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par Compte-rendu réalisé par Laure Teyssendier, SGR - Droit social
le 07 Octobre 2010
1. Egalité de traitement : un concept qui se cherche depuis 30 ans
De nombreux textes existant sur le sujet, Maître Ming Henderson-Vu Thi a rappelé, dans un premier temps, de manière concise, les principaux textes ayant permis la construction de ce principe.
- Un principe constitutionnel : la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU) a reconnu, dans son préambule (alinéa 3), que la "loi garantissait à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme".
- La loi du 22 décembre 1973 et le décret du 15 novembre 1973 : ces textes posent le principe de l'égalité des rémunérations auquel est assortie une sanction : celle de la nullité de plein droit de toute disposition contraire (C. trav., art. L. 140-2 et suiv. N° Lexbase : L4160DC3).
- La loi "Roudy" du 13 juillet 1983 : cette loi transpose la Directive 76/207 (Directive (CE) 76/207 du Conseil du 9 février 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes N° Lexbase : L9232AUH). L'objectif de ce texte était d'assurer l'égalité des hommes et des femmes concernant l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, ainsi que les conditions de travail.
- La consécration par la Cour de cassation du principe "à travail égal, salaire égal" par l'intermédiaire d'un célèbre arrêt : l'arrêt "Ponsolle" (Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle, publié N° Lexbase : A9564AAH, JCP éd. E 1997, II, 904, note A. Sauret ; Dr. soc. 1996, p. 1013, obs. A. Lyon-Caen). Les juges confèrent à ce principe la valeur d'une règle impérative ; "l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés de l'un ou l'autre sexe, pour autant que les salariés en cause sont placé dans une situation identique".
- La loi de 2001 sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes : ce texte renforce le rôle des partenaires sociaux et des institutions représentatives du personnel dans la promotion de l'égalité entre hommes et femmes au sein de l'entreprise (loi n° 2001-397 du 9 mai 2001, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes N° Lexbase : L7076ASU, sur ce sujet lire Anne Olivier, Loi sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes : la notion "d'indicateurs pertinents", Lexbase Hebdo du 15 mai 2001 N° Lexbase : N0752AA4).
- La loi du 23 mars 2006 sur l'égalité salariale : l'objectif de ce texte est de supprimer les écarts de rémunération entre les deux sexes (loi n° 2006-340, 23 mars 2006, relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes N° Lexbase : L8129HHK, sur ce sujet lire Ch. Radé, La suppression des écarts de rémunération, Lexbase Hebdo n° 209 du 6 avril 2006 - édition sociale N° Lexbase : N6688AKW).
Selon Maître Ming Henderson-Vu Thi, cette loi, largement condamnée par le Conseil constitutionnel, a une portée limitée. En effet, deux des quatre objectifs poursuivis ont été censurés par le Conseil constitutionnel ; notamment, la promotion de l'accès des femmes aux instances de pouvoir (sur ce thème, lire Gilles Auzero, L'accès des femmes à des instances délibératives et juridictionnelles : la censure du Conseil constitutionnel était prévisible !, Lexbase Hebdo n° 209 du 6 avril 2006 - édition sociale N° Lexbase : N6587AK8), ainsi que l'objectif consistant à améliorer l'accès à la formation professionnelle des jeunes filles (sur ce thème, lire Nicolas Mingant, L'accès à la formation et à l'apprentissage, Lexbase Hebdo n° 209 du 6 avril 2006 - édition sociale N° Lexbase : N6686AKT). La censure du Conseil constitutionnel est décevante, étant donné que la Directive européenne avait laissé la possibilité à chaque Etat membre de favoriser une catégorie de la population par la mise en place de discrimination positive. La France a intégralement refusé ce principe. Comment est-il, alors, possible de rattraper le décalage, évalué aujourd'hui en moyenne à 25 %, entre les rémunérations des hommes et celles des femmes ? Cette loi, cependant, apporte quelques éléments intéressants. Elle étend, notamment, la notion de rémunération aux stock-options, à la participation, à l'intéressement ; elle inscrit un objectif de négociation de branche, et impose au niveau de l'entreprise un engagement obligatoire de négociation sur l'égalité salariale...
2. La notion de discrimination
On entend par discrimination "l'interdiction de prendre en considération un critère déterminé lorsque la décision est prise au sein de l'entreprise". Ce principe est mis en oeuvre par la loi de novembre 2001 (loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001, relative à la lutte contre les discriminations N° Lexbase : L9122AUE). Toutes les discriminations, qu'elles soient fondées sur l'origine, le sexe, les moeurs, l'orientation sexuelle, le handicap..., sont condamnées. Ce texte opère un renversement de la charge de la preuve. Le salarié doit apporter les éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.
Partant du constat d'échec de la protection et sous l'influence du droit communautaire, la jurisprudence lève l'obstacle probatoire en allégeant le fardeau de la preuve mis à la charge du salarié. Le salarié doit, désormais, apporter au juge les allégations et éléments de faits susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement, à charge pour l'employeur d'établir que cette disparité est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La charge de la preuve pour l'employeur est donc plus lourde : s'il ne peut présenter au juge d'éléments objectifs, il succombera et le juge pourra prononcer la nullité de plein droit de la décision prise par l'employeur avec des conséquences lourdes, telles la réintégration du salarié dans l'entreprise ou son dédommagement, à hauteur de la totalité du préjudice subi. La prescription étant trentenaire en matière de dommages-intérêts, Ming Henderson-Vu Thi conseille donc à l'employeur d'être vigilant et de conserver, par conséquent, tous les éléments de preuve.
3. Situation actuelle
Aujourd'hui, le bilan reste assez mitigé. Certes, il est possible de constater une volonté de rattrapage des inégalités salariales, mais des écarts importants subsistent. Selon un rapport du Sénat de 2005, en France, l'écart moyen qui diffère en fonction des catégories professionnelles (plus important chez les cadres), des fonctions, mais aussi des secteurs d'activités et de la taille de l'entreprise, serait en moyenne de 25 %. Plusieurs entreprises ont signé des accords sur l'égalité salariale, telles EADS, Casino, EDF. La majorité des accords signés récemment ne fait que rappeler les grands principes mis en avant par les textes législatifs ou par la jurisprudence et ne prévoit pas de sanction. D'autres tentent de corriger les inégalités existantes en privilégiant une catégorie de personnes, par la mise en place de la discrimination positive. Ces accords sont-ils, alors, en contradiction avec la Constitution ?
4. La jurisprudence
Les arrêts rendus en matière d'égalité de rémunération s'appuient, en général, sur les textes européens et non pas sur ceux des Etats membres. Le principe de discrimination positive, visant à favoriser une catégorie de salariés, est autorisé ; mais il reste à l'état de principe sans qu'aucune automaticité ne soit reconnue. Il ne faudrait surtout pas, sous prétexte de ce principe, défavoriser les hommes !
La Chambre sociale de la Cour de cassation a tenté d'apporter des précisions en se prononçant sur les critères à apporter en matière d'égalité salariale et les éléments susceptibles de justifier des différences de rémunérations entre salariés exerçant des tâches identiques au sein de l'entreprise. La rémunération s'entend alors du salaire proprement dit et des avantages et accessoires s'y rapportant et, notamment, des primes, des congés payés, des chèques déjeuners... La Cour de cassation a précisé qu'il faut entendre par rémunération "le salaire ou traitement ordinaire brut de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature par l'employeur" (Cass. soc., 10 avril 2002, n° 00-42.935, F-D N° Lexbase : A4899AY4). Aucune règle stricte n'étant établie, les juges évaluent les situations au cas par cas.
Cependant, il est clairement établi que le cadre d'appréciation s'effectue au sein de l'entreprise, et que l'employeur doit nécessairement apporter des justifications objectives et vérifiables de la différence. Le statut d'expatrié (Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-47.720, Société European synchrotron radiation facility (ESRF) c/ M. Marc Diot, FS-P+B N° Lexbase : A5949DLW), le parcours professionnel, l'expérience (Cass. soc ., 16 février 2005, n° 03-40.465, M. Gabriel Aguera c/ Société M2PCI, F-D [LXB=A7451DG3 ]), la compétence ou la qualité du travail (Cass. soc., 8 novembre 2005, n° 03-46.080, F-D N° Lexbase : A5107DLQ), le pôle d'excellence (Cass. soc ., 9 novembre 2005, n° 03-47.720, Société European synchrotron radiation facility (ESRF) c/ M. Marc Diot, FS-P+B, précité), le marché de l'emploi (Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-42.658, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7983DII), sont autant d'exemples de justifications objectives et vérifiables d'une différenciation de rémunération.
Maître Ming Henderson-Vu Thi a conclu sa présentation en incitant les employeurs à davantage de vigilance lors de la mise en place d'une politique de rémunération. Voici les mots d'ordre :
- transparence, par la mise en place d'une grille et de critères permettant d'objectiver et d'informer les salariés ;
- archive, permettant d'apporter les éléments de preuve nécessaires en cas de contentieux ;
- négociation ;
- pragmatisme.
Elle ajoute qu'il est important de neutraliser le contentieux en amont et de veiller, surtout, particulièrement à la situation des salariés protégés.
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