La lettre juridique n°233 du 26 octobre 2006 : Marchés publics

[Jurisprudence] Spécifications techniques et référence aux marques dans les cahiers des charges

Réf. : CE, 2° et 7° s-s-r., 11 septembre 2006, n° 257545, Commune de Saran (N° Lexbase : A0372DR9)

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N4039AL8

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par Marie-Hélène Sanson, Juriste marchés publics au sein d'un organisme national de protection sociale

le 07 Octobre 2010

Par une décision des 7ème et 2ème sous-sections réunies rendue le 11 septembre dernier, le Conseil d'Etat a précisé les principes applicables en matière de spécifications techniques et d'indemnisation des candidats irrégulièrement évincés des procédures de marchés publics. Bien qu'elle soit rendue à propos de faits très antérieurs au Code des marchés publics du 1er août 2006, les enseignements de cette décision conservent aujourd'hui tout leur intérêt. Rappel des faits
La commune de Saran a lancé au mois de juillet 1994 un appel d'offres ouvert relatif à l'aménagement et à la réfection de deux voies de circulation. La société Gallaud a remis une offre dans le cadre du lot n° 2 de cette consultation, portant sur la fourniture de matériaux. L'offre de ce candidat a été rejetée par la commission d'appel d'offres de la commune le 20 septembre 1994. Le 29 décembre 1998, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande d'annulation de la décision de la commune ainsi que la demande d'indemnisation formulée par la société Gallaud, en raison du non-respect par le candidat du règlement de la consultation. Saisie en appel par le candidat, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé le 14 mars 2003, le jugement du tribunal et la décision de la commission d'appel d'offres et a condamné la commune de Saran à verser à la société Gallaud une indemnité de 15 200 euros. La commune de Saran a alors saisi le Conseil d'Etat en cassation. Le Conseil d'Etat examine dans cette décision la régularité de la description du besoin figurant dans le cahier des charges et rappelle les principes applicables en matière d'indemnisation des candidats rejetés.

Les spécifications techniques figurant dans les cahiers des charges

La cour administrative d'appel de Nantes avait relevé que, malgré l'absence de référence à toute marque dans le cahier des charges, les documents contractuels auxquels renvoyait le règlement de la consultation se référaient à une spécification technique et aux normes et caractéristiques techniques des produits d'une marque de pavés déterminés, en l'occurrence la marque "Quartzo". La cour avait, par ailleurs, constaté que trois des cinq propositions remises dans le cadre de la consultation provenaient de sociétés très liées à la marque évoquée, puisqu'il s'agissait du fabricant, du distributeur et de l'agent commercial des produits de la marque, le marché ayant été finalement attribué au distributeur. Pour la cour, il y avait là une atteinte au principe d'égalité des candidats et elle avait alors accueilli les demandes de la société Gallaud.

Le Conseil d'Etat observe alors à son tour que le cahier des clauses techniques particulières de la consultation définissait les tailles des pavés à fournir par référence aux pavés de type Quartzo ou similaire, que les caractéristiques mécaniques et physiques exigées des produits proposés par les candidats étaient celles des pavés Quartzo, caractéristiques dont, par ailleurs, pour certaines d'entre elles, étaient supérieures à la norme NF et exprimées dans une norme étrangère et qu'enfin le cahier des charges renvoyait à une annexe qui était la copie d'une page du catalogue des produits de la marque évoquée, dont le nom avait été supprimé. Le Conseil d'Etat confirme, alors, l'atteinte à l'égalité de traitement des candidats.

La collectivité publique avait pris soin de ne pas faire de référence explicite à la marque des pavés recherchés. Pour autant, le juge considère que la reprise dans le cahier des charges des normes et caractéristiques des produits d'une marque constitue une atteinte à l'égalité entre les candidats.

En effet, la Directive 93/37/CEE du Conseil du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (N° Lexbase : L7740AU9) (article 10 et annexe III) applicable en l'espèce, comme la Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services applicable aujourd'hui (N° Lexbase : L1896DYU), interdisent les spécifications techniques ayant pour effet de favoriser ou d'éliminer des candidats :

- article 10.6 de la Directive 93/37/CEE : "les Etats membres interdisent l'introduction [...] de spécifications techniques [...] qui ont pour effet de favoriser ou d'éliminer certaines entreprises" ;

- article 23.2 de la Directive 2004/18/CE : "les spécifications techniques doivent permettre l'accès égal des soumissionnaires et ne pas avoir pour effet de créer des obstacles injustifiés à l'ouverture des marchés publics à la concurrence".

Les spécifications techniques sont ainsi formulées, notamment, par référence aux normes nationales transposant des normes européennes, aux agréments techniques européens, aux spécifications techniques communes (Directive 93/37/CEE, art. 10.2 ; Directive 2004/18/CE, art. 23.3).

Dans le domaine des travaux, les spécifications techniques sont ainsi les prescriptions techniques définissant les caractéristiques requises d'un matériau telles que, notamment, la propriété d'emploi, la sécurité, les dimensions, les procédures d'assurance qualité, la terminologie des symboles, les essais et méthodes d'essai, l'emballage, le marquage, l'étiquetage, les règles de conception et de calculs des ouvrages, les conditions d'essai, de contrôle et de réception des ouvrages ainsi que les techniques et méthodes de construction, etc. (annexe III de la Directive 93/37/CEE, annexe VI de la Directive 2004/18/CE, arrêté du 28 août 2006 relatif aux spécifications techniques des marchés et des accords-cadres pris pour l'application de l'article 6 du Code des marchés publics du 1er août 2006 N° Lexbase : L6750HK9).

Pour les Directives 93/37/CEE et 2004/18/CE et le Code des marchés publics du 1er août 2006, des spécifications techniques ne peuvent mentionner une fabrication ou une provenance déterminées, une marque, un brevet ou un type, dès lors que ce type d'indication aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certaines entreprises ou certains produits (Directive 93/37/CEE, art. 10.6 ; Directive 2004/18/CE, art. 23.8 ; Code des marchés publics, article 6.IV N° Lexbase : L2666HPG).

La réglementation communautaire et la réglementation nationale posent donc la même interdiction. Mais cette interdiction n'est pas absolue. Directives et Code des marchés publics prévoient en effet les deux mêmes limites. La référence à des marques est possible dans l'hypothèse où elle est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans l'hypothèse où elle est indispensable à la description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché. Cette référence doit alors être accompagnée de la mention "ou équivalent".

La décision du Conseil d'Etat relative à la consultation lancée par la commune de Saran s'inscrit précisément dans ce cadre. Elle sanctionne la collectivité publique après avoir relevé qu'en l'espèce "ces spécifications propres à une marque de pavés ne sont pas justifiées par l'objet du contrat".

Une appréciation préalable des circonstances de chaque achat doit permettre de déterminer si la référence à une marque est possible parce qu'elle est indispensable à la compréhension du besoin par les candidats ou parce qu'elle est justifiée par l'objet du marché. Une autre décision du Conseil d'Etat à propos d'une consultation relative à la rénovation de la voirie d'un quartier de la ville de Bordeaux fournit un exemple de référence légitime à une marque dans un cahier des charges. Dans cette espèce, le Conseil d'Etat observe qu'"il ne résulte pas des pièces du dossier qu'en choisissant, à ce stade (celui de la préparation du dossier de consultation) un produit d'une marque déterminée, la personne responsable du marché ait méconnu le principe d'égalité entre les candidats, dès lors que seul ce produit répondait aux exigences du cahier des clauses techniques particulières" (CE, 12 mars 1999, n° 171293, Entreprise Porte N° Lexbase : A4738AXR).

Les règles d'indemnisation des candidats évincés

La cour administrative d'appel avait accordé, on s'en souvient, une indemnité de plus de 15 000 euros à la société Gallaud. Cette décision de la cour est intervenue près de neuf années après le rejet de l'offre de la société. Si après un tel délai, l'annulation de la décision attaquée revêtait vraisemblablement un caractère symbolique, il en va autrement de la réparation pécuniaire du préjudice. Cette question revêt, en effet, une importance particulière pour les deux parties, le candidat évincé étant désormais peut-être réticent pour répondre aux consultations de la collectivité, la collectivité publique se trouvant dans l'obligation de verser une indemnité peut-être significative sur le plan budgétaire.

Le Conseil d'Etat rappelle alors la méthode de détermination d'une éventuelle indemnité.

Il importe, tout d'abord, d'examiner si le candidat était dépourvu de toute chance de remporter le marché. Si tel était le cas, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Si en revanche il s'avère qu'elle disposait d'une chance d'être attributaire, elle a droit au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter une offre. Il doit vraisemblablement s'agir des frais de constitution et d'envoi du dossier ainsi que le temps/homme passé à la préparation de la réponse technique et financière, ce point pouvant s'avérer non négligeable dans le cas de prestations intellectuelles de type maîtrise d'oeuvre (hors cas du concours) ou conception graphique (affiches, journaux...).

Il importe de rechercher ensuite si le candidat avait "des chances sérieuses" d'être retenu. Dans ce cas, l'entreprise doit être indemnisée du manque à gagner que représente son éviction irrégulière. Dans ce manque à gagner, le juge précise qu'il convient d'intégrer, sans traitement spécifique, les frais engagés pour présenter une offre. En l'espèce, le juge conclut à l'absence de "chance sérieuse". Le Conseil d'Etat relève, en effet, dans un développement relativement long que parmi les pièces et documents à produire par les candidats figurait un contrat de garantie portant "sur la tenue des pavés et notamment sur la couleur et la résistance au gel et au sel de déverglaçage". La société Gallaud avait fourni à l'appui de son offre une police d'assurance garantissant uniquement les pavés bénéficiant de la norme NF, ce qui n'était pas de cas des pavés à fournir dans le cadre de la consultation litigieuse. Après une demande de renseignements complémentaires de la collectivité, la société Gallaud a produit une nouvelle police d'assurance étendue aux pavés sans norme NF mais ne couvrant pas la tenue de leur couleur. Ce non-respect du règlement de la consultation impliquant la non-conformité de l'offre, caractérise pour le juge l'absence de chance sérieuse d'être retenue et interdit donc à la société Gallaud d'être indemnisée.

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