Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 05-45.347, Syndicat national des cadres et employés techniciens agents de maîtrise et assimilés des industries du bâtiment des travaux publics et des activités annexes et connexes CFE-CGC, FS-P+B (N° Lexbase : A7310DYE)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Ni l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M), ni l'article 6 du Préambule de la Constitution (N° Lexbase : L6815BHU), ni l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI), ne font obstacle à ce qu'un accord collectif établisse des règles de répartition inégalitaire d'une contribution au financement du dialogue social entre les organisations syndicales représentatives, dès lors, d'une part, que cette répartition n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer à quiconque l'adhésion ou le maintien de l'adhésion à une organisation syndicale, aucune organisation syndicale représentative n'en étant exclue et, d'autre part, que la différence de traitement est justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord. |
1. Le financement des syndicats par l'employeur
En théorie, le financement des syndicats de salariés devrait être assuré par les seules cotisations syndicales. Toutefois, compte tenu d'un taux de syndicalisation dramatiquement bas, les ressources issues des cotisations sont, en pratique, extrêmement limitées. Aussi, le financement des organisations syndicales prend-il, de longue date, d'autres canaux, plus ou moins avouables et avoués (1).
Pour aller à l'essentiel, outre les cotisations, les ressources de nos syndicats proviennent de financements publics et parapublics et de financements que l'on qualifiera, faute de mieux, de privés. S'agissant de ces derniers, qui seuls nous intéresseront ici, sont, d'abord, visés les financements versés par les entreprises. Loin d'être nouvelle, cette pratique a pris un essor particulier à l'orée des années 1990, avec la signature de nombreux accords d'entreprise relatifs au droit syndical (2). La contribution patronale au financement des organisations syndicales trouve son origine la plus connue dans l'accord Axa, signé en juillet 1990, qui a créé le fameux "chèque syndical" (3). Si la formule adoptée par cet accord a été, par la suite, reprise dans certaines entreprises, d'autres s'en sont quelque peu éloignés en mettant en oeuvre d'autres modalités de financement. Celles-ci sont, aujourd'hui, relativement différentes selon les accords. On peut, néanmoins, les regrouper en deux grandes catégories.
Dans une première série d'accords, la contribution patronale au financement des syndicats passe par l'intermédiaire des salariés, qui se voient remettre un bon, à charge pour eux de l'attribuer ou non à l'organisation syndicale de leur choix. Les autres accords, qui ont institué un financement patronal des organisations syndicales, ont opté pour un mode de financement qui ne fait plus du salarié un intermédiaire de celui-ci. Dans ces accords, en effet, les syndicats se voient remettre une somme forfaitaire annuelle, parfois complétée par une part variable calculée en fonction des résultats obtenus aux dernières élections professionnelles. Quelle que soit la modalité de financement retenue, il faut relever que la plupart des accords en cause soumet le bénéfice de l'avantage à certaines conditions restrictives.
Pour en venir à l'espèce qui nous intéresse, n'était pas en cause un accord d'entreprise, mais un accord de branche et, plus exactement, un accord conclu entre la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment et l'ensemble des organisations syndicales représentatives, le 25 janvier 1994. Visant à organiser la négociation collective dans les entreprises du bâtiment occupant au plus 10 salariés, cet accord étendu fixait le montant de la participation des entreprises au financement du dialogue social dans la branche et répartissait cette participation par parts égales entre les différentes organisations représentatives.
Cet accord a été modifié par un avenant du 20 octobre 2003, qui a abandonné cette répartition égalitaire, pour allouer 3/13ème de la participation à la CFDT, la CGT et la CGT-FO et 2/13ème à la CFTC et à la CFE-CGC. La fédération Bati-Mat-TP CFTC et le syndicat national CFE-CGC du bâtiment ont refusé de signer cet avenant et ont demandé judiciairement son annulation en invoquant une violation du principe d'égalité à valeur constitutionnelle et de l'article L. 120-2 du Code du travail.
Bien que la question ne soit nullement posée à la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, il importe de dire quelques mots sur la validité du financement des syndicats par l'employeur. On ne saurait, évidemment, tirer partie de la pratique en la matière pour inférer une quelconque licéité de principe d'un tel financement. Bien au contraire, de solides arguments pourraient être opposés à celui-ci et, notamment, le principe de l'indépendance des syndicats à l'égard de l'employeur (4).
Faute de texte précis sur la question, il convient de se tourner vers la jurisprudence. Si la Cour de cassation n'a pas, à notre connaissance, expressément affirmé la licéité du financement patronal, elle l'a admis de manière indirecte dans un important arrêt du 29 mai 2001. On se souvient, en effet, que, dans cette décision, la Chambre sociale a censuré, sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité, la clause conventionnelle réservant le bénéfice d'une subvention de fonctionnement aux seuls syndicats signataires de l'accord collectif en cause (Cass. soc., 29 mai 2001, n° 98-23.078, Union nationale des syndicats CGT-Cegelec c/ Société Cegelec et autres, publié N° Lexbase : A4696AT4 ; Dr. soc. 2001, p. 821, note G. Borenfreund ; D. 2002, p. 34, note F. Petit). Ce faisant, on peut considérer que la Cour de cassation a reconnu la validité du financement des syndicats par l'employeur, tout en la soumettant au respect du principe d'égalité. C'est aussi ce qui ressort de la décision commentée, la Chambre sociale prenant soin de relever qu'aucune organisation syndicale représentative n'était exclue du bénéfice de la contribution au financement du dialogue social.
La licéité de principe du financement patronal étant admise, restait à savoir si la norme conventionnelle peut prévoir une répartition inégalitaire de la contribution de l'employeur. Avant d'envisager cette question, qui est au coeur de l'arrêt sous examen, il importe de relever que n'était pas en cause, à proprement parler, un financement patronal à destination des syndicats, mais, plus exactement, une contribution des entreprises de la branche destinée au financement du dialogue social. Sans doute, l'objectif poursuivi réside-t-il dans le renforcement du dialogue social dans les branches de l'artisanat où celui-ci est généralement peu développé. Il n'en demeure pas moins que la contribution en cause permet, peu ou prou, de financer les organisations syndicales (5).
Il faut, enfin, noter que, dans un arrêt en date du 30 juin 2003, le Conseil d'Etat a admis la licéité de la contribution patronale prévue par l'accord UPA, en affirmant, que "ni les dispositions du sixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution [...], ni les stipulations de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4744AQR) [...] n'interdisent qu'une convention ou un accord collectif étendu institue une contribution à la charge des employeurs pour favoriser le développement du dialogue social dès lors qu'elle n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer, directement, ou indirectement, à quiconque l'adhésion ou le maintien de l'adhésion à une organisation syndicale" (CE 30 juin 2003, n° 248347, Mouvement des entreprises de France et a. N° Lexbase : A2142C99 ; RJS 10/03, n° 1197 ; Adde les concl. de P. Fombeur, Dr. soc. 2003, p. 1112).
2. La répartition de la contribution patronale au financement du dialogue social
Ainsi que l'indique la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, "ni l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, ni l'article 6 du Préambule de la Constitution, ni l'article L. 120-2 du Code du travail ne font obstacle à ce qu'un accord collectif établisse des règles de répartition inégalitaire d'une contribution au financement du dialogue social entre les organisations syndicales représentatives, dès lors, d'une part, que cette répartition n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer à quiconque l'adhésion ou le maintien de l'adhésion à une organisation syndicale, aucune organisation syndicale représentative n'en étant exclue, et que, d'autre part, la différence de traitement est justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord".
Ce motif de principe, dont l'importance est évidente, exige d'être décrypté. Tout d'abord, il apparaît que seul un accord collectif est à même de prévoir une répartition inégalitaire d'une contribution patronale au financement du dialogue social, à l'exclusion de toute décision unilatérale de l'employeur. On pourra, certes, s'étonner qu'un syndicat non signataire de l'accord se voit, ainsi, imposer une stipulation à laquelle il n'a point consentie. Mais, il convient de rappeler que ce même syndicat peut, nonobstant sa qualité de tiers à l'acte juridique, revendiquer le bénéfice des avantages qui y sont prévus. C'est bien la moindre des choses qu'ils soient, en contrepartie, tenus de respecter les obligations de ce même accord (6).
Ensuite, la répartition inégalitaire de la contribution patronale n'est admissible que dans la mesure où elle n'a ni pour objet, ni pour effet, d'imposer à quiconque l'adhésion ou le maintien de l'adhésion à une organisation syndicale. La Cour de cassation rejoint, ainsi, le Conseil d'Etat qui, nous l'avons vu précédemment, a apprécié et admis la validité de la contribution en cause à l'aune de la liberté syndicale, envisagée dans son aspect "négatif", c'est-à-dire comme le droit de ne pas se syndiquer (7). Selon la Chambre sociale, dans la mesure où la contribution bénéficie à toutes les organisations syndicales représentatives, la liberté syndicale se trouve préservée. On admettra que ce n'est pas parce qu'un syndicat bénéficie d'une part plus importante qu'un autre, que les salariés sont contraints d'adhérer ou de rester membre de celui-ci. Tout au plus, leur choix peut-il être infléchi dans la mesure où le syndicat mieux doté a la possibilité d'intervenir plus nettement que les autres dans la négociation (8).
Si la liberté syndicale n'est nullement remise en cause par la stipulation litigieuse, qu'en est-il de l'égalité de traitement entre les syndicats dont on sait qu'elle a valeur constitutionnelle ? (9) On aura compris que celle-ci commande, avant tout, qu'aucun syndicat représentatif ne soit exclu du bénéfice de la contribution patronale (10). Au-delà, la Cour de cassation indique très clairement que la part revenant à chacun de ces syndicats peut être variable. Plus exactement, et pour reprendre les termes de l'arrêt, il faut que "la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord".
On constate ainsi que la mise en oeuvre de l'égalité de traitement entre syndicats n'est guère éloignée de l'application du principe d'égalité de traitement entre les salariés (11). Dans un cas comme dans l'autre, l'égalité de traitement exige "seulement" que, pour bénéficier d'un même avantage, les prétendants à ce dernier doivent se trouver dans une situation objectivement identique. Or, affirmer qu'un syndicat représentatif est plus influent qu'un autre dans le champ de l'accord, c'est reconnaître qu'ils ne sont pas dans une situation identique.
Rappelons que, selon la Chambre sociale, la différence de traitement doit être justifiée par "des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord".
Il semble que, pour la Cour de cassation, seules peuvent être admises, au titre de justifications de la différence de traitement, les raisons liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord. Par suite, la contribution de l'employeur ne pourrait pas varier en fonction d'un autre critère. Il est vrai que, s'agissant d'un accord de branche, on éprouve quelques difficultés à imaginer d'autres critères que celui retenu (12). En outre, il est difficile de trouver un critère plus large que celui de l'influence du syndicat dont il faut rappeler qu'il permet, aujourd'hui, aux côtés de l'indépendance, de déterminer la représentativité des syndicats ne bénéficiant pas de plein droit de cette dernière.
Toutefois, et ainsi que le précise la Cour de cassation, "la représentativité du syndicat CFE-CGC du bâtiment et de la fédération Bati-Mat-TP CFTC et les prérogatives légales qui s'y attachent n'étant pas contestées, les dispositions de l'article L. 133-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5695ACW) n'étaient pas applicables". Cette assertion laisse à penser que l'influence du syndicat dont il est question dans la décision ne saurait être appréciée au regard des critères du texte précité. Cela relève d'une certaine logique, dans la mesure où les syndicats en question bénéficient de la présomption de représentativité. Or, utiliser les critères en cause reviendrait en quelque sorte à demander à ces derniers de prouver leur représentativité, ce qui serait, pour le moins, paradoxal et éminemment contestable. Mais, alors, quels critères retenir ?
La décision laisse entendre qu'ont été pris en compte, en l'espèce, la structure salariale du secteur concerné et le résultat des élections prud'homales. Mais, cela revient à prendre en compte, s'agissant de ce dernier point, l'audience électorale du syndical qui constitue de longue date un critère prétorien permettant d'apprécier la représentativité des syndicats (13).
Au total, la décision rapportée laisse un sentiment mitigé. On peut trouver justifiée la possibilité reconnue aux parties signataires d'un accord collectif d'instaurer une différence de traitement entre syndicats représentatifs, dès lors que ces derniers ne sont pas dans une situation identique. Il n'y a là que la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement. On reste, en revanche, dubitatif quant aux raisons objectives permettant de justifier cette différence de traitement. Sans doute, celles-ci doivent-elles être "matériellement vérifiables" et "liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord". Mais, cela ne nous avance guère quant au fait de savoir quels sont, très concrètement et précisément, ces critères de distinction, même s'il semble que l'audience des syndicats pourrait être un critère à retenir.
Décision
Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 05-45.347, Syndicat national des cadres et employés techniciens agents de maîtrise et assimilés des industries du bâtiment des travaux publics et des activités annexes et connexes CFE-CGC, FS-P+B (N° Lexbase : A7310DYE) Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. C, 22 septembre 2005, n° 04/14943 N° Lexbase : A9534DKC) Textes concernés : article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M) ; article 6 du Préambule de la Constitution (N° Lexbase : L6815BHU) ; C. trav., art. L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI). Mots-clefs : syndicats ; financement patronal ; égalité de traitement ; représentativité. Lien bases : |
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