La lettre juridique n°233 du 26 octobre 2006 : Éditorial

Dura lex au "Bénéfic" du doute

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Dura lex au "Bénéfic" du doute. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208626-iduralexiaubeneficdudoute
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


"Les services financiers [de La Poste] font vivre le réseau sur le territoire puisqu'ils représentent de 60 % à 80 % de l'activité des petits bureaux de poste. Enserrés dans le cadre étroit de la loi de 1990, qui autorise l'assurance mais pas les prêts sans épargne préalable, ils sont menacés d'asphyxie :
- en raison de l'obsolescence de sa gamme de produits, la clientèle ne se renouvelle plus : la moitié des encours est détenue par des plus de 65 ans et les jeunes et les catégories supérieures dédaignent La Poste, en raison, pour les uns, de l'absence de crédits pour les premiers équipements de la vie et, pour les autres, des rigidités sur le crédit immobilier ;
- asphyxie aussi en raison de son rôle de guichet social : La Poste accueille tous les publics à ses guichets, sans aucune discrimination (les interdits bancaires, qui utilisent le mandat postal comme substitut au chéquier, les allocataires du RMI qui utilisent le Livret A comme un compte courant). Les chiffres montrent que le Livret A est 'sur-utilisé' par les personnes défavorisées : 60 % des livrets ont un encours inférieur à 150 euros et représentent seulement 0,7 % des encours mais plus de 40 % des opérations. Le coût de la gestion de ces 'petits livrets' pèse sur La Poste pour 55 millions d'euros par an.
Contrainte par un cadre réglementaire trop rigide, La Poste est menacée de n'être plus, d'ici quelque temps, que 'la banque des pauvres et des vieux'. Sa part de marché s'effondre depuis 20 ans : elle est passée de 30 % à seulement 9 % du marché financier français
".

Le constat est rude ! Sans doute qu'il n'est pas de première objectivité, mais il est tout de même tiré d'un rapport d'information sur la situation de La Poste, remis le 11 juin 2003 par Gérard Larcher, alors sénateur. Ainsi, l'hiatus révélé entre l'établissement financier et sa clientèle, à l'occasion de ce qu'il est communément admis d'appeler "l'affaire Bénéfic", tire sa substance de l'incompréhension légitime entre un établissement financier lancé sur les rails de la concurrence bancaire et une clientèle "reptiliennement" habituée à percevoir en La Poste un délégataire de service public. D'une part, peut-on reprocher à l'établissement financier d'avoir voulu "surfer", en 1999-2000, sur la vague des spéculations boursières et d'avoir souhaité en faire bénéficier sa clientèle, en prenant lui-même part au risque inhérent à tout placement boursier à hauteur de 23 % ; c'est dire combien la confiance d'alors en l'indice boursier avait guidé la main de La Poste, lorsqu'elle avait proposé, sous diverses coutures, ce placement dit "Bénéfic" ? D'autre part, peut-on reprocher aux clients, naturels ou non, de l'établissement financier, et le plus souvent profanes, d'avoir souhaité prendre une part du gâteau boursier, occultant ce fameux risque de pertes inhérent à ce type de placement, et préférant entendre le son de cloche positif des conseillers du réseau financier, dans un contexte médiatique d'euphorie boursière? L'affaire est d'autant plus douloureuse pour l'établissement financier, comme pour sa clientèle, qu'elle concerne près de 300 000 investisseurs, et que la masse contentieuse liée à ce placement est d'importance -sans doute que la possibilité de mener une action de groupe, en l'espèce, eut été un moyen de régler plus rapidement le sort des réclamations, et d'harmoniser ainsi les solutions juridiques et financières y afférentes-. C'est donc entre les velléités commerçantes légitimes de La Poste et la confiance estimée abusée par sa clientèle que la Cour de cassation a dû se prononcer le 19 septembre dernier. Et à cette dichotomie des points de vue, toute troublante soit-elle, la Haute cour n'a pu apporter qu'une solution implacable en droit : le banquier n'a pas, en l'affaire, manqué à son obligation d'information. Et la cour d'appel de Paris de surenchérir, en considérant comme non-trompeuse, ni de nature à induire en erreur, la publicité afférente à la commercialisation des produits "Bénéfic". Ces solutions, toutes rigoureuses soient-elles, ne satisfont pas, bien évidemment, les clients intéressés à l'affaire, mais également certains auteurs. Car à l'obligation d'information pouvait, éventuellement et également, incomber à l'établissement financier, une obligation de mise en garde, voire de conseil. Or, si la Cour de cassation a explicitement écarté l'obligation de conseil, c'est son service de documentation qui a, explicitement, écarté l'obligation intermédiaire de mise en garde. Mais d'évidence, imagine-t-on un responsable commercial d'un établissement financier, après avoir informé un éventuel client des risques de pertes boursières, le mettre en garde des conséquences graves pouvant découler de ces pertes, et lui conseiller la plus grande prudence vis à vis du placement en cause compte tenu de sa surface patrimoniale ? Après tout, le bon sens populaire ne commande-t-il pas qu'"il faut prendre le bénéfice avec les charges". Sur cette épineuse affaire, les éditions juridiques Lexbase vous invitent à lire l'analyse de Richard Routier, Agrégé des facultés de droit, Affaire "Bénéfic" : justice suprême ou suprême injustice ?.

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