une partie du salaire correspondant au service de la cantine peut bénéficier de l'exonération (doc. adm. DGI 5 L-1322).
La décision du 6 août 2008 "OGEC de Saint-Mandé" confirme que, dans le silence de la loi, les salaires versés au personnel affecté à la restauration en tout ou partie, sont exonérés de taxe sur les salaires, mais ajoute aussi que la doctrine, pas plus que la loi, ne précise les modalités exactes de calcul de la fraction des salaires exonérés.
2. Les modalités de calcul de la fraction des salaires exonérés en application des dispositions de l'article 231 du CGI précisées par le juge
La doctrine administrative, s'agissant du mode de calcul de la fraction des salaires exonérés, n'est pas une interprétation formelle de la loi (2.1.), les modalités de calcul doivent donc être précisées par le juge (2.2.).
2.1. L'imprécision de la doctrine l'empêche de valoir interprétation formelle de la loi
Si la doctrine administrative admet que les salaires versés au personnel des cantines soient exonérés de taxe sur les salaires en proportion des repas servis aux salariés de l'entreprise, elle n'indique pas les modalités exactes de calcul de la fraction des salaires exonérée. Elle ne constitue donc pas, sur ce point, une interprétation formelle du texte fiscal au sens du L. 80 A du LPF.
La solution retenue dans la décision "OGEC de Notre-Dame de Saint-Mandé" par le Conseil d'Etat n'est pas surprenante. La doctrine est réputée ne pas avoir d'esprit (CE, 30 mars 1992 n° 114926 Société générale N° Lexbase : A5112ARR). Elle n'est invocable par le contribuable sur le terrain du L. 80 A du LPF que si elle est suffisamment claire et ce n'est pas le cas en l'espèce. Ainsi, une instruction qui n'est pas claire ne constitue pas une interprétation formelle de la loi fiscale et n'est dès lors pas opposable à l'administration (CE 7° et 8° s-s-r., 29 juin 1977, n° 04112, SA Club Méditerranée N° Lexbase : A9842B8Z).
La solution est toutefois originale, puisqu'une même doctrine du 22 novembre 1971 (BOI 5 L-6-71) fonde tout à la fois une exonération mais ne permet pas même dans le silence de la loi, de préciser les modalités de mise en oeuvre de cette exonération.
2.2. Les modalités de la détermination de la quote-part exonérée en cas d'affectation mixte précisée par le juge
Le Conseil d'Etat juge qu'il résulte des dispositions de l'article 231 du CGI et dans le silence de la loi que, dans le cas où un contribuable verse des salaires correspondant à des activités partiellement exonérées de taxe sur les salaires, il y a lieu de répartir, d'abord, la totalité de chaque rémunération individuelle versée entre les tranches du barème progressif prévu par la loi, puis d'appliquer à chacun des montant obtenus le rapport entre les services autres que ceux exonérés et l'ensemble des services du salarié et, enfin, d'appliquer à ce résultat le taux d'imposition de chaque tranche.
Ce faisant, le Conseil d'Etat va plus loin que la cour administrative d'appel de Lyon qui avait simplement jugé qu'il ne convenait pas sur le fondement de la doctrine dont se prévalait le contribuable d'écarter la méthode retenue par le service pour l'application d'un coefficient de réfaction (CAA Lyon, 2ème ch., 19 novembre 1992, n° 91LY00316, précité). Dans la décision "OGEC Notre-Dame de Saint-Mandé", le Conseil d'Etat reprend, cette fois, la méthode du service et l'explicite dans un considérant de principe. Le Conseil d'Etat avait déjà précisé, dans un avis du 23 novembre 1998 (CE, 23 novembre 1998, n° 197839, Société d'exploitation de la clinique Ker-Lena N° Lexbase : A9230ASN), que la progressivité, d'une part, et le rapport d'assujettissement, d'autre part, procèdent de deux volontés législatives distinctes et autonomes auxquelles il convient de conférer leur plein effet. La méthode retenue par le Conseil d'Etat respecte la logique des opérations fiscales, c'est-à-dire la répartition dans les tranches puis la détermination de l'assiette et l'application des taux.
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