Lecture: 23 min
N2437BCA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
le 07 Octobre 2010
Les faits ayant donné lieu à l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 12 juillet 2007 sont d'une totale banalité pour un contrat d'assurance de groupe. En 1988, une banque accorde aux époux P. un prêt. Bien évidemment, elle exige en garantie de ce dernier qu'ils adhèrent au contrat d'assurance de groupe qu'elle a souscrit auprès de l'assureur GAN. Malheureusement -mais sinon, il n'y aurait pas de litige-, en 1996, Monsieur P., en arrêt de travail, sollicite, par l'intermédiaire de sa banque, la prise en charge de son incapacité temporaire totale de travail par l'assureur. Or, c'est aussi par ce biais que ce dernier fait savoir à l'assuré qu'il lui refuse sa garantie. Le souscripteur informe l'assuré au moyen d'un courrier daté du 10 juillet 1996. Le 15 novembre 2000, Monsieur P. l'assigne, ainsi que la banque, en paiement de dommages-intérêts. Mais la cour d'appel déclare son action prescrite.
Pour contester cette décision, l'assuré s'appuie sur la jurisprudence récente de la Cour de cassation en matière d'assurance de groupe, selon laquelle, la prescription pour ces contrats ne commence à courir qu'à compter du premier des deux événements suivants : soit le refus de garantie de l'assureur, soit la demande en paiement de l'établissement de crédit, bénéficiaire du contrat d'assurance de groupe (1). Plus précisément, le pourvoi essaye de démontrer que le refus de garantie par l'assureur n'a pas eu lieu, puisque le seul courrier qu'il ait reçu émanait du souscripteur du contrat d'assurance de groupe ; par conséquent, il en déduit que la lettre du 10 juillet 1996 ne constituait pas une information valable ayant pu faire courir le délai de prescription. La Cour de cassation rétorque qu'aucune disposition légale n'impose que ce soit l'assureur lui-même qui écrive à l'assuré, ce qui est exact à strictement parler. Aucune règle n'énonce dans une assurance de groupe souscrite par un établissement bancaire qui, de l'assureur ou de ce type de souscripteur, est tenu de l'accomplissement de cette formalité dont l'importance s'est accrue en raison de l'évolution de la jurisprudence en matière de point de départ du délai de prescription.
Il faut bien avouer que les dispositions légales relatives au rôle exact, vis-à-vis de l'assureur, du souscripteur d'une assurance de groupe lorsqu'il s'agit d'un établissement de crédit, sont inexistantes. Dans les autres hypothèses d'assurance de groupe, l'article L. 141-6, alinéa 1, du Code des assurances (N° Lexbase : L9847HEG), prévoit que le souscripteur est considéré comme le mandataire de l'assureur pour de nombreux aspects de la vie du contrat d'assurance. Ce type de difficulté n'est donc pas délicat à trancher. Mais dans le cas des établissements de crédit, chacun le sait, l'alinéa 2 de l'article L. 141-6 du Code des assurances leur dénie cette qualité, sans autre précision. Et le législateur n'a pas comblé ce vide juridique. L'assuré voulait donc, judicieusement, utiliser cette lacune.
La réponse de la Cour de cassation ne convainc cependant pas tout à fait, d'autant qu'en pratique, le souscripteur joue souvent un rôle actif vis-à-vis de son client. Son attitude est même susceptible de créer une "apparence trompeuse" ou une "apparence susceptible d'induire en erreur l'assuré ou l'adhérent" pour reprendre des formules chères à la Cour de cassation lorsqu'elle sanctionne le défaut d'information de ces mêmes organismes (Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 05-12.603, FS-P+B N° Lexbase : A3749DQW, Bull. civ. II, n° 184, p. 176 ; Cass. civ. 2, 13 janvier 2005, n° 03-17.199, FS-P+B N° Lexbase : A0232DGP, Bull. civ. II, n° 4, p. 3). De plus, l'ambiguïté qui existe déjà autour du souscripteur d'une telle assurance de groupe n'est plus à démontrer, loin s'en faut, puisqu'il est tout à la fois souscripteur du contrat d'assurance de groupe mais aussi et surtout bénéficiaire final de la garantie proposée par l'assureur (V. Nicolas, L'assurance perte d'emploi ou la nébuleuse pour l'assuré consommateur, Cont., Conc., Cons., 1995, n° 8, p. 1). Une clarification générale de la part du législateur serait donc la bienvenue. A tout le moins des précisions sur les fonctions exactes dévolues à ce souscripteur original ne seraient pas inutiles.
Par ailleurs, le pourvoi avait également développé un second moyen consistant, une fois encore et toujours, à mettre en cause l'obligation d'information du souscripteur, c'est-à-dire la banque BNP. Or cet argument appelle une certaine désapprobation. Le pourvoi rappelait cette jurisprudence acquise depuis des années selon laquelle, en assurance de groupe, l'obligation d'information du souscripteur ne s'achève pas avec la remise de la notice (2). Il reprochait donc à ce dernier de ne pas l'avoir alerté sur le délai, bref en assurance, de la prescription biennale, comme d'ailleurs de ne pas lui avoir suggéré de souscrire une autre assurance en raison de la procédure collective dont il était l'objet alors qu'il avait pourtant bien songé à déclarer sa créance comme celle de l'assureur. Là encore, la Cour de cassation ne fait pas droit à ses prétentions. Elle estime que la notice d'information remise mentionnait expressément les conditions de mise en oeuvre de la garantie, qu'elle avait été transmise avec diligence et que le pourvoi ne reprochait pas à l'assureur d'avoir eu une interprétation inexacte des termes de la police.
Ainsi que nous l'avions annoncé il y a quelques mois (3), on obtient à la fois la confirmation de solutions antérieures et celle de l'atténuation de la sévérité de la Cour de cassation dans les sanctions mises en oeuvre pour absence ou non-respect de l'obligation d'information de l'assureur ou du souscripteur d'une assurance de groupe. Il est permis d'approuver une telle analyse tant il apparaît, depuis quelque temps, fréquent que les adhérents à un contrat d'assurance de groupe tentent de trouver dans cette obligation d'information le remède à leur désappointement provenant pourtant de leur propre inertie ou d'une certaine duplicité. L'argument du non-respect de l'obligation d'information par le souscripteur est devenu le moyen quasi systématiquement utilisé quelle qu'est pu être l'attitude du souscripteur du contrat d'assurance de groupe ou bien de l'assureur. S'il y a peu de temps encore, la Cour de cassation faisait preuve de rigueur dans son appréciation de certaines situations (4), consciente de la multiplication de ces plaideurs à la limite de l'honnêteté intellectuelle, elle semble faire preuve de circonspection, peut-être particulièrement depuis ces tous derniers mois.
Car deux conceptions sont possibles : ou bien, on considère qu'il incombe à ces professionnels de l'assurance -qu'ils soient assureur ou souscripteur- d'exposer à leur client tout le droit du contrat d'assurance, celui du Code civil et du Code de procédure civile, ou bien, l'obligation d'information connaît des limites. C'est cette seconde voie que la Cour de cassation a choisie. La première option serait d'ailleurs irréaliste. S'il faut approuver la jurisprudence -qui l'a encore rappelé en Assemblée plénière le 2 mars dernier (5)- sanctionnant les comportements légers de ces souscripteurs peut-être insuffisamment formés, en dépit des efforts nombreux déployés au cours de ces dernières années, il ne faut pas verser dans l'excès inverse. Un assureur ou même son mandataire ne peut pas être un avocat, un conseil juridique ou un professeur de droit agrégé des universités.
Il demeure que la difficulté pour les magistrats est alors de déterminer les informations concrètes qui doivent être l'objet d'une attention particulière et donc d'une information précise. La jurisprudence s'attache, en fait, aux dispositions contractuelles elles-mêmes. Dans ce cas, l'obligation d'information se mue en obligation de conseil. Toutefois, la Cour de cassation réserve un sort un peu particulier pour le délai de prescription, peut-être parce que le législateur n'a pas exigé par exemple que celui-ci soit, comme les clauses d'exclusion ou de nullité, rédigé en caractères très apparents. Le délai de prescription assez bref, il est vrai, qui a été voulu tel par le législateur, avait pour objectif d'éviter certains contentieux. On peut le déplorer et juger qu'une prescription triennale ou même quinquennale serait de bon aloi. Mais il ne revient pas à la Cour de cassation d'opérer cette modification majeure.
Véronique Nicolas
Professeur de droit privé
Membre de l'IRDP de la Faculté de droit de Nantes
S'il est une discussion classique du droit des assurances, c'est celle qui porte sur la définition du risque couvert par distinction entre conditions de garantie et exclusions de garantie. Chacun sait que le Code des assurances a porté une attention toute particulière sur les exclusions, exigeant qu'elles soient rédigées "en caractères très apparents" (C. ass., art. L. 112-4 N° Lexbase : L0055AAB) et qu'elles soient formelles et limitées (C. ass., art. L. 113-1 N° Lexbase : L0060AAH), afin que l'assuré prenne pleinement conscience des limites de son contrat. Ces exigences de forme ne sont pas applicables aux conditions de garantie (6), à l'endroit desquelles les juges doivent se limiter, ce qui n'est pas mince, à une vérification de la clarté des définitions des risques couverts et des conditions dont la réalisation est exigée pour que la situation survenue entre bien dans la définition du sinistre couvert. Au chapitre de la preuve, les deux figures se séparent encore puisque, "s'il s'agit d'une clause d'exclusion, la preuve incombe à l'assureur, [tandis que] s'il s'agit d'une condition de garantie, la preuve incombe à l'assuré" (7).
On voudrait, ici, que les choses soient simples, mais la casuistique est reine et la diversité de rédaction des clauses conduit souvent à des solutions diverses. En outre, derrière l'apparente simplicité d'une dichotomie (condition/exclusion), se nichent des subtilités, telle celle liée à l'existence d'exclusions indirectes, lesquelles procèdent d'une déduction par a contrario des conditions de garantie (8). Une telle lecture postule, c'est une évidence, une suffisante clarté des termes employés. Or, sur ce terrain, on sait que les clauses d'exclusion ambiguës ont été marquées par une évolution jurisprudentielle dont il résulte que si, avant 2001, la Cour de cassation exigeait des juges du fond qu'ils se livrassent à une interprétation des termes équivoques employés dans ces clauses, elle a, par un arrêt du 22 mai 2001 (9), changé de cap en retenant qu'une "clause d'exclusion ne peut être formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée", solution plus sévère dans l'admission de la validité de ces clauses et qui dénie aux juges du fond tout pouvoir d'appréciation. En est-il de même sur le terrain des conditions de garantie ?
A suivre un auteur, c'est une réponse négative qui s'imposerait, car "si les juges du fond ont perdu leur pouvoir d'interprétation des clauses d'exclusion claires et précises [...], [ils] conservent leur pouvoir d'interprétation des autres clauses ambiguës stipulées dans les polices par l'assureur" (10). Toutefois, un arrêt de la Cour de cassation rendu justement à propos de l'interprétation des termes ambigus employés pour définir les conditions d'une garantie, a été remarqué pour avoir employé l'article L. 133-2, alinéa 2, du Code de la consommation (N° Lexbase : L6646ABR), plutôt que le "classique" article 1162 du Code civil (N° Lexbase : L1264ABG), pour imposer la solution énergique et radicale selon laquelle "les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou non-professionnels doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. Elles s'interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel". Or, on partagera volontiers l'analyse (11) selon laquelle cet article, en forme de sanction à l'encontre du professionnel (ici assureur), constitue une véritable directive pour le juge, qui n'a, dès lors, plus guère de marge d'appréciation, et dont le rôle se borne à identifier une ambiguïté. Il ne faut toutefois tirer cette conclusion d'une sanction de l'ambiguïté imposée par la loi qu'au bénéfice des assurés répondant à la qualification de "consommateur ou de non-professionnel", ce qui, raisonnablement, évince les assurances de risques professionnels (12).
C'est justement au chapitre de cette identification d'une éventuelle ambiguïté de la définition des conditions de garantie que l'arrêt rapporté du 14 juin 2007 apporte une contribution intéressante. En l'espèce, dans le cadre d'une assurance automobile, l'assuré a souscrit un contrat le couvrant contre le vol du véhicule dans les termes suivants : "Soustraction frauduleuse du véhicule : commise par effraction du véhicule et des organes de direction". Les conditions semblent d'une grande clarté ; la couverture semble conditionnée à la réunion de deux éléments constitutifs : une effraction du véhicule et une effraction des organes de direction de ce véhicule. Voilà qui procède donc à une exclusion indirecte du vol avec effraction du véhicule mais sans effraction de ses organes de direction ou vice-versa. Or, en l'espèce, l'assuré s'est fait voler "son véhicule [...] alors qu'il était stationné devant son domicile [et celui-ci a été retrouvé trois jours plus tard] la serrure de la porte avant gauche fracturée, divers équipements intérieurs et électriques ayant été volés". On passera sur le fait "qu'ont été encore volés le capot ainsi que l'aile avant droite alors que le véhicule était dans les locaux du garage où il avait été transporté", circonstances qui prouvent qu'un adage "vol sur vol vaut" reste à inventer mais plus à démontrer et qui devraient, au besoin, fournir à l'assuré se voyant opposer un refus de garantie, de quoi former une action distincte contre le garagiste dépositaire...
On insistera davantage sur le fait que les juges du fond s'étaient appuyés sur les expertises révélant l'effraction de la porte avant gauche et le vol de différents équipements à l'intérieur du véhicule, en s'abstenant, toutefois, de relever "que les experts avaient constaté l'absence de trace d'effraction" sur les organes de direction, omission relevée par la Cour de cassation. Le cumul de conditions constituait une exigence que les juges du fond avaient cherché à contourner. Pour échapper aux rigueurs du droit des assurances et condamner l'assureur à couvrir le sinistre, les juges de la cour d'appel de Paris avaient choisi de s'appuyer sur le droit de la preuve et, implicitement, sur le droit pénal.
C'est, en effet, sur le fondement du principe selon lequel "la preuve du sinistre est libre" que les juges du fond ont déployé un raisonnement qui tient l'exigence d'indices "prédéterminés et cumulatifs" pour inopérante. Seul importe, dans leur logique, que soit matériellement établie la réalité du vol. Constatant, au vu des expertises, l'effraction de la porte avant gauche du véhicule, le vol de différents équipements à l'intérieur de l'automobile, et le fait qu'il ait été retrouvé loin du domicile de l'assuré, ils en concluent "que ces circonstances établissent le vol du véhicule et que l'assureur ne peut se prévaloir d'une clause contractuelle exigeant en outre, des indices prédéterminés et cumulatifs, à savoir l'effraction des organes de direction du véhicule". Outre le principe de liberté de la preuve du sinistre, n'est-ce pas, implicitement, suggérer que la définition contractuelle du vol ne saurait être plus rigoureuse que la définition pénaliste, que le droit des assurances serait subordonné au droit pénal pour ce qui a trait à la définition du vol ? Que penser d'un tel raisonnement ?
Les appuis peuvent sembler solides puisque les juges parisiens semblent s'être placés dans le "sillage" d'un grand arrêt du droit des assurances en date du 10 mars 2004 (13), rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation au double visa des articles 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG) et, surtout, 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), aux termes duquel "la preuve du sinistre, qui est libre, ne peut être limitée par le contrat". La proximité avec notre espèce est patente puisqu'il s'agissait déjà de prouver les conditions du vol en matière automobile. Or, dans cette espèce, la convention litigieuse "prévoyait que l'assuré établisse, outre des détériorations liées à une pénétration dans l'habitacle par effraction, le forcement de la direction ou de son antivol et la modification des branchements électriques ayant permis le démarrage du véhicule" et les juges du fond avaient jugé "que si les circonstances du vol envisagées par la police sont du domaine du fait juridique dont par principe la preuve est libre, la garantie n'est due, en cas de recours à des techniques plus affinées d'appréhension frauduleuse, que lorsque ces modes opératoires causent des détériorations matérielles figurant au nombre des indices exigés par la police". Ce raisonnement avait été censuré car les juges du fond, respectueux du contrat et de la jurisprudence jusqu'alors défendue par la première chambre civile de la Cour de cassation (14), s'étaient vus reprocher d'avoir méconnu le principe de liberté de la preuve auquel le contrat ne saurait porter atteinte. La nécessité, pour l'assuré, de rapporter la preuve d'un vol au sens de la police par démonstration de trois éléments précis cumulatifs (pénétration par effraction ; forcement de la direction ou d'un antivol ; modification des branchements électriques) était donc jugée attentatoire au principe de liberté de la preuve.
Mais l'exacte portée de cet arrêt du 10 mars 2004 restait à déterminer. Dans une première lecture, plus générale, il semblait traduire l'idée selon laquelle l'insertion de conditions de garantie dont la preuve serait, pour l'assuré, quasi-impossible (ou trop difficile) à rapporter, priverait de cause son engagement, de sorte que cette clause devrait être réputée non écrite (15). Dans une deuxième lecture, plus technique, on a souligné que "l'arrêt suggér[ait], en quelque sorte, de bien distinguer les mesures factuelles de précaution que le contrat met à la charge de l'assuré, et dont celui-ci devra encore demain prouver la réalité [par ex., la pose préalable d'un dispositif antivol, d'une alarme] et la réalisation du sinistre proprement dite, que l'assuré subit entièrement et dont la preuve ne peut donc être pour lui restreinte. C'est dire que l'assuré ne saurait ici devoir établir l'effraction proprement dite" (16). Cet arrêt du 10 mars 2004 avait été perçu comme une véritable remise en cause, sous couvert de principes probatoires, de l'existence même de conditions de garantie (17). Mais cette lecture était peut-être trop optimiste et il était permis de penser que l'assuré aurait toujours la charge d'établir que les conditions du contrat sont bien réunies (donc l'effraction ou plutôt la double effraction) mais que les moyens pour établir la réalisation du sinistre ne pourraient faire l'objet d'indices fixés par le contrat. Mais restait à trancher un conflit de qualifications : l'effraction est-elle un indice du vol ou une véritable condition de garantie du vol ? Bref, il restait à prendre la véritable mesure de l'articulation entre droit de la preuve et conditions de garantie, spécialement lorsque celles-ci sont draconiennes et difficiles à établir, et à surveiller si la deuxième chambre civile aurait l'audace d'user de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9) pour sanctionner des clauses qui lui sembleraient telles qu'elles aboutissent à "vider" la garantie de sa substance. En effet, de deux choses l'une : soit les conditions exigeant un vol "qualifié" (par effraction ou double effraction) sont ravalées au rang d'éléments probatoires et "balayées" par un principe de liberté de la preuve, soit cette exigence de "qualification" demeure bien une condition de garantie, car l'assureur est encore maître de son choix : couvrir un vol "simple", quelles que soient les circonstances, ou un vol "qualifié", sorte de "vol complexe" dont il détermine les critères, et cette liberté de couverture doit être préservée.
Ce manque de clarté de l'arrêt du 10 mars 2004 nécessitait que la deuxième chambre civile précise sa pensée. L'arrêt du 14 juin 2007 nous semble apporter une contribution décisive et fournir des premiers éléments de réponse à ces interrogations.
La cour d'appel de Paris avait pris le parti d'une lecture extensive de l'arrêt du 10 mars 2004 en qualifiant les conditions de garantie "d'indices prédéterminés et cumulatifs" attentatoires au principe de liberté de la preuve du sinistre. La censure prononcée par les Hauts magistrats de la deuxième chambre civile au visa de l'article 1134 du Code civil, pour dénaturation du contrat par les juges du fond, conforte, au contraire, cette qualification de condition de garantie. Voilà qui consolide les polices exigeant la réunion de conditions cumulatives (effraction du véhicule et des organes de direction) pour constituer un vol garanti. C'est suggérer un équilibre entre droit du contrat et droit de la preuve : les conditions insérées doivent être respectées car elles ne sont pas de simples indices (du sinistre) mais de véritables critères (de l'objet garanti). Si la preuve est libre, c'est pour mieux permettre à l'assuré de prouver que les faits litigieux correspondent à la qualification de vol au sens de son contrat d'assurance, en répondant aux éléments de qualification consignés dans sa police au rang de condition. C'est sérieusement minorer la portée d'un principe de liberté de la preuve et conforter, au passage, l'autonomie du droit des assurances à l'égard du droit pénal. Quant à l'éventualité d'une nullité d'une clause définissant des conditions de garantie de façon si restrictive qu'elle priverait de cause l'engagement de l'assuré, elle restera au stade d'hypothèse doctrinale. Cet arrêt du 14 juin 2007 sera donc perçu, selon la lecture qu'on avait privilégiée de l'arrêt du 10 mars 2004, tantôt comme un véritable revirement de jurisprudence (lecture qui a notre préférence), tantôt comme un arrêt de précision.
On conviendra que, sur un plan pratique, les choses confinent à la subtilité, surtout pour l'assuré profane, car celui dont le véhicule a, comme en l'espèce, été volé mais qui n'a pu établir d'effraction aux organes de direction du véhicule, n'est pas garanti et lui qui s'attend à être couvert contre le vol "au sens du droit pénal" et non "au sens [circonstancié] de son contrat d'assurance", ressentira ce refus de garantie au mieux comme une suspicion (le défaut de preuve d'une effraction des organes de direction pourrait laisser présumer qu'il a laissé ses clefs sur le contact ou à portée du véhicule, sans surveillance) ou comme une volonté de faire peser sur lui le risque d'un vol sans effraction (l'annotateur avoue ici ses limites : les voleurs n'ont-ils pas le génie de détourner les objets sans effraction ?), au pire comme une manoeuvre déloyale de l'assureur consistant à percevoir une prime pour couvrir un risque bien étroit sur lequel on n'a pas attiré son attention puisqu'il est ici question de condition et non d'exclusion de garantie... N'y-a-t-il pas, cependant, quelque moyen, pour lui, d'obtenir réparation ? Les ressources de l'obligation de conseil ou d'information pourraient, en dernier recours, être utilisées pour obtenir des dommages-intérêts faute d'indemnité d'assurance. Encore faut-il avoir égard au montant de prime payé par l'assuré, car il est nécessairement proportionné au risque couvert et celui qui s'acquitte d'une faible prime ne peut s'attendre à une couverture à toute épreuve ! Inversement, celui qui s'acquitte d'une prime substantielle peut, en qualité de créancier, nourrir l'espérance légitime d'une bonne couverture. Et l'on sait la bonne fortune actuelle de l'espérance légitime en la réalisation de son droit créance, tant pour la Cour européenne des droits de l'Homme que pour la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat (18) ...
Sébastien Beaugendre,
Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes,
Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)
(1) Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 05-15.603, M. Jacques Drugeon, F-P+B (N° Lexbase : A4575DQI), Bull. civ. II, n° 203, p. 194 ; Cass. civ. 2, 7 avril 2005, n° 04-12.309, M. Michel Jammeron c/ Société Vie plus, F-P+B (N° Lexbase : A7612DHE), Bull. civ. II, n° 87, p. 79 ; Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 98-20.595, M. Sylvestre Barros c/ Caisse d'épargne Ecureuil de La Rochelle, FS-P+B (N° Lexbase : A1110ATB), Bull. civ. I, n° 83, p. 52 ; RGDA 2001, p. 354, note J. Kullmann ; JCP éd. G, 2002, I, n° 116, obs. J. Kullmann ; H. Groutel, L'emprunteur et le point de départ de la prescription biennale : est-ce la fin de la fin ?, RCA 2001, chron. n° 23 ; Traité de droit des assurances, sous la direction de J. Bigot, Les assurances de personnes, Tome IV, n° 1122 et s., p. 896 et s. par L. Mayaux.
(2) Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 05-12.603, FS-P+B (N° Lexbase : A3749DQW), Bull. civ. II, n° 184, p. 176 ; Cass. civ. 2, 15 décembre 2005, n° 04-13.896, M. Alain Prechal c/ Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME), FS-P+B (N° Lexbase : A9983DLC), Bull. civ. II, n° 325, p. 286 ; Cass. civ. 2, 13 janvier 2005, n° 03-17.199, FS-P+B (N° Lexbase : A0232DGP), Bull. civ. II, n° 4, p. 3 ; Cass. civ. 2, 3 juin 2003, n° 03-13.896, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) normand c/ Mme Yvette N. (N° Lexbase : A4405DUP), Bull. civ. II, n° 261, p. 221 ; Cass. civ. 1, 18 décembre 1985, n° 84-13.014, Epoux Coppe c/ Société France Bail (N° Lexbase : A6107AAG), Bull. civ. I, n° 357, p. 322 ; la remise de la notice d'information ne suffit pas ; le souscripteur doit aussi conseiller le futur assuré ; le devoir d'information et de conseil ne se limite pas à la phase d'adhésion du contrat.
(3) Voir : V. Nicolas, Nouveaux refus de sanctionner la prétendue absence d'obligation d'information de l'assureur envers l'assuré (Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 05-19.700, FS-P+B N° Lexbase : A6827DTZ), in Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 251 du 8 mars 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N2992BA3).
(4) Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 05-12.603, FS-P+B (N° Lexbase : A3749DQW), Bull. civ. II, n° 184, p. 176 ; voir également : Cass. civ. 2, 15 décembre 2005, précité ; Cass. civ. 2, 13 janvier 2005, précité ; Cass. civ. 2, 3 juin 2004, précité ; Cass. civ. 1, 19 décembre 2000, n° 98-15.101, Epoux X c/ Banque nationale de Paris (BNP) (N° Lexbase : A2100AIM), Bull. civ. I, n° 325, p. 211 ; Cass. civ. 1, 2 février 1994, n° 91-12.251, Banque populaire du Nord c/ Consorts Baudet et autre (N° Lexbase : A5722AHE), Bull. civ. I, n° 39, p. 31.
(5) Ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, M. Henri Dailler c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX), et nos obs., Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N6221BAN); RGDA 2007, n° 2, p. 398, note J. Kullmann.
(6) Cf., jugeant inapplicable l'article L. 113-1 du Code des assurances aux clauses qui stipulent une condition de la garantie : Cass. civ. 1, 23 février 1999, n° 96-21.744, Société Sud marine bateau et autre c/ Banque La Hénin marine et autre (N° Lexbase : A7539AXI), Bull. civ. I, n° 59 ; Cass. civ. 1, 12 mai 1993, n° 91-14.125, M. Fernand Béraud c/ Compagnie d'assurances la Samda, inédit (N° Lexbase : A9516CRU), Resp. civ. et ass., 1993, comm. 277, RGAT 1993, p. 760, note Maurice ; Cass. civ. 1, 9 mai 1996, n° 94-13.295, M. René Roustant c/ Fédération nationale de la mutualité française, (FNMF), inédit (N° Lexbase : A2836CQ4), Resp. civ. et ass., 1996, comm. 266, obs. H. Groutel ; Cass. civ. 1, 11 juin 2003, n° 00-13.361, Compagnie AGF c/ M. Bernard Cadran, F-D (N° Lexbase : A7095C8B), Resp. civ. et ass., 2003, comm. 247 ; cf., jugeant inapplicable l'article L. 112-4 du Code des assurances aux clauses qui stipulent une condition de la garantie : Cass. civ. 2, 27 novembre 1990, n° 88-12.964, M. A. c/ Compagnie d'assurances UAP, inédit (N° Lexbase : A3283C4D), Resp. civ. et ass., 1991, comm. 70 ; Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, n° 02-11.570, Compagnie Les Assurances du Sud c/ Mme Ghislaine Delacroix, F-D (N° Lexbase : A6323C93), Resp. civ. et ass. 2003, comm. 333.
(7) J. Bonnard, Droit des assurances, Litec, 2ème éd., 2007, spéc. § 257, et la jurisprudence citée.
(8) Là-dessus, cf. Lamy Assurances 2007, spéc. n° 218, et les exemples jurisprudentiels cités à l'appui d'une qualification d'exclusion indirecte [entre autres. : une garantie limitée aux travaux réalisés par l'assuré constitue une exclusion indirecte des travaux sous-traités (Cass. civ. 1, 25 janvier 1989, n° 86-19.074, Epoux Courtois c/ Société L'Abeille et autres, inédit N° Lexbase : A8554CZT, RGAT 1989, p. 381, note J. Bigot ; Cass. civ. 1, 19 mai 1992, n° 90-18.199, Société HLM Carpi c/ Société anonyme Coignet et autres, inédit N° Lexbase : A9476CWU, RGAT 1992, p. 572, note H. Périnet-Marquet) ; la garantie du vol dans le local quand celui-ci est sous surveillance procède à une exclusion indirecte du vol quand il n'y a pas surveillance (Cass. civ. 1, 15 avril 1982, n° 81-11.846, Union des Assurances Paris UAP c/ Dame Zeller et autre, publié N° Lexbase : A5539CHM, RGAT 1982, p. 483)] et des arrêts ayant refusé cette qualification [ex. s'agissant d'une clause subordonnant la garantie au fait que les travaux doivent être exécutés par l'assuré lui-même et à la qualification professionnelle appropriée (Cass. civ. 1, 12 février 1991, n° 87-18.585, Société anonyme d'Habitation à Loyer Modéré 'La Sablière' c/ Mutuelle Générale Française Accidents et autres, inédit N° Lexbase : A8124CRC, RGAT 1991, p. 386, note J. Bigot) ; s'agissant d'une clause indiquant que la garantie est acquise pour l'invalidité ininterrompue subsistant à l'expiration d'une période minimale de douze mois, qualifiée de condition de garantie (Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-14.022, Mme Françoise Picot, née Girois c/ Mutuelles du Mans, Mutuelle Générale Française Vie, inédit N° Lexbase : A7825CRA, RGDA 1999, p. 309, note critique L. Mayaux, qui estime qu'il s'agissait d'une exclusion indirecte)].
(9) Cass. civ. 1, 22 mai 2001, n° 99-10.849, M. X c/ Société Assurances du crédit mutuel (N° Lexbase : A5004ATI), D. 2002, somm. p. 2116, obs. Bonnard.
(10) J. Bonnard, op. cit., n° 88.
(11) Déjà défendue par G. Durry, Le glas des ambiguïtés du contrat d'assurance, Risques 2003, n° 55, p. 131 et par G. Courtieu, Resp. civ. et ass., 2003, chron. 13.
(12) En ce sens, J. Bigot in Traité de droit des assurances, Tome 3, LGDJ, 2002, n° 540.
(13) Cass. civ. 2, 10 mars 2004, n° 03-10.154, M. Emmanuel Peterle c/ Compagnie Axa assurances, F-P+B (N° Lexbase : A4966DBK), Bull. civ. II, n° 101, p. 86 ; RTD civ 2005, p. 133, obs. J. Mestre et B. Fages ; RGDA 2004, p. 562 et 644, obs. J. Kullmann ; Resp. civ. et ass., 2004, étude n° 20, obs. D. Noguero.
(14) Cass. civ. 1, 13 mai 2003, n° 00-15.195, Caisse industrielle d'assurances mutuelle (CIAM) c/ Societe Suisse assurances France, F-P (N° Lexbase : A0106B73), Bull civ I, n° 111.
(15) J. Mestre et B. Fages ne s'y trompaient pas en titrant leurs observations Un Chronopost probatoire ?
(16) J. Mestre et B. Fages, op. et loc. cit..
(17) D. Noguero, art. préc..
(18) Cf., notamment, à propos des "tableaux d'amortissement" et de l'intervention du législateur par une loi rétroactive (CEDH, 2ème section, 14 février 2006, req. n° 67847/01, Lecarpentier et a. c/ France N° Lexbase : A8583DMT) ou, à propos de la "survivance" de la jurisprudence "Perruche" et ses suites malgré l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 N° Lexbase : L1457AXA), par maintien du régime jurisprudentiel antérieur pour toutes les actions en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi (cf. CEDH, gr. ch., 6 octobre 2005, n° 1513/03, Draon c/ France N° Lexbase : A6795DKU et CEDH, gr. ch., 6 octobre 2005, n° 11810/03, Maurice c/ France N° Lexbase : A6794DKT, JCP éd. G, 2006, II, 10061, note Alexandre Zollinger et la série d'arrêts rendus par nos deux Hautes juridictions : Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, trois arrêts, n° 02-13.775 N° Lexbase : A5688DMM, n° 01-16.684 N° Lexbase : A5686DMK et n° 02-12.260 N° Lexbase : A5687DML ; CE, contentieux, 24 février 2006, n° 250704, Levenez N° Lexbase : A3958DNW, JCP éd. G, 2006, II, 10062, note Adeline Gouttenoire et Stéphanie Porchy-Simon).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:292437