Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-46.134, M. Jean-François Fabre et a. c/ Société Kodak Pathé, FS-P+B (N° Lexbase : A7707DRU) ; Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-40.325, 04-40.326 et 04-40.327, M. Daniel Gibernon et a. c/ Cepa, FS-P (N° Lexbase : A7692DRC)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Dans le cadre d'une application volontaire de l'article L. 122-12 du Code du travail, l'accord des salariés, nécessaire à leur transfert, ne saurait résulter de la seule poursuite dans l'exécution du contrat de travail (n° 04-46.134). Dans le cadre d'une application de plein droit de l'article L. 122-12 du Code du travail, l'existence d'une opposition collective de salariés au remplacement d'un concessionnaire de l'exploitation d'un service public par un autre est impropre à caractériser le refus individuel de chaque salarié de la poursuite de son contrat de travail avec le nouvel employeur lors du transfert effectif de l'entité économique (n° 04-40.325). Le refus de travailler pour le cessionnaire, s'il est établi, produit les effets d'une démission (n° 04-40.325). |
Décisions
- Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-46.134, M. Jean-François Fabre et a. c/ Société Kodak Pathé, FS-P+B (N° Lexbase : A7707DRU) Cassation (cour d'appel de Paris, 18ème ch., sect. D, 8 juin 2004 N° Lexbase : A9784DCD) - Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-40.325, 04-40.326 et 04-40.327, M. Daniel Gibernon et a. c/ Société Compagnie d'exploitation des ports et aéroports (Cepa), FS-P (N° Lexbase : A7692DRC) Cassation (cour d'appel de Montpellier, ch. soc., 5 novembre 2003) Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. trav., art. L. 122-12 (N° Lexbase : L5562ACY), interprété à la lumière de la Directive 77/187 /CEE du 14 février 1977 (N° Lexbase : L4352GUQ) modifiée par la Directive 98/50 du 21 juin 1998 (N° Lexbase : L9988AUH) Mots-clés : C. trav., art. L. 122-12, alinéa 2 ; opposition des salariés ; preuve ; effets Liens base : ; |
Faits
1er arrêt (n° 04-46.134) : La société Kodak-Pathé dont l'activité était la fabrication et la commercialisation de produits liés à la photographie, employait plusieurs salariés dans son établissement de Marne-la-Vallée, dédié à la réception des produits, à la gestion des stocks, à la maintenance du matériel servant au stockage, à la préparation et à l'expédition des commandes. A la suite de la création, en région parisienne, d'un centre européen de distribution dont la gestion a été confiée à la société Caterpillar logistics France, elle lui a transféré les contrats de travail de quarante-six salariés chargés de la distribution des produits, le 1er octobre 2000, aux mêmes conditions de rémunération et de lieu de travail. Trente-deux salariés ont saisi le conseil de prud'hommes, le 17 avril 2002, pour obtenir leur réintégration chez leur employeur d'origine et la condamnation de celui-ci à leur payer des dommages-intérêts en réparation de leur préjudice né de la violation de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail. Pour débouter les salariés de leur demande, l'arrêt attaqué, retenant qu'il ne s'agissait pas d'une application de plein droit de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, mais de son application volontaire, énonce qu'ils ne se sont pas opposés au transfert critiqué et qu'ils ont effectivement travaillé pour la société Caterpillar logistics France à compter de la date prévue, manifestant par là leur consentement audit transfert. 2ème arrêt (n° 04-40.325) : Mme Milhau, M. Pappalardo et M. Gibernon, ont demandé en justice qu'il soit constaté que leurs contrats de travail s'étaient poursuivis de plein droit avec la société Cepa, qui a succédé à la société Sagim dans la gestion du port des Quilles de la commune de Sète, à laquelle ils étaient affectés. Ils ont été déboutés de leurs demandes, les arrêts attaqués ayant relevé qu'il résulte de constats d'huissier des 5 et 10 juillet et 13 décembre 2001, de courriers et d'attestations, qu'avec les autres salariés de la société Sagim, ils ont fait obstruction à la reprise de l'exploitation par la société Cepa, ils sont intervenus volontairement devant le tribunal administratif de Montpellier, pour s'opposer à la requête de la commune de Sète qui demandait l'expulsion de la société Sagim du service public portuaire, qu'une ordonnance du président de la même juridiction leur a enjoint, ainsi qu'à la société Sagim, de remettre les moyens nécessaires au fonctionnement de ce service. Par leur opposition volontaire à la prise de possession par la société cessionnaire, ils ont manifesté sans équivoque leur refus de transfert de leur contrat de travail qui s'imposait à eux, ne se plaçant pas sous un lien de subordination avec le nouvel employeur. Ayant agi de la sorte, à leurs risques et périls, ils ne bénéficient plus des dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail. |
Solution
1er arrêt (n° 04-46.134) : 1. En déduisant l'accord des salariés de leur absence d'opposition au transfert de leur contrat de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé. 2. Cassation 2ème arrêt (n° 04-40.325) : 1. En statuant ainsi, par des motifs qui, s'ils révèlent l'existence d'une opposition collective de salariés au remplacement d'un concessionnaire de l'exploitation d'un service public par un autre, sont impropres à caractériser le refus individuel de chaque salarié de la poursuite de son contrat de travail avec le nouvel employeur lors du transfert effectif de l'entité économique, lequel refus, s'il est établi, produit les effets d'une démission, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. 2. Cassation |
Commentaire
I - Les conséquences du refus du transfert du contrat de travail
Dans l'hypothèse d'un transfert, non pas automatique, en application de l'article L. 122-12 du Code du travail, mais volontaire, les contrats ne sont pas automatiquement et collectivement cédés. Il s'agit, en effet, d'une hypothèse de modification du contrat de travail, par changement d'employeur, que chaque salarié doit individuellement accepter, et que chaque salarié peut donc individuellement refuser (Cass. soc., 2 avril 1998, n° 96-40.383, Société Lafitte c/ Mme Maryse Lesbarrères, inédit N° Lexbase : A6934AHB : "dès l'instant que les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail ne sont pas réunies, le transfert du contrat de travail du salarié ne peut s'opérer qu'avec son accord exprès"). C'est, ici, ce que confirme, au visa de l'article 1134 du Code civil, le premier arrêt (Cass. soc., 10 octobre 2006, M. Jean-François Fabre et a. c/ Société Kodak Pathé, n° 04-46.134, FS-P+B N° Lexbase : A7707DRU).
La jurisprudence affirme depuis longtemps le caractère automatique du transfert des contrats au cessionnaire, en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, transfert qui s'opère "par l'effet de la loi". Le cédant n'a donc pas à notifier le transfert aux salariés pour le leur rendre opposable (Cass. soc., 14 décembre 1999, n° 97-43.011, M Dermoncourt c/ Mlle Riblet et autre, publié N° Lexbase : A6356AGI). Les entreprises ne peuvent pas non plus limiter conventionnellement le nombre des salariés transférés (Cass. soc., 3 mars 1982, n° 80-14310, Association Interdépartementale pour l'Emploi dans l'Industrie et le Commerce Assedic Nancy c/ Société Nouvelle Soloci, Tresse, Lorbat, publié N° Lexbase : A8395CEN) ; tout au moins peuvent-elles décider de la charge finale du coût des licenciements décidés par le cessionnaire postérieurement au transfert (Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 04-14.788, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4285DQR ; v. Cession d'unité de production en phase de liquidation judiciaire : le transfert des contrats de travail s'impose !, Lexbase Hebdo n° 225 du 25 juillet 2006 - édition sociale N° Lexbase : N1220ALR). Le salarié ne saurait donc renoncer au transfert de son contrat, sauf disposition légale contraire, ni s'y opposer.
Lorsque le transfert d'entreprise s'opère dans le cadre prévu par l'article L. 122-12 du Code du travail, et qu'un salarié refuse de passer au service du cessionnaire, la Cour de cassation le considère classiquement comme démissionnaire (Cass. soc., 5 novembre 1987, n° 85-40.629, Mme Pradel c/ Société toulousaine de transports routiers, publié N° Lexbase : A1516ABR : "le refus sans motif valable de Mme Pradel de poursuivre le contrat de travail avec la société Delagnes s'analysait en une démission privative de toute indemnité" ; Cass. soc., 26 septembre 1990, n° 87-41.092, Mme Mercier et autre c/ Société V Distribution, publié N° Lexbase : A9055AAM). La Cour de justice n'a pas jugé autrement. Dans un arrêt en date du 7 mars 1996 (CJCE, 7 mars 1996, aff. C-171/94, Albert Merckx et Patrick Neuhuys c/ Ford Motors Company Belgium SA N° Lexbase : A7247AHU), cette dernière a, en effet, indiqué que "l'article 3, paragraphe 1, de la directive (Directive 77/187 /CEE du 14 février 1977 N° Lexbase : L4352GUQ) ne fait pas obstacle à ce qu'un travailleur employé par le cédant à la date du transfert d'entreprise s'oppose au transfert au cessionnaire de son contrat ou de sa relation de travail. Dans cette hypothèse, il appartient aux Etats membres de déterminer le sort réservé au contrat ou à la relation de travail avec le cédant. Cependant, lorsque le contrat ou la relation de travail est résilié en raison d'une modification du niveau de la rémunération accordée au travailleur, l'article 4, paragraphe 2, de la directive impose aux Etats membres de prévoir que la résiliation est intervenue du fait de l'employeur" (n° 39). A contrario, l'arrêt indique donc qu'en l'absence de modification du niveau de rémunération, la rupture peut valablement être réputée imputable au salarié, ce qui est par conséquent conforme avec la qualification de démission retenue par la Cour de cassation française.
Les dernières évolutions de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, relatives à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, pouvaient faire penser qu'une évolution de l'analyse traditionnelle était possible, dans la mesure où les règles du jeu avaient changé. Les arrêts rendus le 25 juin 2003 ont, en effet, considéré que la prise d'acte par le salarié produisait soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit ceux d'une démission, selon que les griefs formulés à l'encontre de l'employeur étaient ou non établis et d'une gravité suffisante (Cass. soc., 25 juin 2003, cinq arrêts, n° 01-42.679, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y ; n° 01-42.335, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8976C8X ; n° 01-43.578, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8978C8Z ; n° 01-41.150, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8975C8W ; n° 01-40.235, F-P+B+R+I N° Lexbase : A8974C8U, voir "Autolicenciement": enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 101 du 31 décembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9951AAS). Dans ces conditions, la Cour de cassation allait-elle étendre l'application de cette jurisprudence à des cas voisins, dont celui d'un refus de transfert faisait partie ? C'est précisément à cette extension que se livre la Cour, dans l'arrêt rendu le 10 octobre 2006, qui affirme que le refus du transfert, à condition qu'il soit établi, "produit les effets d'une démission". La formule est donc exactement la même que celle adoptée en présence d'une prise d'acte infondée par le salarié de la rupture de son contrat de travail.
Cette extension nous semble, toutefois, bien mal venue. Certes, le salarié qui refuse de passer au service du cessionnaire souhaite, dans une certaine mesure, rompre son contrat avec ce dernier et demeurer au service du cédant. Mais on pourrait tout aussi bien soutenir que le salarié ne souhaite pas rompre son contrat, puisqu'il souhaite continuer à travailler au service du cédant, mais simplement exercer son droit de choisir son employeur. Nous pensons qu'une autre qualification devrait prévaloir. Dans la mesure où le transfert du contrat s'opère par l'effet de la loi, le contrat de travail du salarié se trouve ipso jure transféré au moment de la cession d'entreprise. Sauf lorsque ce dernier démissionne formellement de son emploi, ou prend acte de la rupture, son refus de se présenter à son nouvel employeur s'apparente à une faute disciplinaire que le cessionnaire est en droit de sanctionner. Les conséquences indemnitaires pour le salarié sont alors les mêmes lorsque cessionnaire l'aura licencié pour faute grave puisqu'il perdra le bénéfice de l'indemnité de licenciement et le droit à préavis. Il pourra, toutefois, bénéficier des allocations de chômage, ce qui constitue une différence appréciable. La sanction du comportement perdrait, ainsi, son caractère automatique et pourrait être modulée, en fonction des circonstances. II - Les éléments de fait prouvant le refus du transfert d'entreprise
Pour que cette qualification, très contestable, de refus produisant les effets d'une démission soit retenue, encore faut-il que le salarié ait refusé son transfert. Or, dans ces deux affaires, la Cour de cassation casse deux arrêts d'appel qui avaient cru pouvoir caractériser ce refus, à tort. Dans la première affaire (n° 04-46.134), il s'agit d'une classique hypothèse de refus d'une modification du contrat de travail. La Cour de cassation rappelle, ici, un principe bien acquis depuis l'arrêt "Raquin" rendu en 1987 : "l'employeur ne peut, sans l'accord du salarié, modifier substantiellement le contrat individuel de travail et [...] il lui incombe soit de maintenir les conditions contractuellement concernées, soit de tirer les conséquences du refus opposé par l'intéressé, l'acceptation par celui-ci ne pouvant résulter de la poursuite par lui du travail" (Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, M. Raquin et autre c/ Société anonyme Jacques Marchand, publié N° Lexbase : A1981ABY ; Dr. ouvrier 1988, p. 259, note P. Tillie ; Dr. soc. 1988, p. 140, note J. Savatier ; D. 1988, jur. p. 58, note Y. Saint-Jours), "ni de l'absence de protestation [...]" (Cass. soc., 13 janvier 1999, n° 97-41.519, M. Robert Vallar c / Société Cophoc, inédit N° Lexbase : A3096AGR). Sur ce point, l'affirmation dans l'arrêt du 10 octobre selon laquelle il n'est pas possible de déduire l'accord des salariés de leur absence d'opposition au transfert de leur contrat est parfaitement logique.
Dans la seconde affaire, les faits étaient plus complexes, dans la mesure où une quarantaine de salariés avait "fait obstruction à la reprise de l'exploitation par la société CEPA", étaient "volontairement devant le tribunal administratif de Montpellier, pour s'opposer à la requête de la commune de Sète qui demandait l'expulsion de la société Sagim du service public portuaire" et avaient été expulsés par décision de justice. La cour d'appel avait cru pouvoir déduire de ces éléments une manifestation non équivoque de leur refus du transfert des contrats de travail qui, pourtant, s'imposait juridiquement à eux. Or cet arrêt est cassé, la Chambre sociale de la Cour de cassation affirmant que si les éléments visés "révèlent l'existence d'une opposition collective de salariés au remplacement d'un concessionnaire de l'exploitation d'un service public par un autre, [ils] sont impropres à caractériser le refus individuel de chaque salarié de la poursuite de son contrat de travail avec le nouvel employeur lors du transfert effectif de l'entité économique". En d'autres termes, un refus collectif n'est pas assimilable à une somme de refus individuels. Par ailleurs, et on ne pourra que suivre la Cour sur cette voie, les salariés désiraient faire obstacle au transfert de l'entreprise, en exploitant des voies de droit, voire des voies de fait, mais pas réellement faire obstacle précisément au transfert des contrats de travail. En toute hypothèse, leur comportement ne témoignait pas d'une volonté non équivoque de démissionner de leur nouvelle entreprise, loin s'en fallait, ce qui justifiait pleinement la solution finalement retenue. On le voit, le refus d'assimiler le refus individuel de transfert et le combat mené collectivement par des salariés contre le transfert de leur entreprise, vise à protéger les salariés contre les conséquences d'un tel refus, c'est-à-dire d'une démission et de ses conséquences néfastes. Or, en qualifiant le refus des salariés non pas de démission, mais de licenciement, la Cour permettrait aux juges du fond de tenir compte du contexte dans lequel se déroule le transfert pour déterminer, sans doute de manière plus fine et équitable, les droits des salariés. |
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