Réf. : Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06-45.800, M. Franck Laneque, F-P sur le premier moyen (N° Lexbase : A6205D9P) ; Cass. soc. 16 septembre 2008, n° 07-20.444, M. Jérôme Ravanel, F-P+B (N° Lexbase : A4071EAZ)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
le 07 Octobre 2010
Décisions d'espèce ou revirement de jurisprudence ? Une lecture attentive fait apparaître la logique qui préside à ces deux arrêts, le juge faisant clairement ressortir, dans sa motivation, la distinction entre les deux situations. Si, dans la première décision, la Cour de cassation se fonde, en effet, sur la notion de relation avec le contrat de travail pour retenir la compétence du conseil de prud'hommes, elle s'appuie, dans la seconde, sur la qualification d'accessoire au contrat de travail, pour, ensuite, écarter la compétence du même conseil.
La question se pose, ainsi, de la mise en oeuvre par le juge de l'application de l'article L. 1411-1 du Code du travail (C. trav., art. L. 511-1 anc.). C'est, plus précisément, l'incertitude quant aux critères permettant de retenir, soit la notion jurisprudentielle de l'accessoire, soit celle -textuelle- de litige né "à l'occasion de tout contrat" de travail pour déterminer le tribunal compétent. Cette interrogation, qui naît essentiellement de l'ambiguïté de la situation de l'actionnaire salarié (I), notamment quant à la juridiction susceptible d'être saisie en cas de conflit avec son employeur, invite à s'interroger sur l'utilisation de la notion d'accessoire (II) en tant que critère d'attribution du litige.
I - L'ambiguïté de la situation d'actionnaire salarié dans la mise en oeuvre de l'article L. 1411-1 du Code du travail
Les sources de la compétence des conseils de prud'homme (A) sont à la fois textuelles et jurisprudentielles, dualité que la Chambre sociale de la Cour de cassation semble utiliser dans les deux arrêts rapportés (B) afin d'établir une grille de lecture stricte des critères à mettre en oeuvre pour établir les compétences respectives des juges prud'homaux et commerciaux.
A - Les sources de la compétence des conseils de prud'hommes
C'est l'article L. 1411-1 du Code du travail (C. trav., art. L. 511-1, al. 1, anc.) qui établit la compétence d'attribution des conseils des prud'homme lorsqu'il dispose que ces derniers règlent et jugent "les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient". Compétence très étendue, en raison même de la nature du contrat de travail, le champ d'application de cette disposition est cependant limité par l'article L. 1411-4 (C. trav., art. L. 511-1, al. 5, anc.), qui établit qu'ils "ne peuvent connaître les litiges dont la connaissance est attribuée à une autre juridiction par la loi". Compétence d'ordre public, insusceptible d'aménagement contractuel, les attributions des conseils se heurtent donc, en matière commerciale, aux dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 721-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L7624HNP) qui établit que les tribunaux de commerce connaissent des "contestations [...] relatives aux sociétés commerciales", lesdites contestations concernant, en particulier, les litiges susceptibles de survenir entre les associés et la société.
Ces critères, simples et insusceptibles, à l'origine, de déboucher sur des conflits d'attribution paraissent, aujourd'hui, marquées du sceau de l'ambiguïté, si l'on considère l'accroissement constant du nombre de salariés qui sont également actionnaires de la société qui les emploie. Le phénomène est, d'ailleurs, animé par deux mouvement parallèles puisqu'il s'illustre, dans les petites entreprises, par l'adoption, par les actionnaires dirigeants, du statut plus protecteur de salarié -lorsque la forme sociale le permet- et, dans les grandes sociétés, par le développement de l'actionnariat salarial, notamment par l'attribution de stock-options. Or, si les deux textes, de rang équivalent dans la hiérarchie des normes, étaient, en principe, appelés à jouer concurremment, sans que l'une ou l'autre des dévolutions contentieuses soit supérieure à l'autre, force est de constater que le conseil de prud'hommes s'est vu attraire une part de plus en plus importante des litiges, au détriment de la juridiction commerciale.
Ce sont, en premier lieu, les termes mêmes de l'article L. 1411-1 du Code du travail qui contiennent les germes de cette extension, lorsqu'ils disposent de la compétence des conseils pour les différents nés "à l'occasion" du contrat de travail. Dès lors, la compétence ne se limite pas à la conclusion et à l'exécution du contrat mais s'étend à ses suites directes ou indirectes, ce dont la jurisprudence a tiré toutes les conséquences utiles. Elle a, ainsi, confié au conseil un litige portant sur un prêt consenti par un employeur à un salarié qu'il avait licencié par la suite. Comme les sommes correspondant au reliquat du prêt avaient été incluses dans le relevé du solde de tout compte, le litige avait pu être réputé être de la compétence du conseil de prud'hommes, au motif qu'il était né de la rupture du contrat de travail (1). Cet exemple, particulièrement symptomatique de l'emprise du contrat sur les litiges qui naissent à sa périphérie, permet de mesurer que peu de conflits sont susceptibles d'échapper au conseil de prud'hommes lorsqu'ils surviennent dans le cadre de la rupture dudit contrat.
Cette emprise est d'autant plus importante que -accessorium sequitur principale- l'accessoire suit le principal, d'où la doctrine en tire la conclusion que l'article L. 1411-1 du Code du travail, comme l'affirment MM. Vincent et Guinchard, "vise les obligations qui sont accessoires au contrat individuel" (2). Cette notion d'accessoire permet, ainsi, d'étendre le domaine d'application textuel de la compétence du conseil de prud'hommes, même si cette extension n'est pas sans limite puisque, selon les mêmes auteurs, il est nécessaire que "la prestation envisagée soit en relation directe avec la prestation principale". D'aucuns soulignaient également, de longue date, l'importance de cette restriction, déterminant qu'il était nécessaire que le litige, relatif à une convention accessoire, trouvât sa cause dans la formation, l'exécution ou la rupture du contrat de travail (3).
Il s'en conclut que le principe de l'accessoire doit être appliqué de façon restrictive, solution qui s'impose au regard de la compétence concurrente des juridictions commerciales, posée par l'article L. 721-3 du Code de commerce précité. En d'autres termes, l'accessoire doit -si la liberté de la formule est permise- rentrer dans le champ d'application de l'article L. 1411-1 du Code du travail.
B - L'illustration de la théorie de l'accessoire avec les derniers arrêts de la Chambre sociale
La première décision de la Chambre sociale, en date du 9 juillet 2008, illustre, d'abord, la mise en oeuvre de la notion de "différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail" et qui relève, donc, exclusivement de l'application textuelle de la compétence du conseil de prud'hommes. En l'espèce, M. L., engagé par la société E. M. en qualité d'ingénieur, était devenu responsable de production et de contrôle informatique puis, avait été licencié pour faute grave le 24 février 2004. Devenu, durant cette période, actionnaire de la société, il se voyait opposer un pacte d'actionnaire prévoyant, en cas de licenciement d'un salarié, la cession immédiate de ses actions à un prix déterminé par la majorité des actionnaires. La cour d'appel, saisie du litige soulevé par le salarié, décidera, en l'espèce, que le juge prud'homal était incompétent pour connaître d'une action en réparation de ce type de préjudice, au motif que la demande n'était pas fondée sur le contrat de travail et qu'elle avait été formée par l'intéressé en sa qualité d'actionnaire. La Chambre sociale casse, alors, l'arrêt d'appel statuant au visa de l'article L. 511-1 du Code du travail, au motif : "que la demande en paiement de dommages intérêts d'un salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait de son licenciement constitue un différend né à l'occasion du contrat de travail".
La seconde décision, du 16 septembre 2008, portant, elle également, sur un pacte d'actionnaire, réserve pourtant un tout autre sort au justiciable, la compétence du conseil de prud'hommes étant rejetée, cette fois, sur le fondement de la notion d'accessoire.
M. R., employé par la Société F. jusqu'au 30 juin 2000, date de son départ de la société, a bénéficié, durant sa période salariée, de plans d'options de souscription d'actions, cédant, ensuite, ces dernières au cours des années 2000 à 2003. Il saisit, alors, le tribunal de commerce de demandes tendant à l'allocation de dommages-intérêts et aux fins d'ordonner la publication des comptes sociaux. Il estimait, en particulier, que la société avait irrégulièrement minoré ses bénéfices et provoqué une diminution du montant des dividendes distribués et la dévalorisation du prix de l'action. La cour d'appel, saisie de l'affaire, décidera, toutefois, que le litige relevait de la juridiction prud'homale, motivant sa décision par le fait que, sous couvert d'une contestation des comptes, M. R. discutait un élément contractuel de sa rémunération en invoquant une violation des conditions d'exécution du plan de souscription d'actions. Telle ne va pas être la position de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui, s'appuyant conjointement sur les articles L. 1411-1 du Code du travail et L. 721-3. 2° du Code de commerce, va retenir la compétence du tribunal de commerce. Elle décide, ainsi, que si l'attribution par l'employeur à un salarié d'une option donnant droit à une souscription d'actions constitue un accessoire du contrat de travail, les différends pouvant, ensuite, s'élever dans les relations entre la société et le salarié devenu actionnaire, indépendamment des conditions d'acquisition de ses actions, sont de la compétence de la juridiction commerciale.
II - Quelle utilisation pour la notion d'accessoire ?
La notion d'accessoire, destinée, en principe, à rattacher les litiges au contrat de travail semble, ici, permettre, au contraire, de restituer à la juridiction commerciale son contentieux naturel. Il convient alors de s'interroger, compte tenu de leur proximité, sur la portée (A) des deux décisions de juillet et de septembre 2008, la dernière d'entre elles semblant donner une singulière vigueur à l'accessoire (B) en tant que critère d'attribution.
A - La portée des deux décisions face au contexte jurisprudentiel
La comparaison des faits ayant donné lieu aux deux décisions précitées laisse peu de doute quant à la nécessité, pour le juge du droit, de dissocier les solutions, même si, dans les deux cas, c'était une cession d'action qui était en cause. En effet, si la première affaire renvoie indiscutablement à une condition particulière attachée au licenciement du salarié, qui donnait effet au pacte d'actionnaire, la seconde ne renvoie qu'indirectement à une éventuelle liaison du litige avec le contrat de travail. Ainsi, en proposant cet arrêt à la publication (F-P+B), la Cour de cassation pose une limite à l'extension -au demeurant justifiée- de la compétence des conseils de prud'hommes. Il reste, toutefois, à déterminer si, ce faisant, le juge est susceptible de nous donner une grille de lecture suffisamment claire de sa jurisprudence.
La notion d'accessoire, en l'occurrence, semble permettre, contrairement à celle de différend né "à l'occasion du travail" d'opposer une restriction à la compétence du conseil de prud'hommes. Il est ainsi possible de rapprocher des deux espèces commentées de solutions voisines apportées par le juge. En matière d'attribution d'action ou de l'octroi de droits de souscription, la jurisprudence est, en effet, constante pour considérer que sont des conventions accessoires, celles en vertu desquelles l'employeur octroie un avantage en nature ou en espèces. L'attribution directe ou indirecte d'actions ou de parts sociales se rattache à ce dispositif et, bien que ces attributions soient généralement accessoires, elles sont liées à l'exécution du contrat de travail en tant qu'elles s'analysent comme un complément de rémunération. Dès lors, la compétence du conseil de prud'hommes est retenue par le juge, et, ce, qu'il s'agisse de promesses de cessions d'actions ou d'attribution de stock-options dont la levée ou l'exercice sont, dans leur principe, subordonnées à la continuité de la relation salariale, c'est-à-dire à l'absence de rupture (4) ou de suspension (5) du contrat. En revanche, un arrêt récent, rendu par la Chambre sociale le 18 octobre 2007, et rédigé sous forme d'une décision de principe, est venu souligner qu'a contrario, le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour statuer sur les conditions de mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaire "qui ne constitue pas un accessoire au contrat de travail" (6). Il semble, ainsi, que la compétence du tribunal de commerce soit préservée et que la décision rendue le 16 septembre 2008 vienne parachever cette évolution jurisprudentielle.
L'analyse des deux arrêts commentés, permet de mesurer le champ d'application de la notion. Si dans le premier, le juge n'utilise pas celle d'accessoire, c'est que le conflit est directement lié à la rupture du contrat de travail, même si c'était la mise en jeu du pacte d'actionnaire qui se trouvait contestée dans le moyen. La motivation est claire sur ce point : la compétence est déterminée "en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait de son licenciement". Dans le second arrêt, en revanche, la Chambre sociale rappelle sa jurisprudence constante en précisant que, par nature, la "souscription d'actions constitue un accessoire du contrat de travail", ce qui renvoie à l'idée qui vient d'être évoquée : la relation avec un élément de rémunération. Toutefois, les litiges qui naissent ultérieurement, liés à la qualité d'associé, et dont la survenance est indépendante "des conditions d'acquisition de ses actions", relèvent de la compétence du tribunal de commerce.
B - L'utilité de la notion d'accessoire
Vue sous ce prisme, la notion d'accessoire s'avère utile pour permettre au juge du droit de fixer les limites respectives de la compétence des conseillers prud'homaux et des juges commerciaux. Si, en effet, les termes de l'article L. 1411-1 du Code du travail paraissent lier indissolublement le juge (contraint de décider de la compétence du conseil dès que le litige est né à l'occasion du contrat de travail), il est de nombreux domaines périphériques où la notion d'accessoire peut être utilisée, dans toute sa plasticité, afin d'attraire, à l'inverse, le contentieux vers la juridiction commerciale. Il nous apparaît, en effet, même si cette analyse devra être confirmée ultérieurement par la lecture attentive de la jurisprudence, que la notion d'accessoire permet de lier, lorsque les circonstances l'exigent ou que la logique juridique le commande, les contentieux qui résultent indirectement de l'exécution ou de l'inexécution du contrat de travail. En revanche, ce caractère accessoire, qui ne constitue pas une donnée textuelle, permet au juge de s'affranchir de la relation entre un contentieux annexe (qui porterait, par exemple, sur un pacte d'actionnaire) et le conflit principal, lorsqu'il apparaît que les liens qui les unissent sont trop ténus. La mise en oeuvre du droit commercial, notamment en matière de cession d'actions, pourrait ainsi échapper à la sujétion étroite, en termes de compétence, qu'aurait pu lui imposer une application rigoureuse du seul article L. 1411-1 du Code du travail.
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