Réf. : CE Assemblée, 8 février 2007, n° 279522, M. Gardedieu (N° Lexbase : A2006DUT)
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N8899BAT
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le 23 Octobre 2014
Par sa décision du 8 février 2007, le Conseil d'Etat a constaté que la loi de validation en cause, qui ne reposait pas sur un impérieux motif d'intérêt général, comme l'exige la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, était contraire à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR). Il a donc condamné l'Etat, en raison de cette méconnaissance de la Convention, à indemniser le requérant du préjudice qu'il avait subi du fait de l'intervention de la loi de validation, c'est-à-dire à lui verser le montant des cotisations dont, sans l'intervention de cette loi, il aurait pu obtenir le remboursement. Cette décision contribue, ainsi, à renforcer l'obligation, pour l'ensemble des pouvoirs publics, de respecter les engagements internationaux de la France, notamment, le droit européen des droits de l'Homme, et, dès lors, à rendre plus effective la garantie des droits qui en résultent pour les citoyens.
I. En reconnaissant la responsabilité de l'Etat à raison de la méconnaissance par le législateur des Conventions internationales liant la France, le Conseil d'Etat a créé un nouveau régime de responsabilité du fait des lois
A. La confirmation de la jurisprudence traditionnelle en matière de préjudices causés par l'intervention du législateur
1) Les principes d'engagement de la responsabilité sans faute du fait des lois
Dans le premier considérant de la décision "Gardedieu", le Conseil d'Etat a tenu à rappeler que "la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée [...] sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés". Le Conseil d'Etat a, ainsi, confirmé le régime restrictif de responsabilité sans faute du fait des lois pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, inauguré par l'arrêt "La Fleurette".
Par le célèbre arrêt "La Fleurette" (3), le Conseil d'Etat a, en effet, rompu avec la jurisprudence traditionnelle selon laquelle, dans le silence de la loi, il n'appartenait pas au juge administratif d'accorder une indemnité aux personnes qui subissaient un préjudice du fait de l'adoption d'une loi (4), jurisprudence qui était fondée sur la souveraineté de la loi et le principe de séparation des pouvoirs (5). Avec l'arrêt "La Fleurette", il apparaît, désormais, que le préjudice causé par des dispositions législatives peut donner droit à réparation, même dans le silence du législateur, ce à deux conditions : d'abord, que le législateur, dans le texte même de la loi ou dans les travaux préparatoires, n'ait pas entendu exclure toute indemnisation (6) ; ensuite, que la charge incombant aux intéressés soit particulièrement grave, importante et spéciale. Ainsi, s'il ressort du texte de loi ou de ses travaux préparatoires que le législateur a entendu exclure toute indemnisation, la responsabilité ne peut être admise (7). Il en va ainsi lorsque la loi met fin à une activité frauduleuse (8) ou dangereuse (9) ou encore lorsqu'elle est intervenue dans un intérêt général et prééminent signifiant pour le Conseil d'Etat qu'elle a implicitement entendu exclure toute indemnisation. Le régime de responsabilité sans faute du fait des lois issu de la décision "La Fleurette" a été, ensuite, étendu aux préjudices causés par l'application de Conventions internationales conclues par la France (10). Au total, le régime de responsabilité de l'Etat du fait des lois et Conventions internationales est, donc, un régime de responsabilité sans faute qui a la particularité de voir sa mise en oeuvre subordonnée à la volonté des auteurs du dommage (législateur ou auteurs de la Convention), ce qui signifie que le juge administratif ne peut que s'incliner devant des dispositions, ou des stipulations, exonérant par avance l'Etat de la responsabilité qu'il pourrait encourir selon le droit commun.
2) Le régime de responsabilité sans faute du fait des lois, d'application très limitée, était inadapté à la méconnaissance par le législateur des Conventions internationales conclues par la France
Le régime de responsabilité sans faute du fait des lois ne connaît que très peu d'applications positives. Cela vient, d'abord, du fait que, lorsque la loi a eu pour objet de satisfaire des intérêts tout à fait généraux et prééminents, le législateur doit être regardé comme ayant entendu exclure toute indemnisation : or, l'objectif d'intérêt général des lois, dans la mesure où il est très facilement reconnu puisque c'est l'objet même de la loi (et des Conventions internationales) que de poursuivre l'intérêt général (11), fait souvent obstacle à une telle indemnisation. Par ailleurs, le bénéfice du régime de responsabilité sans faute du fait des lois n'est pas invocable lorsque les préjudices résultent de régimes législatifs délibérément discriminatoires parce que nécessaires à l'obtention de certains résultats et dont l'application se traduit par des choix et traitements favorables aux uns et défavorables aux autres (12).
Quoi qu'il en soit, le régime de responsabilité sans faute du fait des lois était tout à fait inadapté à la méconnaissance par le législateur des Conventions internationales conclues par la France. En effet, l'exigence d'un préjudice anormal et spécial était beaucoup plus restrictive que celles retenues par le droit communautaire et international, ce précisément parce que le régime de responsabilité sans faute du fait des lois a pour objectif de rétablir l'équilibre devant les charges publiques et non, comme dans le droit de commun de la responsabilité, de rétablir l'équilibre patrimonial détruit par une action ou une inaction fautive de l'Etat. Ainsi, la CJCE considère que le régime d'indemnisation des préjudices subis à raison de la méconnaissance par les Etats membres des obligations issues du droit communautaire ne saurait avoir pour effet de "rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation" (13). De même, en se fondant sur les stipulations de l'article 46 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) (N° Lexbase : L4782AQ8) (14), la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) juge que toute constatation par elle d'une méconnaissance de la Convention crée l'obligation d'en "effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci" (15), ce même dans le cas où cette méconnaissance trouve son origine dans une loi (16). Les stipulations de l'article 41 de la CESDH (N° Lexbase : L4777AQY) imposant d'octroyer une satisfaction équitable aux victimes des violations des stipulations de la Convention, la CEDH considère, ainsi, comme la CJCE, que c'est aux Etats eux-mêmes qu'il appartient de réparer les conséquences des violations du droit issu de la Convention : c'est donc seulement lorsqu'une telle réparation par l'Etat auteur du dommage est impossible que la Cour peut procéder elle-même à l'indemnisation de la victime (17). Ainsi, tant le droit communautaire que le droit issu de la CESDH exigent que la responsabilité de l'Etat du fait de la violation des normes qu'ils édictent puisse être aisément engagée, ce que ne permet assurément pas le régime restrictif issu de la décision "La Fleurette".
B. La décision du 8 février 2007 crée un régime de responsabilité objective qui n'a cependant vocation à s'appliquer que si le préjudice est directement et uniquement lié à l'intervention du législateur
1) La création d'un régime de responsabilité objective sui generis
Dans les pays qui, comme la France, ont opté pour le régime moniste (18), le droit international est directement applicable au même titre que le droit interne, sans que la réception par un acte juridique interne y soit nécessaire. Pour les tenants du monisme avec primauté du droit international, la norme internationale doit, donc, en cas de conflit, l'emporter sur toute norme de droit interne, fût-elle constitutionnelle. C'est, d'ailleurs, la position adoptée par les juridictions internationales (19) et par la CJCE. Cette primauté du droit international a, en outre, pour conséquence que la violation d'un Traité par un Etat partie doit être sanctionnée, non seulement par la reconnaissance de cette violation par une instance juridictionnelle ou arbitrale, mais encore par la réparation des conséquences de la violation par l'Etat qui en est responsable (20). En ce qui concerne le droit communautaire, l'obligation de réparation par les Etats membres des dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables a été affirmée dès 1960 (21) et appliquée, comme en matière de droit international, à l'ensemble des organes de l'Etat, qu'il s'agisse de l'administration, des juridictions (22) ou, bien entendu, du législateur (23), ce pour la raison que l'obligation de réparation ne saurait dépendre des règles internes de répartition des compétences entre les pouvoirs constitutionnels (24). En matière de droit européen, sur le fondement de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) qui consacre le "droit au respect des biens" et, dans la mesure où une créance constitue un bien au sens de cet article, le fait de dénier à une personne une indemnisation à laquelle elle aurait droit en réparation du dommage causé par un manquement de l'Etat à une obligation issue du droit de la Convention ne peut qu'être contraire aux stipulations de cette Convention (25).
Par ailleurs, depuis l'arrêt "Nicolo" (26), le juge administratif considère que les dispositions de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R) l'habilitent à apprécier la compatibilité des dispositions législatives aux stipulations contenues dans les Traités internationaux. C'est, donc, également, de l'article 55 de la Constitution que le juge administratif tient l'obligation de réparer les conséquences de la violation par le législateur de normes issues du droit international (27). Dès 1992 (28), Martine Laroque avait estimé que, dans le cas où l'illégalité des décisions réglementaires contestées procédait directement de la loi et était de nature à engager la responsabilité de l'Etat, il fallait envisager la création d'un "nouveau régime de responsabilité sans faute de l'Etat législateur" qui ne verrait son application restreinte par aucune des conditions exigées par la jurisprudence "La Fleurette". La position de M. Laroque avait le mérite de mettre en avant le caractère objectif de la responsabilité de l'Etat en la matière. En matière de droit communautaire, la CJCE écarte, ainsi, toute prise en considération du comportement subjectif des autorités nationales pour fonder la responsabilité sur la constatation objective d'une violation de la légalité communautaire. Ce n'est pas l'intention de l'auteur de la mesure nationale illicite (ce qui souligne à nouveau l'inadaptation du régime issu de la décision "La Fleurette" dont l'application nécessite la recherche de l'intention du législateur), mais la violation du droit communautaire par elle-même qui détermine l'obligation de réparer (29).
Dans sa décision du 8 février 2007, le Conseil d'Etat a, donc, opté pour une responsabilité objective qui se distingue, toutefois, de la responsabilité sans faute du fait des lois comme de la responsabilité pour faute. Selon le Conseil, "la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée [...] en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des Conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France". Le régime ainsi institué se distingue du régime de responsabilité sans faute du fait des lois en ce qu'il n'est pas justifié par l'existence d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques. En effet, en matière de loi incompatible avec les stipulations d'une Convention internationale, il n'y a pas à proprement parler de rupture d'égalité puisque ce sont tous les destinataires de la loi inconventionnelle qui sont victimes et non certains d'entre eux. Le régime créé par la Haute Assemblée se distingue, également, du régime de responsabilité pour faute en ce qu'il s'appuie sur la notion de méconnaissance objective des stipulations communautaires et européennes consacrée par la CJCE et la CEDH et reprise par plusieurs juridictions nationales (30) pour affirmer que la responsabilité de l'Etat doit être mise en oeuvre chaque fois qu'une stipulation internationale est méconnue par une disposition législative et que cette méconnaissance crée un préjudice. La mise en oeuvre de ce régime est, toutefois, subordonnée à la condition qu'aucun acte administratif ne soit à l'origine du préjudice subi.
2) La confirmation de la "théorie du règlement-écran" (31)
La décision d'Assemblée du 28 février 1992 a consacré la responsabilité pour faute de l'Etat en cas de violation par une disposition réglementaire d'une obligation issue du droit communautaire. Dans cette espèce, en effet, le Conseil a considéré que l'existence d'une disposition réglementaire entre la norme internationale et la loi impliquait de reconnaître le fait générateur du dommage dans cette disposition et non dans la loi (32). En d'autres termes, lorsque c'est un acte pris en application d'une loi qui cause le préjudice, c'est cet acte qui constitue la causalité adéquate du préjudice et empêche de mettre en cause la responsabilité du législateur. Or, en droit public, il est très fréquent qu'un acte administratif s'interpose entre la loi et la norme internationale, ce qui signifie que la mise en oeuvre, dans ce domaine, du nouveau régime de responsabilité du fait des lois inconventionnelles créé par le Conseil d'Etat devrait être assez rare.
En pratique, il nous semble que la théorie du règlement-écran n'aura vocation à s'appliquer que dans l'hypothèse où l'administration disposait, en vertu de la loi, d'un pouvoir discrétionnaire. En effet, selon la jurisprudence, lorsque le vice dont paraît atteint l'acte administratif n'est en réalité que la simple conséquence d'une stricte application d'une disposition législative, c'est la loi et elle seule qui est en cause. Il en est ainsi en matière d'excès de pouvoir (33) comme en matière de plein contentieux : dans un tel cas, la responsabilité de l'Etat ne peut, alors, être engagée (nous sommes, en effet, dans le cas où le juge administratif ne peut contester la loi puisque aucune norme internationale n'est méconnue), puisque le préjudice en cause résulte de l'exercice par l'administration d'une compétence qui procédait de la loi elle-même (34). Cette solution nous semble transposable à la méconnaissance par la loi d'une norme internationale : en ce cas, en effet, même si un acte administratif s'est interposé entre la loi et la norme internationale, c'est la responsabilité de l'Etat du fait de la loi inconventionnelle qui devra s'appliquer dans la mesure où la disposition réglementaire n'était que la simple conséquence de l'intervention de la loi. Cette solution est, donc, de nature à limiter l'application de la théorie du règlement-écran et à faire de la responsabilité de l'Etat du fait de la loi inconventionnelle une responsabilité d'application plus fréquente que la traditionnelle responsabilité du fait des lois issue de la décision "La Fleurette".
II. Le régime créé par le Conseil d'Etat, qui a vocation à s'appliquer au droit communautaire, confirme le refus de la Haute Assemblée de s'affranchir du principe de séparation des pouvoirs
A. Un régime qui a vocation à s'appliquer au droit communautaire
1) La jurisprudence de la CJCE en matière de réparation des préjudices issus de la violation des dispositions communautaires
Dans le célèbre arrêt "Francovich et Bonifaci", la CJCE a considéré que "le droit communautaire impose le principe selon lequel les Etats membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables". La Cour a, ensuite, précisé que "les conditions de fond et de forme, fixées par les diverses législations nationales en matière de réparation des dommages, ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation" (point 43). La Cour a, ainsi, posé comme conditions du droit à réparation que le résultat prescrit par la disposition communautaire comporte l'attribution de droits au profit des particuliers, que le contenu de ces droits puisse être identifié sur la base de ces dispositions et, enfin, qu'il existe un lien de causalité entre la violation de l'obligation incombant à l'Etat et le dommage subi par les personnes lésées. La Cour a, enfin, indiqué que c'était "dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incomb[ait] à l'Etat de réparer les conséquences du préjudice causé".
2) Les principes gouvernant l'engagement de la responsabilité de l'Etat à raison de la méconnaissance d'une disposition communautaire
Ainsi que le souligne D. Simon, deux principes d'"équivalence juridictionnelle" et d'"effectivité minimale" (35) s'imposent aux Etats membres. Le premier impose une égalité de traitement entre droit conféré par la règle communautaire et droit conféré par la règle nationale. Le second est lié à l'effectivité du droit à réparation et constitue une application du principe plus général selon lequel le droit national doit assurer la réalisation effective de tout droit conféré par le droit communautaire (36). Pour autant, la jurisprudence de la CJCE consacre l'autonomie institutionnelle et procédurale des droits nationaux dans la définition des conditions de mise en oeuvre des voies de droit permettant d'obtenir réparation. En d'autres termes, si le principe d'une action juridictionnelle en indemnité découle des exigences du droit communautaire, ce sont les règles procédurales de droit interne qui trouvent à s'appliquer.
L'engagement de la responsabilité de l'Etat est, par ailleurs, fonction du pouvoir d'appréciation dont dispose le législateur national (37). Ainsi, dans le cas où celui-ci ne dispose pas d'un large pouvoir d'appréciation dans un domaine régi par le droit communautaire, toute violation de la règle communautaire est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. En revanche, lorsque le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation, sa responsabilité ne peut être engagée que s'il a "méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s'imposent à l'exercice de ses pouvoirs" (points 45, 47 et 55), ce que la Cour qualifie de "violation suffisamment caractérisée" (points 51 et 55). Soulignons que cet examen des marges d'appréciation dont dispose l'Etat est également appliquée par le juge administratif français (38).
B. Le refus du Conseil d'Etat de s'affranchir du principe de séparation des pouvoirs
1) La création d'un régime de responsabilité pour faute était-elle possible ?
Selon une jurisprudence bien établie, toute décision illégale est, en principe, fautive, quelle que soit la nature de l'illégalité qui l'entache, c'est-à-dire que cette illégalité soit externe (39) ou interne (40). Ainsi, un acte contraire à une norme juridique supérieure, et pour ce motif entaché d'illégalité, est constitutif d'une faute (41). Or, selon L. Dubouis, "ce que le juge français admet lorsque la violation incombe au pouvoir exécutif, l'article 55 [...] l'autorise à le faire lorsque la loi ou l'absence de loi est en cause puisqu'il consacre la supériorité sur la loi de la règle internationale ou communautaire" (42). Dans la mesure, donc, où l'article 55 (N° Lexbase : L1320A9R), loin de se borner à autoriser le juge à déclarer qu'une loi ne s'applique pas à une situation déterminée, autorise et contraint celui-ci à déclarer l'inopposabilité ou l'inapplicabilité de la loi, la Constitution érige en fait le juge en "censeur de la loi" et "lui impose d'exercer tous les pouvoirs que comporte cette fonction" (43). L'article 55 de la Constitution peut, ainsi, être interprété comme habilitant le juge administratif, non seulement à apprécier la conventionnalité d'une loi, mais encore à engager la responsabilité d'un législateur qui, en ayant méconnu les obligations internationales de l'Etat, a commis une faute (44). La combinaison des jurisprudences "Driancourt" et "Nicolo" permet, donc, de considérer que toute méconnaissance du droit international par le législateur est constitutive d'une faute, et qu'une telle faute est de nature à engager la responsabilité de l'Etat. R. Chapus le résume ainsi : "apprécier une loi comme n'étant pas compatible avec une norme qui lui est supérieure (et qu'elle devait respecter), c'est en faire ressortir l'irrégularité. En d'autres termes, c'est reconnaître que le législateur (et il ne faut pas hésiter devant la simplicité excessive du terme) a commis une faute. C'est ainsi que, dans l'hypothèse ici considérée, la consécration de la responsabilité de l'Etat pour faute du législateur est concevable" (45).
Plusieurs juridictions se sont d'ailleurs "aventurées" sur ce terrain. Par un arrêt rendu en formation plénière (46), la cour administrative d'appel de Paris, après avoir relevé que le préjudice invoqué résultait de la "situation illicite" (47) née du maintien en vigueur de la loi antérieure, nonobstant l'intervention de la sixième Directive communautaire relative à la TVA, a ainsi reconnu la responsabilité pour faute de l'Etat dans l'exercice du pouvoir législatif. Plus récemment, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand s'est rallié à la jurisprudence de la CJCE en considérant "qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions [article 55 de la Constitution et article 10 du Traité instituant la Communauté européenne N° Lexbase : L5101BCW] que l'Etat est susceptible d'engager sa responsabilité sur le fondement d'une faute du pouvoir législatif du fait de l'adoption de lois qui ne seraient pas compatibles avec les stipulations d'un Traité ou accord international régulièrement ratifié ou approuvé". Par sa généralité et son fondement "interne" (l'article 55 de la Constitution), une telle solution serait bien évidemment transposable à l'ensemble des engagements internationaux souscrits par la France.
2) Le refus du Conseil d'Etat de s'affranchir du principe de séparation des pouvoirs et d'une interprétation stricte de l'article 55 de la Constitution
Si la loi n'est désormais plus incontestable, l'immunité dont elle bénéfice devant le juge ordinaire résulte, désormais, non plus d'une auto-limitation ou "auto-censure" de ce juge, mais des dispositions de la Constitution qui réservent le contrôle de la constitutionnalité des lois au seul Conseil constitutionnel, lequel n'intervient, en outre, qu'antérieurement à la promulgation de la loi, ce qui conserve à la loi promulguée son caractère incontestable, étant rappelé que le contrôle de conventionnalité aboutit, non pas, à l'invalidation de la loi incompatible avec le Traité, mais "seulement" à son inapplication. L'on peut, donc, penser qu'il "n'appartient pas au juge, a fortiori au juge ordinaire, de remettre en cause un principe qui résulte, en définitive, de notre ordre constitutionnel que seul le pouvoir constituant est fondé, s'il l'entend ainsi, à modifier" (48). C'est pourquoi, s'il est loisible au juge administratif de reconnaître que l'administration a commis une faute en méconnaissant des stipulations internationales (lorsque cette méconnaissance a engendré un préjudice), il ne lui est pas possible, en vertu du principe de séparation des pouvoirs qui lui impartit d'appliquer la loi, de s'ériger en censeur de celle-ci. L'automaticité de la jurisprudence "Driancourt" et l'application aveugle du principe de hiérarchie des normes (illégalité=faute, donc méconnaissance d'une norme supérieure=faute) s'en trouvent, ainsi, annihilées. Il ressort, à cet égard, des conclusions du commissaire du Gouvernement, que la décision "Gardedieu" est essentiellement fondée sur la teneur de l'habilitation conférée au juge ordinaire par l'article 55 de la Constitution. En d'autres termes, la décision "Gardedieu" est une application de la décision "Nicolo" et non un ralliement du Conseil d'Etat aux jurisprudences de la CJCE et de la CEDH qui imposent aux autorités nationales de réparer le préjudice né de la méconnaissance par la loi nationale des stipulations du TUE et de la CESDH. Or, selon le commissaire du Gouvernement, "aucune norme" n'habilite le juge à procéder à la qualification d'un comportement fautif de la part du législateur "dès lors que sont en cause les pouvoirs respectifs de l'autorité juridictionnelle et du pouvoir législatif", l'article 55 de la Constitution, qui, certes, habilite le juge à constater l'inconventionnalité de la loi, ne l'habilitant, cependant pas, "à qualifier une telle inconventionnalité d'acte fautif". Au total, c'est donc bien en vertu de l'ordre juridique interne, au sommet duquel se trouve la Constitution et, notamment, son article 55, que le Conseil d'Etat consent à écarter la loi contraire aux Traités (décision "Nicolo") et à réparer le préjudice né de cette contrariété (décision "Gardedieu"). C'est pourquoi cette dernière décision peut être considérée comme l'une des conséquences de la subtile solution dégagée par la décision "Sarran" (49) et confirmée par la décision "Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres" rendue le même jour que la décision "Gardedieu".
3) Une solution conforme aux droits européen et communautaire
Rappelons, d'abord, que, selon la CEDH, c'est aux Etats eux-mêmes qu'il appartient de réparer les conséquences des violations du droit issu de la Convention : c'est, donc, seulement lorsqu'une telle réparation par l'Etat auteur du dommage est impossible que la Cour peut procéder elle-même à l'indemnisation de la victime (50). De même, selon la CJCE, la mission de protéger les droits conférés aux particuliers, en mettant en jeu de façon effective la responsabilité de l'Etat, est dévolue au juge national en tant qu'"organe d'un Etat membre" (51), celui-ci n'exerçant donc pas une compétence communautaire. Par ailleurs, il est vrai que, dans la plupart des pays européens, la responsabilité du législateur du fait du préjudice né de la méconnaissance des engagements internationaux est généralement une responsabilité objective et rarement une responsabilité pour faute (52). Plus généralement, ni la CEDH, ni la CJCE, n'ont imposé aux Etats membres de consacrer un régime de responsabilité pour faute du législateur : à cet égard, si la jurisprudence "La Fleurette" était contraire à la jurisprudence de ces deux Cours et au droit issu de la CESDH et du TUE, ce n'était pas parce qu'elle consacrait un régime de responsabilité sans faute du législateur, mais parce qu'elle subordonnait la mise en oeuvre de ce régime à des conditions beaucoup trop restrictives qui aboutissaient à une quasi-immunité législative. Or, la solution consacrée par la décision "Gardedieu" emprunte au régime de responsabilité pour faute le principe de la réparation universelle (tout préjudice légitime causé directement par une loi inconventionnelle doit être réparé) et intégrale (sous réserve des causes de limitation applicables à tout litige de plein contentieux) du préjudice. Enfin, soulignons qu'à la différence de la solution du tribunal administratif de Clermont-Ferrand retenant une responsabilité pour faute du législateur, la solution du Conseil d'Etat retenant une responsabilité objective de celui-ci n'est pas limitée aux cas de violations suffisamment caractérisées du droit communautaire et ne s'appuie pas sur la nécessité pour le juge de s'assurer que le législateur disposait ou non d'une marge d'appréciation pour appliquer ce droit. C'est dire que, toujours dans la ligne de la jurisprudence "Nicolo" qui fonde le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit communautaire sur l'article 55 de la Constitution, et non sur la spécificité de ce droit au regard du droit international classique, telle qu'elle a été affirmée par la jurisprudence de la CJCE, le Conseil d'Etat ne réserve pas au droit communautaire un traitement différent de celui du droit international, puisque, dans les deux cas, il considère qu'une simple violation par le législateur des engagements internationaux souscrits par la France suffit à engager la responsabilité de l'Etat, nonobstant la circonstance que le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation en la matière. Ce faisant, le Conseil d'Etat crée un régime de responsabilité finalement plus libéral que celui défini par la CJCE puisque, d'une part, toute méconnaissance par le législateur national du droit communautaire est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat et puisque, d'autre part, peu importe que la norme communautaire ait ou non pour objet de conférer des droits aux victimes.
Au total, le fait de traiter le droit communautaire comme le droit international classique, si choquant aux yeux des défenseurs de la spécificité de ce droit, aboutit à en assurer une protection plus complète et plus effective que celle souhaitée par le juge communautaire. En l'espèce, le droit communautaire gagne, donc, à être assimilé au droit international classique.
Conclusion
En jugeant que, de même qu'un acte administratif méconnaissant une Convention internationale est illégal et, par suite, constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, une loi méconnaissant une telle Convention est également de nature à engager cette responsabilité, le Conseil d'Etat comble un vide juridictionnel auquel l'extrême rigueur du régime de responsabilité sans faute du fait des lois inauguré par la décision "La Fleurette" ne pouvait remédier. Pour autant, en se fondant sur une conception littérale de l'article 55 de la Constitution et sur le rôle et la compétence impartie à l'autorité judiciaire par la Constitution, ce qui est pleinement justifié puisque c'est bien la Constitution qui détermine la place du droit international dans l'ordre juridique national (53), le Conseil d'Etat refuse de considérer que le législateur puisse être fautif. A cet égard, si le commissaire du Gouvernement L. Derepas a tenu à souligner que le régime de responsabilité créé par la décision "Gardedieu" n'était ni un régime de responsabilité sans faute ni un régime de responsabilité pour faute, la troisième voie de responsabilité qu'il a, ainsi, souhaité consacrer nous paraît assez fragile. Il nous semble, en effet, qu'en refusant de considérer que le législateur puisse être fautif, le Conseil d'Etat a, en fait, créé un régime de responsabilité sans faute débarrassé des strictes conditions d'application fixées par la décision "La Fleurette". En bref, l'existence d'un "entre-deux" entre la faute et l'absence de faute nous semble illusoire : soit il y a faute, soit il n'y a pas faute et, en l'espèce, il faut bien admettre que, pour le Conseil d'Etat, il n'y a pas de faute, de la part du législateur, à méconnaître une Convention internationale. Dans ses conclusions, L. Derepas indique, certes, qu'il existe des régimes de responsabilité ne relevant ni du régime de responsabilité pour faute ni du régime de responsabilité sans faute. Toutefois, l'exemple qu'il cite à cet égard (le régime de réparation des préjudices causés par les attroupements et rassemblements issu de l'article L. 2216-3 du CGCT N° Lexbase : L8738AAU) nous semble être, en fait, un régime de responsabilité sans faute (54). C'est donc bien un nouveau régime de responsabilité sans faute du fait des lois qu'a créé la décision "Gardedieu". Cela est, d'ailleurs, totalement cohérent avec le fait que le Conseil d'Etat se refuse, en vertu du principe de séparation des pouvoirs qui lui interdit de censurer l'oeuvre du Parlement, à juger que le législateur commet une faute lorsqu'il méconnaît une norme de rang supérieur à la loi.
Par ailleurs, en confirmant la décision "Sarran" le jour même où il décidait de créer un régime spécifique de responsabilité du fait des lois en matière de méconnaissance des Conventions internationales et en s'appuyant sur l'article 55 de la Constitution (55), le Conseil d'Etat a clairement exclu que la responsabilité de l'Etat puisse être engagée à raison de la méconnaissance d'une telle Convention par le pouvoir constituant tout en maintenant l'interdiction de principe qui empêche le juge administratif de contrôler la constitutionnalité des lois (56).
Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)
(1) CE Assemblée, 8 février 2007, n° 279522, M. Gardedieu, à paraître au Recueil : AJDA 2007 p. 279 ; AJDA 2007, p. 585, chronique Lenica et Boucher ; JCP éd. A n° 7 du 12 février 2007, p. 4.
(2) Cf., en particulier, CE Assemblée, 28 février 1992, n° 87753, Société Arizona Tobacco Products (N° Lexbase : A5378ARM), au Recueil p. 78 : AJDA 1992, p. 210, conclusions Laroque ; Dalloz 1993 SC, p. 141, observations Bon et Terneyre). Cette décision a abandonné la jurisprudence "Alivar" (CE Assemblée, 23 mars 1984, n° 24832, Ministre du commerce extérieur c/ Société Alivar N° Lexbase : A3758ALR au Recueil p. 128 : AJDA 1984, p. 396, note Genevois ; AJDA 1985, p. 536) qui considérait qu'une disposition réglementaire prise pour un motif d'intérêt général et méconnaissant une norme communautaire n'était pas pour autant fautive.
(3) CE Assemblée, 14 janvier 1938, n° 51704, SA des produits laitiers "La Fleurette" (N° Lexbase : A9868B7M), au Recueil p. 25 : Sirey 1938, 3, p. 25, conclusions Roujou note Laroque ; Dalloz 1938, 3, p. 41, conclusions Roujou note Rolland ; RDP 1938, p. 87, conclusions Roujou note Jèze ; GAJA n° 53.
(4) CE, 11 janvier 1838, Duchâtelet, au Recueil p. 7 ; CE 5 février 1875, Moroge, au Recueil p. 89.
(5) En effet, pour le Conseil d'Etat, et selon les termes de Laferrière, "La loi [était] un acte de souveraineté et le propre de la souveraineté est de s'imposer à tous sans qu'on puisse réclamer d'elle aucune compensation. Le législateur peut seul apprécier, d'après la nature et la gravité du dommage, d'après les nécessités et les ressources de l'Etat, s'il doit accorder cette compensation. Les juridictions ne peuvent l'allouer à sa place" (nous soulignons).
(6) Ce qui signifie que le législateur doit avoir refusé de faire supporter le préjudice par les victimes de la loi, notamment, lorsque l'activité de celles-ci n'avait pas un caractère répréhensible, contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public.
(7) CE Section, 22 novembre 1957, Compagnie de navigation Fraissinet, au Recueil p. 635.
(8) CE, 14 janvier 1938, Compagnie générale de grande pêche, au Recueil p. 23 : législation interdisant la contrebande d'alcool à destination des Etats-Unis, contrebande à laquelle se livrait avec grand profit la société requérante. CE, 1er mars 1940, Société Chardon, au Recueil p. 82 : répression de fraudes alimentaires.
(9) CE, 6 janvier 1956, Manufacture d'armes et de cycles, au Recueil p. 3 : contrôle de la fabrication des armes à feu établi en vue de protéger leurs utilisateurs contre les dangers d'une fabrication défectueuse. CE Assemblée, 8 janvier 1965, n° 59604, Société des Etablissements Aupinel (N° Lexbase : A5363B7R), au Recueil p. 15 : contrôle du transport et de la commercialisation des spiritueux en vue de lutter contre la fraude sur les alcools et de contribuer, ainsi, à la sauvegarde de la santé publique.
(10) CE Assemblée, 30 mars 1966, n° 50515, Compagnie générale d'énergie radio-électrique (N° Lexbase : A0632B9B), au Recueil p. 257 : AJDA 1966, p. 350, chronique Puissochet et Lecat ; Dalloz 1966, p. 582, note Lachaume ; JCP 1967, n° 15000, note Dehaussy ; RDP 1966, p. 774, conclusions Bernard et, p. 995, note Waline. Selon le considérant de principe : "la responsabilité de l'Etat est susceptible d'être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de Conventions conclues par la France avec d'autres Etats et incorporées régulièrement dans l'ordre juridique interne, à la condition d'une part que ni la Convention elle-même ni la loi qui en a éventuellement autorisé la ratification ne puissent être interprétées comme ayant entendu exclure toute indemnisation et d'autre part que le préjudice dont il est demandé réparation soit d'une gravité suffisante et présente un caractère spécial".
(11) La restriction tenant à l'existence d'un intérêt général prééminent faisant obstacle à l'indemnisation était d'ailleurs quelque peu contradictoire avec la décision "La Fleurette" qui était fondée sur la proposition qu'une charge créée dans un intérêt général mais ne pesant que sur un seul devait être supportée par la collectivité (note C.M., sous CE, 31 mai 1961, Compagnie française des cuirs, au Recueil p. 358 ; AJDA 1962, II, p. 64) : autrement dit, l'intérêt général était à la fois le critère conférant un caractère indemnisable au dommage et un critère justifiant l'absence de toute indemnisation.
(12) CE Section, 13 octobre 1978, n° 04644, Perthuis (N° Lexbase : A9625B7M), au Recueil p. 370 : Dalloz 1979, p. 81, note Bon ; JCP 1980, n° 19382, note Joly ; RDP 1979, p. 1197 (législation imposant des choix et soumettant à autorisation l'exploitation des centres d'insémination artificielle du bétail). Cf. aussi CE, 10 janvier 1992, n° 81428, Commune de Blanquefort (N° Lexbase : A5066AR3) : Dalloz 1993, SC, p. 143, observations Bon et Terneyre ; DF 1992, p. 1158, conclusions Gaeremynck (conséquences défavorables pour une commune du mécanisme de solidarité financière intercommunale institué par la loi insusceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de principe d'égalité devant les charges publiques).
(13) Cf., par exemple, CJCE, 25 février 1988, aff. C-331, 376 et 378/85, SA Les fils de J. Bianco (N° Lexbase : A8036AU8), au Recueil p. 1114.
(14) "Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties".
(15) CEDH, 31 octobre 1995, Req. 18/1992/363/437, Papamichalopoulos et autres c/ Grèce, série A n° 330-B (N° Lexbase : A8373AWZ) : AFDI 1995, p. 503, chronique Coussirat-Coustère, RTDH 1997, p. 477, note Beernaert.
(16) CEDH, 3 juillet 1995, Req. 23/1993/418/497, Heintrich c/ France, série A n° 230-A (N° Lexbase : A6630AWH) ; CEDH 28 mai 2002, Req. 33202/96, Beyeler c/ Italie (N° Lexbase : A7593AYU).
(17) CEDH, 31 octobre 1995, Papamichalopoulos et autres c/ Grèce, précité.
(18) Rappelons que le monisme se distingue du dualisme selon lequel le droit international n'a de valeur dans l'ordre interne que s'il y a été introduit par un acte juridique qui en assure la réception, ce qui signifie que la norme internationale perd, alors, dans l'ordre interne, sa spécificité pour ne prendre que la valeur de cet acte de réception. Le système dualiste prévaut aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Japon.
(19) Avis consultatif de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) du 4 février 1932 sur le traitement des nationaux polonais dans le territoire de la ville de Dantzig, série A/B n° 44 p. 24.
(20) Sentence arbitrale du 14 septembre 1872, affaire dite de l'Alabama. CPJI avis du 13 septembre 1928, Usine de Chorzow, série A n° 17.
(21) CJCE, 16 décembre 1960, aff. C-6/60, Humblet (N° Lexbase : A2332AWB), au Recueil p. 1128. Cf. aussi le célèbre arrêt du 19 novembre 1991, aff. C-6/90 et C-9/90, Francovich et Bonifaci (N° Lexbase : A5783AYT), au Recueil p. 5357 ; AJDA 1992, p. 143, note Le Mire.
(22) CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-224/01, Gerhard Köbler (N° Lexbase : A6934C9P), au Recueil p. 10239. Cf. aussi Cass. com., 21 février 1995, n° 93-15.387, United Distillers France (N° Lexbase : A8289ABM), Europe mai 1995, comm. AR et DS n° 172 : mise en jeu de la responsabilité de l'Etat du fait d'instructions adressées au Parquet par le Garde des Sceaux en violation de l'autorité de la chose jugée par un arrêt de la CJCE.
(23) CJCE, 5 mars 1996, précité, points 33 et 34. Cf., en matière de droit international, CPJI avis du 19 août 1929, Zones franches du pays de Gex et de Savoie, série A n° 22 ; CPJI avis du 31 juillet 1930, question des Communautés gréco-bulgares, série B n° 17 p. 32.
(24) CJCE, 21 février 1991, aff. C-143/88 et C-92/89, Zuckerfabrik (N° Lexbase : A4510AWX), au Recueil p. I-415 et CJCE 5 mars 1996, précité.
(25) CEDH, 16 avril 2002, Req. 36677/97, Société Jacques Dangeville c/ France (N° Lexbase : A5395AYH).
(26) CE, 20 octobre 1989, n° 108243, Nicolo (N° Lexbase : A1712AQH), au Recueil p. 190, conclusions Frydman ; RFDA 1989, p. 818, conclusions Frydman.
(27) En ce sens, cf. G. Alberton, Le législateur français transgressant le droit international pourra-t-il demeurer encore longtemps irresponsable ?, AJDA 2006, p. 2155.
(28) Conclusions sous CE Assemblée, 28 février 1992, Société Arizona Tobacco Products, précité, au Recueil p. 78 : AJDA 1992 p. 219.
(29) CJCE, 5 mars 1996, précité. C'est pourquoi la règle de droit anglais subordonnant la responsabilité de la Couronne à la preuve d'un abus de pouvoir dans l'exercice d'une fonction publique (misfeasance in public office) ne peut être opposée à l'exercice du droit à réparation. De même, est incompatible avec les exigences du droit communautaire la règle classique de droit allemand de la responsabilité selon laquelle la réparation est conditionnée par l'existence d'une faute intentionnelle ou d'une négligence grave de la part de l'organe de l'Etat auquel le manquement est imputable (point 79 de la décision de la CJCE).
(30) Chambre des Lords britannique : arrêt du 28 octobre 1999, Regina v. Secretary of State for Transport, ex parte Factortame Ltd and Others ; Cour constitutionnelle allemande, arrêt du 24 octobre 1996. Notons, toutefois, que la Cour de cassation belge, dans un arrêt du 28 septembre 2006, a sanctionné la faute du législateur à raison de la violation de la CESDH.
(31) Cf. L. Dubouis, La responsabilité de l'Etat législateur pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire, RFDA 1992, p. 1.
(32) Pour une application de cette solution, cf. TA Paris, 7 mai 2004, Association France nature environnement, AJDA 2004 p. 1878 note Saulnier-Cassia et CAA Paris, 23 janvier 2006, n° 04PA01092, Société Groupe Salmon Arc-en-Ciel (N° Lexbase : A1494DQE), AJDA 2006 p. 766 (selon le commissaire du Gouvernement L. Helmlinger : "le débat sur la responsabilité de l'Etat législateur est, pour l'essentiel, un faux débat dès lors que, comme l'a fait le Conseil d'Etat dans l'affaire des tabacs, la responsabilité peut être fondée sur l'illégalité des mesures d'exécution prises en application d'une loi méconnaissant des dispositions communautaires").
(33) CE Assemblée, 26 novembre 1976, n° 97328, au Recueil p. 507.
(34) CE, 8 janvier 1960, Laiterie Saint-Cyprien, au Recueil p. 10. Cf. aussi CE, 24 octobre 1984, Société Claude Publicité précité.
(35) D. Simon, La responsabilité de l'Etat saisie par le droit communautaire, AJDA 1996, p. 491.
(36) Cf., par exemple, le droit à une protection juridictionnelle effective : CJCE, 15 mai 1986, aff. C-222/84, Johnston (N° Lexbase : A7291AHI), au Recueil p. 1651.
(37) CJCE, 5 mars 1996, précité.
(38) CE Section, 12 mai 2004, n° 236834 Société Gillot (N° Lexbase : A2102DCT), au Recueil p. 221 : AJDA 2004, p. 1487, note Deguergue ; RFDA 2004, p. 1021, conclusions Séners.
(39) Illégalité tenant à l'incompétence de l'auteur de l'acte : CE, 11 mars 1949, Société des Grands Moulins du Nord, au Recueil p. 118. Illégalité tenant à l'irrégularité de la procédure suivie : CE, 19 mai 1976, n° 98264 Ministre de la Santé c/ SA du Château de Neuvecelle (N° Lexbase : A3172B8Y), aux Tables p. 1112.
(40) Illégalité tenant à une erreur d'appréciation : CE Section, 26 janvier 1973, n° 84768, Driancourt (N° Lexbase : A7586B8H), au Recueil p. 78 : AJDA 1973, p. 245, note Cabanes et Léger. Décision abandonnant la théorie de l'erreur d'appréciation non fautive.
(41) CAA Lyon, 28 juillet 2005, n° 99LY02601, Meyer (N° Lexbase : A1353DLP), au Recueil p. 629, AJDA 2005, p. 2143.
(42) Ibid. p. 9.
(43) L. Dubouis, La responsabilité de l'Etat législateur pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire et son incidence sur la responsabilité de la Communauté, RFDA 1996, p. 588.
(44) G. Alberton, La responsabilité de l'Etat au regard du droit communautaire, RFDA 1997, p. 1038 et Le législateur français transgressant le droit international pourra-t-il demeurer encore longtemps irresponsable ?, AJDA 2006, p. 2161.
(45) Droit administratif général, tome I, n° 1519 2°).
(46) CAA Paris Plénière, 1er juillet 1992, n° 89PA02498, Société Jacques Dangeville (N° Lexbase : A8546A8Z), AJDA 1992, p. 768, note Prétot.
(47) Il est vrai que la Cour n'utilise pas le mot "faute". Toutefois, il n'est pas excessif de considérer que le terme "situation illicite" en est un synonyme.
(48) X. Prétot, note sous CAA Paris Plénière, 1er juillet 1992, Société Jacques Dangeville précité, AJDA 1992 p. 770.
(49) Rappelons que, selon cette décision (CE Assemblée, 30 octobre 1998, n° 200286, M. Sarran et M. Levacher N° Lexbase : A8519ASC : AJDA, p. 962, chronique Raynaud et Fombeur ; RFDA 1998, p. 1081, conclusions Maugüé ; Dalloz 2000, Jur., p. 152, note Aubin), d'ailleurs cohérente avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Cons. const., 19 novembre 2004, n° 2004-505 DC N° Lexbase : A9156DDH, JO du 24 novembre 2004 p. 19885 : AJDA 2005, p. 211, note Chamussy et Dord), la suprématie conférée aux engagements internationaux sur les lois par l'article 55 de la Constitution ne peut, dans l'ordre interne, être étendue aux dispositions de la Constitution elle-même. Autrement dit, le Conseil d'Etat refuse de contrôler la conventionnalité des dispositions constitutionnelles et écarte la thèse de la supériorité absolue du droit international sur les normes internes, fussent-elles constitutionnelles, thèse clairement défendue par la CJCE (cf. CJCE, 17 décembre 1970, aff. C-11/70, Internationale Handelsgesellschaft N° Lexbase : A6635AUB, au Recueil p. 1135). Pour le Conseil d'Etat, les dispositions constitutionnelles sont, donc, par nature, supérieures aux Traités.
(50) CEDH, 31 octobre 1995, Papamichalopoulos et autres c/ Grèce, précité.
(51) CJCE 9 mars 1978, Simmenthal, précité.
(52) Cf. à cet égard, Schockweiler, Wivenes et Godart, Le régime de la responsabilité extra-contractuelle du fait d'actes juridiques dans la Communauté européenne, RTDE 1990, pp. 52 à 54. Cf. supra I. B. 1), note 52.
(53) D'une part, en optant pour un système moniste ou dualiste, d'autre part, en fixant les procédures applicables à la négociation, la signature, la ratification et l'entrée en vigueur des Traités. Ce n'est, donc, qu'en vertu de la Constitution que le Traité trouve à s'appliquer en droit interne.
(54)Cf., en ce sens, les conclusions de C. Bergeal à la RDFA 1999, p. 1210, sous CE, 30 juin 1999, n° 190038, Foucher (N° Lexbase : A5433AXI), Dalloz 2000, somm. 259, observations Bon et de Béchillon. Selon elle, "Il n'est pas douteux que la responsabilité à raison des attroupements est une responsabilité sans faute". Cf. aussi CE, Avis 20 février 1998, n° 189185, Société Etudes et Construction de sièges pour l'automobile et autres (N° Lexbase : A6525ASH), au Recueil p. 60 : RFDA 1998, p. 584, conclusions Arrighi de Casanova ; JCP 1998, II.10062, note Moniolle ; AJDA 1998, p. 1029, note Poirot-Mazères ; Dalloz 2000, somm. 259, observations Bon et de Béchillon. Selon cet avis : "Lorsque les conditions d'application de cet article ne sont pas réunies, la responsabilité de l'Etat peut être engagée sur le fondement des principes généraux de la responsabilité sans faute si le dommage indemnisable présente le caractère d'un préjudice anormal et spécial".
(55) Rappelons que cet article n'accorde aux "Traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés" une autorité supérieure que par rapport "aux lois", et non à la Constitution, donc. Par ailleurs, l'article 54 de la Constitution établit une hiérarchie favorable à celle-ci puisqu'il prévoit qu'un Traité qui lui est contraire ne peut être ratifié à moins d'une révision de la Constitution.
(56) CE Section, 6 novembre 1936, Arrighi, au Recueil p. 966 et CE, 5 janvier 2005, n° 257341, Mlle Deprez et Baillard (N° Lexbase : A2306DGI), au Recueil p. 1 : AJDA 2005, p. 845, note Burguorgue-Larsen. Ce, même si la solution consistant à constater l'abrogation implicite d'une loi dont le contenu était devenu incompatible avec une disposition constitutionnelle qui lui était postérieure (CE Assemblée, 16 décembre 2005, n° 259584, Ministre des Affaires sociales et Syndicat national des huissiers de justice N° Lexbase : A0979DM9, au Recueil p. 570 : AJDA 2006, p. 357, chronique Landais et Lenica ; RFDA 2006, p. 41, conclusions Stahl) avait pu être interprété comme l'annonce d'un possible revirement de jurisprudence (cf. en ce sens G. Alberton, Le législateur français transgressant le droit international pourra-t-il demeurer encore longtemps irresponsable ?, AJDA 2006, p. 2162) alors même que le considérant de principe est très clair : "s'il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la conformité d'un texte législatif aux dispositions constitutionnelles en vigueur à la date de sa promulgation, il lui revient de constater l'abrogation, fût-elle implicite, de dispositions législatives qui découle de ce que leur contenu est inconciliable avec un texte qui leur est postérieur, que celui-ci ait valeur législative ou constitutionnelle". Il faut, donc, distinguer l'abrogation, qui est le simple résultat de la succession de normes dans le temps, de l'inconstitutionnalité qui résulte de la contradiction entre la Constitution et une norme qui lui est postérieure.
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