Réf. : Loi n° 2006-961, 1er août 2006, relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (N° Lexbase : L4403HKB)
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le 07 Octobre 2010
L'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3363ADW) est enrichi de cinq nouvelles exceptions. Les dispositions de cet article permettent, dans des cas strictement définis, d'utiliser librement des oeuvres protégées au titre du droit d'auteur sans en demander l'autorisation au titulaire de ces droits. Sont concernés par ces nouvelles dispositions l'enseignement et la recherche, les communications sur les réseaux numériques, les exploitations dans les établissements accueillant des personnes handicapées, les actes de reproductions par les musées, bibliothèques ou services d'archives, et la reproduction partielle ou intégrale d'une oeuvre graphique, plastique ou architecturale dans un but exclusif d'information.
Le test en trois étapes est issu tant de l'article 5 de la Directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, que de l'article 9-2 de la Convention de Berne (N° Lexbase : L6786BHS). Ce test consiste à laisser aux Etats membres la faculté de prévoir dans leur droit national une exception au monopole du droit de reproduction appartenant au titulaire des droits, pourvu qu'une telle reproduction ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ou autre objet protégé, ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.
A la lecture de la nouvelle rédaction de l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, ce test est pleinement consacré : en effet, l'article L. 122-5 énonce les exceptions au monopole du droit de reproduction (cf. supra), puis le texte précise que "les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur".
L'application de ce test avait été anticipée par la Cour de cassation dans un arrêt remarqué du 28 février dernier (Cass. civ. 1, 28 février 2006, n° 05-15.824, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2162DNE). Dans cette affaire, dite "Mulholland drive", un consommateur se plaignait de ne pouvoir réaliser une copie d'un DVD, ce dernier étant équipé de mesures techniques de protection insérées dans le support, rendant toute copie matériellement impossible. Il invoquait une atteinte au droit à la copie privée. La cour d'appel de Paris (CA Paris, 22 avril 2005, n° 04/1933 N° Lexbase : A1867DIY) avait estimé que, sans constituer un droit reconnu de manière absolue à l'usager, l'exception de copie privée ne saurait être limitée alors que la législation française ne comporte aucune disposition en ce sens.
La Cour de cassation avait alors cassé cette décision, au motif que "l'atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre, propre à faire écarter l'exception de copie privée s'apprécie au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d'auteur et de l'importance économique que l'exploitation de l'oeuvre, sous forme de DVD, représente pour l'amortissement des coûts de production cinématographique".
II - Mesures de protection, interopérabilité et copie privée
Les mesures techniques de protection sont consacrées par le nouvel article L. 331-5 du Code de la propriété intellectuelle. Aux termes de celui-ci, "on entend par mesure technique au sens du premier alinéa toute technologie, dispositif, composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, accomplit la fonction prévue par cet alinéa. Ces mesures techniques sont réputées efficaces lorsqu'une utilisation visée au même alinéa est contrôlée par les titulaires de droits grâce à l'application d'un code d'accès, d'un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l'objet de la protection ou d'un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection".
Et l'alinéa 4 de cet article précise que "les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en oeuvre effective de l'interopérabilité, dans le respect du droit d'auteur".
La loi crée une nouvelle autorité de régulation, l'Autorité de régulation des mesures techniques qui "assure une mission générale de veille dans les domaines des mesures techniques de protection et d'identification des oeuvres et des objets protégés par le droit d'auteur ou par les droits voisins".
Cette autorité administrative indépendante est composée de six membres nommés par décret.
Le contournement des MTP est pénalement sanctionné : une amende de 3 750 euros est prévue pour quiconque portera sciemment atteinte à une mesure technique efficace afin d'altérer la protection de l'oeuvre. De plus, celui qui proposera sciemment des moyens spécialement conçus ou adaptés pour contourner ces mesures (application technologique par exemple), est passible de six mois d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende (C. prop. int., L. 335-3-1 nouveau).
La loi déférée instaurait initialement une absence de poursuites pénales concernant le contournement des MTP s'il avait pour finalité le respect du principe d'interopérabilité. Or, le législateur ayant omis de définir l'interopérabilité, les Sages ont estimé que cette disposition floue portait atteinte au principe fondamental de légalité des délits et des peines. En conséquence, un consommateur qui tentera de contourner une MTP en vue de lire un fichier légalement acquis sur un lecteur non compatible avec ledit fichier s'exposera à une sanction pénale...
Difficile aujourd'hui de concilier l'exception à la copie privée et l'existence des mesures techniques de protection. Aussi, le législateur a-t-il choisi de laisser à la nouvelle autorité de régulation le soin de veiller à cette exception. Aux termes du nouvel article L. 331-8 du Code de la propriété intellectuelle, "l'autorité détermine les modalités d'exercice des exceptions précitées et fixe notamment le nombre minimal de copies autorisées dans le cadre de l'exception pour copie privée, en fonction du type d'oeuvre ou d'objet protégé, des divers modes de communication au public et des possibilités offertes par les techniques de protection disponibles".
Il est intéressant de relever que, dans l'alinéa 2 de l'article L. 331-9, la notion de source licite fait son apparition. Cette notion reprend la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 30 mai dernier. En effet, dans son arrêt la Cour de cassation, confrontée à un problème de téléchargement sur internet, a subordonné l'exception de copie privée à la licéité de la source (Cass. crim., 30 mai 2006, n° 05-83.335, F-D N° Lexbase : A9562DPT). L'arrêt déféré devant les Hauts magistrats était celui rendu par la cour d'appel de Montpellier, le 10 mars 2005 (CA Montpellier, 10 mars 2005 n° 04/01534 N° Lexbase : A2722DHB ; et lire Téléchargement : débat autour des nouvelles dispositions du projet de loi N° Lexbase : N9148AKZ). En l'espèce, la cour d'appel avait relaxé un internaute qui avait téléchargé des fichiers à ses propres fins, sur le fondement de l'exception de copie privée. L'arrêt sera censuré par la Cour de cassation. En effet, selon la Cour, "en se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur les circonstances dans lesquelles les oeuvres avaient été mises à disposition du prévenu et sans répondre aux conclusions des parties civiles qui faisaient valoir que l'exception de copie privée prévue par l'article L. 122-5, 2°, du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3363ADW), en ce qu'elle constitue une dérogation au monopole de l'auteur sur son oeuvre, suppose, pour pouvoir être retenue, que sa source soit licite et nécessairement exempte de toute atteinte aux prérogatives des titulaires de droits sur l'oeuvre concernée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision". Ainsi, en faisant application de l'article 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC), aux termes duquel tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties, la Cour de cassation ne tranche pas au fond et laisse à la cour d'appel d'Aix-en-Provence le soin de se prononcer sur cette délicate question.
III - Intensification de la lutte contre la contrefaçon
La loi nouvelle insère au Code de la propriété intellectuelle un article L. 335-2-1 aux termes duquel "est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende le fait :
1° D'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'oeuvres ou d'objets protégés ;
2° D'inciter sciemment, y compris à travers une annonce publicitaire, à l'usage d'un logiciel mentionné au 1°".
Sont ainsi directement visés les éditeurs de logiciels de peer to peer.
Concernant l'internaute qui télécharge sur les sites de peer to peer, l'article 24 de la loi déférée prévoyait de soustraire certains agissements aux dispositions applicables aux délits de contrefaçon en matière de propriété littéraire et artistique. Auraient dû être constitutives de contraventions, et non plus de délits, d'une part, la reproduction non autorisée, à des fins personnelles, d'une oeuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme protégés par un droit d'auteur ou un droit voisin lorsqu'ils auront été mis à disposition au moyen d'un logiciel d'échange peer to peer et, d'autre part, la communication au public, à des fins non commerciales, de tels objets au moyen d'un service de communication au public en ligne, lorsqu'elle résulte automatiquement et à titre accessoire de leur reproduction au moyen d'un logiciel d'échange.
Cet article a été censuré par le Conseil constitutionnel qui énonce, dans sa décision (point 65), "qu'au regard de l'atteinte portée au droit d'auteur ou aux droits voisins, les personnes qui se livrent, à des fins personnelles, à la reproduction non autorisée ou à la communication au public d'objets protégés au titre de ces droits sont placées dans la même situation, qu'elles utilisent un logiciel d'échange de pair à pair ou d'autres services de communication au public en ligne ; que les particularités des réseaux d'échange de pair à pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement qu'instaure la disposition contestée ; que, dès lors, l'article 24 de la loi déférée est contraire au principe de l'égalité devant la loi pénale ; qu'il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, de le déclarer contraire à la Constitution".
Le débat reste donc d'actualité sur ce sujet.
IV - Diverses autres dispositions
L'article L. 131-2 du Code du patrimoine (N° Lexbase : L6807DYR), qui détermine les supports soumis à dépôt légal, est ainsi complété : "les logiciels et les bases de données sont soumis à l'obligation de dépôt légal dès lors qu'ils sont mis à disposition d'un public par la diffusion d'un support matériel, quelle que soit la nature de ce support. Sont également soumis au dépôt légal les signes, signaux, écrits, images, sons ou messages de toute nature faisant l'objet d'une communication au public par voie électronique".
La loi reconnaît aux agents publics la titularité des droits sur leurs créations (C. prop. intell., art. L. 121-7-1, nouveau). Le texte distingue entre une cession obligatoire à l'administration des droits des fonctionnaires pour l'exploitation non-commerciale de leurs oeuvres et un simple droit de préférence de l'administration en cas d'exploitation commerciale de celle-ci.
Le titre III de la loi nouvelle complète les dispositions existantes du Code de la propriété intellectuelle concernant les sociétés de gestion collective. Il prévoit, entre autres, leur soumission à des règles comptables communes (C. prop. intell., art. L. 321-12, modifié).
Anne-Laure Blouet-Patin
Rédactrice en chef du pôle Presse
(1) L'interopérabilité est la capacité qu'ont deux ou plusieurs systèmes informatiques à dialoguer ensemble.
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