La lettre juridique n°233 du 26 octobre 2006 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La loyauté dans la négociation collective n'interdit pas d'apporter des modifications unilatérales au projet d'accord adressé aux parties pour signature

Réf. : Cass. soc., 12 octobre 2006, n° 05-15.069, Fédération nationale des personnels des secteurs financiers CGT Case 537 c/ Fédération des syndicats chrétiens des organismes et professions agricultures CFTC et autres, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7816DRW)

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le 07 Octobre 2010

On peut désormais tenir pour acquis que la négociation collective est soumise à l'exigence de loyauté. Dans un important arrêt rendu le 12 octobre dernier, paré du fameux label "P+B+R+I", la Cour de cassation vient tirer toutes les conséquences de cette exigence en affirmant, en substance, qu'une partie ne peut critiquer les modifications apportées au projet d'accord soumis à la signature après la dernière séance de négociation, lorsque ni cette partie ni aucune autre partie à la négociation n'en a sollicité la réouverture en raison de ces modifications avant l'expiration du délai de signature. Ainsi que le relève la Cour de cassation dans le communiqué (1) accompagnant cette décision, "la solution retenue fait donc confiance aux négociateurs pour apprécier l'importance des modifications apportées et si elles nécessitent une nouvelle discussion (2)"
Résumé

Si la nullité d'un accord est encourue lorsque toutes les organisations syndicales représentatives n'ont pas été convoquées à la négociation, une partie ne peut critiquer les modifications apportées au projet d'accord soumis à la signature après la dernière séance de négociation, lorsque ni cette partie ni aucune autre partie à la négociation n'en a sollicité la réouverture, en raison de ces modifications, avant l'expiration du délai de signature.



Décision

Cass. soc., 12 octobre 2006, n° 05-15.069, Fédération nationale des personnels des secteurs financiers CGT Case 537 c/ Fédération des syndicats chrétiens des organismes et professions agricultures CFTC et autres, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7816DRW)

Rejet (cour d'appel de Paris,18ème ch., sect. C, 27 janvier 2005)

Textes concernés : C. trav., art. L. 132-1 (N° Lexbase : L5292ACY) ; C. trav., art. L. 132-9 (N° Lexbase : L5689ACP)

Mots-clés : négociation collective ; exigence de loyauté ; choix des interlocuteurs ; interdiction des négociations séparées ; modifications unilatérales ; réouverture des négociations.

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Faits

Le 13 janvier 2000, a été conclu entre la Fédération nationale du Crédit agricole (FNCA) et plusieurs organisations syndicales représentatives, un accord sur le temps de travail applicable à l'ensemble des caisses régionales et aux organismes adhérents à la convention collective nationale du Crédit agricole. Cet accord a été étendu par arrêté du ministre de l'Agriculture et de la Pêche, le 7 mars 2000. Le recours pour excès de pouvoir contre cet arrêté ayant été rejeté par décision du Conseil d'Etat du 17 juin 2002 (CE Contentieux, 17 juin 2002, n° 226936, Fédération nationale CGT des personnels des secteurs financiers N° Lexbase : A3583A34), cinq syndicats régionaux ont saisi le tribunal de grande instance d'une demande d'annulation de l'accord à laquelle s'est associée, notamment, la Fédération nationale des personnels des secteurs financiers Case CGT, non signataire de l'accord.

La demande d'annulation était fondée, d'une part, sur des modifications qui auraient été apportées au texte de l'accord après la dernière séance de négociation et avant l'expiration du délai prévu pour sa signature, d'autre part sur le régime juridique de la négociation de cet accord qui ne serait pas un accord de branche, et enfin sur diverses irrégularités tenant au contenu de l'accord.



Solution

"Mais attendu que si la nullité d'un accord est encourue lorsque toutes les organisations syndicales représentatives n'ont pas été convoquées à sa négociation, une partie ne peut critiquer les modifications apportées au projet d'accord lorsque l'existence de négociations séparées n'est pas établie et lorsque ni cette partie ni aucune autre partie à la négociation n'en a sollicité la réouverture en raison de ces modifications avant l'expiration du délai de signature" ;

"D'où il suit que la cour d'appel, qui a constaté que la preuve de négociations séparées n'était pas rapportée et devant laquelle il n'était pas allégué qu'une réouverture de la négociation avait été sollicitée, a légalement justifié sa décision".



Observations

I -L'exigence de loyauté dans la négociation collective

Si notre Code du travail réglemente dans le détail la conclusion et l'exécution des conventions et accords collectifs de travail, il est resté pour le moins silencieux sur leur négociation. Ainsi que l'a relevé un auteur, "ce silence du législateur français n'est pas tout à fait surprenant. Il s'explique certainement en partie par le peu d'intérêt que les juristes français ont porté à la négociation collective dans les relations de travail" (J. Pélissier, La loyauté dans la négociation collective, Dr. ouvrier 1997, p. 496). En outre, et parce que les conventions et accords collectifs sont fondamentalement des contrats, on ne peut manquer de relever que l'absence de réglementation de la négociation collective fait écho au silence du Code civil sur la phase de négociation précontractuelle (3).

Cela étant, il convient de relever, avec d'autres, que l'exigence de bonne foi trouve à s'appliquer dans la négociation collective que ce soit au regard de certaines dispositions éparses du droit du travail ou de la jurisprudence de la Cour de cassation (4).

  • La nécessité de convoquer l'ensemble des syndicats représentatifs

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, la nullité d'un accord est encourue lorsque toutes les organisations syndicales représentatives n'ont pas été convoquées à sa négociation. Loin d'être nouvelle, cette solution a été affirmée par la Cour de cassation dès 1988 (Cass. soc., 13 juillet 1988, n° 86-16.302, Société Nouvelles Messageries de la presse parisienne c/ Syndicat de la région parisienne livre, papier, presse, publié N° Lexbase : A7734AGK ; v. aussi, Cass. soc., 10 mai 1995, n° 92-43.822, M. Plé Christian c/ Société Vandenostende, inédit N° Lexbase : A8537CQA). Bien plus, dans des arrêts postérieurs, et alors que la solution n'allait pas de soi (5), la Cour de cassation a considéré qu'un accord collectif ne peut être révisé sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives ait été invité à sa négociation (Cass. soc., 26 mars 2002, n° 00-17.231, Société Sanofi Synthelabo c/ Syndicat FO Sanofi, publié N° Lexbase : A3930AY9 ; Cass. soc., 17 septembre 2003, n° 01-10.706, Fédération Chimie CGT FO atome c/ Union des industries chimiques, publié N° Lexbase : A5312C9M).

La règle est donc désormais très claire, aucune négociation ne peut être valablement menée sans que tous les syndicats représentatifs dans le champ d'application considéré aient été convoqués. Il n'en reste pas moins évident que chaque organisation reste, ensuite, libre de venir s'asseoir à la table des négociations.

  • L'interdiction de négociations séparées

Si le Code du travail interdit explicitement que les négociations d'une convention de branche susceptible d'extension puissent être menées séparément (C. trav., art. L. 133-1 N° Lexbase : L5694ACU), il n'en va pas de même pour les autres négociations. Tel paraît, cependant, être le sens de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc., 13 juillet 1988, préc. ; v. aussi, Cass. soc., 9 juillet 1996, n° 95-13.010, Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT et autres c/ Société IBM France et autres N° Lexbase : A2173AAQ). Cette position doit être entièrement approuvée, dans la mesure où elle est conforme à l'exigence de loyauté qui doit présider à la négociation d'un accord collectif (v. aussi, J. Pélissier, op. cit., p. 499).

L'interdiction de négociations séparées apparaît, également, en filigrane, dans la décision commentée, lorsque la Chambre sociale vient préciser qu'une partie ne peut critiquer les modifications apportées au projet d'accord soumis à la signature après la dernière séance de négociation "lorsque l'existence de négociations séparées n'est pas établie [...]".

II - Mise en oeuvre

  • Solution

L'arrêt commenté fait une application des principes précités d'une manière relativement pragmatique. Rappelons que l'auteur du pourvoi demandait la nullité de l'accord collectif en raison de modifications apportées au texte de l'accord, après la dernière séance de négociation et avant l'expiration du délai prévu pour sa signature. Sans nier ces modifications, la Chambre sociale refuse, après les juges du fond, de faire droit à cette demande, en affirmant que "si la nullité d'un accord est encourue lorsque toutes les organisations syndicales représentatives n'ont pas été convoquées à sa négociation, une partie ne peut critiquer les modifications apportées au projet d'accord lorsque l'existence de négociations séparées n'est pas établie et lorsque ni cette partie ni aucune autre partie à la négociation n'en a sollicité la réouverture en raison de ces modifications avant l'expiration du délai de signature".

Il convient de le relever d'emblée que la Cour de cassation ne rejette, en aucune façon, la possibilité d'apporter des modifications unilatérales à un projet d'accord proposé à la signature, après la dernière séance de négociations. Elle soumet, toutefois, cette faculté à de strictes conditions qui sont à mettre en relation avec l'exigence de loyauté dans la conduite de la négociation collective.

  • Portée

Il ressort clairement de l'arrêt que ne saurait être admise l'adjonction à un projet d'accord de modifications qui seraient le fruit de négociations séparées. Cela étant, il ne faut pas en déduire que seules des modifications consécutives à une négociation avec l'ensemble des organisations syndicales pourraient être admises. En effet, et ainsi que l'indique la Chambre sociale dans son communiqué, "ne seraient pas non plus admissibles des modifications intervenues dans des conditions telles que l'ensemble des parties n'auraient pas été à même d'en discuter ou de faire des contre-propositions avant la date fixée pour la signature de l'accord".

Il faut donc comprendre que, pour la Cour de cassation, les partenaires sociaux sont maîtres du déroulement de la négociation. En effet, elle ne dit pas que les modifications doivent, dans tous les cas, être soumises à la négociation. Responsabilisant les partenaires sociaux, la Cour de cassation leur laisse la faculté d'apprécier l'opportunité de demander la réouverture des négociations. Par suite, de deux choses l'une : ou bien l'une des parties à la négociation demande la réouverture des négociations au regard des modifications apportées au projet d'accord et celles-ci ne peuvent en aucune façon intervenir sans que cette négociation ait eu lieu ; ou bien aucune des parties en cause n'exige une telle réouverture et les modifications entreront en vigueur dès lors que le texte aura recueilli la signature d'une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés (6). En d'autres termes, si aucune des parties ne s'est manifestée antérieurement à l'expiration du délai de signature, elle perd tout droit de critique à l'égard des modifications opérées et, par voie de conséquence, quant à la validité de l'accord, de ce point de vue là.

Cela étant, et c'est sans doute le seul bémol que l'on apportera à la solution retenue dans l'arrêt sous examen, cette latitude laissée aux partenaires sociaux n'a de sens que si un délai précis a été arrêté pour la signature de l'accord. La Cour de cassation ne dit pas autre chose lorsqu'elle prend soin de relever, toujours dans son communiqué, qu'"en décidant que, jusqu'à l'expiration du délai de signature convenu, les parties ont la possibilité de demander la réouverture des négociations pour faire leurs observations ou contrepropositions, l'arrêt considère donc que jusqu'à cette date, la négociation est en cours, et invite ainsi implicitement les partenaires sociaux à fixer un terme au délai de signature pour marquer le terme de la négociation". Reste à se demander ce qu'il adviendrait de la solution retenue, faute pour les parties à la négociation d'avoir fixé, d'un commun accord, un tel délai. Sans doute pourrait-on alors considérer que la signature de l'acte, dans les conditions légales, par un ou plusieurs syndicats, met un terme à la négociation. Il n'en demeure pas moins, qu'en pratique, les parties concernées signent rarement l'accord en même temps. Or, il nous semble difficile d'admettre que la négociation prend fin dès lors qu'au moins une signature a été apposée au bas de l'acte juridique. Cette dernière ne semble, en effet, pas de nature à interdire à une autre organisation syndicale de demander la réouverture des négociations.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) On ne peut que prendre acte de l'importance qu'il convient désormais d'attribuer aux communiqués de la Cour de cassation (v. sur la question, F. Guiomard, Sur les communiqués de presse de la Chambre sociale de la Cour de cassation, RDT 2006, p. 222.
(2) On relèvera que l'arrêt commenté comporte, en outre, deux rappels importants, d'une part, sur les compétences respectives de la juridiction judiciaire et de la juridiction administrative pour apprécier la validité d'une convention collective étendue et, d'autre part, sur les accords de branche relatifs à la modulation du temps de travail (v., sur ces questions, le communiqué préc. de la Cour de cassation).
(3) Lacune qui pourrait être comblée si l'avant-projet de réforme du droit des obligations était, à terme, transposé dans notre droit positif.
(4) V. en ce sens, J. Pélissier, art. préc. ; Y. Chalaron, La conduite de la négociation, Dr. soc. 1990, p. 584 ; M. Miné, La loyauté dans le processus de négociation collective d'entreprise, Travail et Emploi, n° 84, 2000, p. 47.
(5) Compte tenu du fait qu'un avenant de révision ne peut être valablement signé que par un syndicat de salariés signataire ou adhérent à la convention initiale (C. trav., art. L. 132-7 N° Lexbase : L4696DZX).
(6) A défaut de demande de réouverture de la négociation, la signature vaut approbation des modifications apportées et la non signature vaut désapprobation. Ainsi qu'il ressort du communiqué de la Chambre sociale, le Conseil d'Etat, comme les juges du fond qui avaient écarté la critique en raison du caractère purement formel ou déclaratif des modifications contestées, en avaient, ainsi, apprécié la portée eu égard au contenu de l'accord. La solution retenue par la Cour de cassation repose au contraire sur l'analyse des conditions de la négociation de l'accord.

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