Réf. : Cass. com., 10 mai 2006, n° 05-16.909, Groupement d'analyses médicales de l'Atlantique (GAMA) c/ Mme Hélène Susini, épouse de Luca, FS-P+B (N° Lexbase : A3792DP7)
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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris
le 07 Octobre 2010
Madame L., au soutien de sa demande de suspension, faisait valoir que les résolutions avaient été adoptées au mépris des droits de la défense, les associés ayant refusé que son avocat puisse assister à l'assemblée générale, ce qui, en tant que tel, était constitutif d'un trouble manifestement illicite.
Les juges du fond avaient accueilli la demande de suspension et retenu que la décision d'exclusion, prise à l'issue d'une procédure irrégulièrement suivie en raison du refus de la présence d'un avocat aux côtés de l'associé exclu, était constitutive d'un trouble manifestement illicite.
La cour d'appel de Rennes retenait, plus précisément, qu'"en l'absence de toute précision dans les statuts et les textes légaux et réglementaires applicables à ce type de société sur les modalités par lesquelles un associé menacé d'exclusion pouvait faire valoir sa défense, les associés ne pouvaient arbitrairement refuser à Madame L. de mettre en oeuvre les moyens qu'elle estimait opportuns pour se défendre, ces moyens étant ceux habituellement utilisés lorsqu'une personne était mise en cause".
Ainsi, en refusant la possibilité pour Madame L. de se faire assister par un avocat, ses associés ont, selon les premiers juges, porté atteinte aux droits de cette dernière de se défendre sur les reproches formulés à son égard.
Saisie du pourvoi formé dans l'intérêt de la société et des associés, la Cour de cassation a cassé l'arrêt d'appel : elle retient que l'assemblée générale, n'étant pas un organisme juridictionnel ou disciplinaire, mais un organe de gestion dont les décisions étaient soumises au contrôle juridictionnel dans le cadre duquel Madame L. pouvait être (et avait été) assistée par son avocat, aucun trouble manifestement illicite n'était donc caractérisé.
Cette solution nous paraît fondée : elle s'inscrit, en effet, dans le courant jurisprudentiel précisant les règles applicables aux révocations et/ou exclusions des associés gérants.
Elle s'inscrit, également, dans la droite ligne des décisions antérieures précisant la notion de "trouble manifestement illicite" conditionnant la recevabilité d'une demande de mesure conservatoire ou de remise en état.
Il sera rappelé que le trouble manifestement illicite désigne "toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la rège de droit" (Solus et Perrot, Droit judiciaire privé, Sirey, n° 1289).
Ainsi, et au regard des conditions d'application de l'article 809 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3104ADC) conditionnant la recevabilité de la demande de suspension à l'existence d'un trouble manifestement illicite, les juges du fond ont, déjà, eu l'occasion de préciser que constitue un trouble manifestement illicite l'hypothèse où, avec une évidence et une incontestabilité suffisantes, une atteinte est portée, par voie d'action ou d'omission, à une disposition légale ou réglementaire (TGI Paris, réf., 11 mars 1985, Gaz. Pal. 1985, 1, 269 et CA Limoges, 20 août 2002, JCP 2003, IV, n° 3032).
Il ressort des faits de l'espèce commentée qu'aucune disposition légale ou réglementaire, ni même statuaire, n'a été violée : au contraire, les juges du fond ont souligné l'absence de toute précision dans les statuts et les textes légaux et réglementaires applicables à ce type de société sur les modalités par lesquelles un associé menacé d'exclusion pouvait faire valoir sa défense !
Dès lors, et en vertu des contours de la notion de "trouble manifestement illicite" dessinés par les juridictions, la solution posée par la Cour de cassation se justifie.
Cette solution se justifie, également, au regard des principes régissant le droit d'accès aux assemblées générales.
En effet, le rapprochement est permis avec l'hypothèse dans laquelle un associé demande à être assisté par un huissier de justice à une assemblée générale.
La Cour de cassation a pu préciser, dans le cadre d'une société anonyme, que l'article 149 du décret de 1967 (décret n° 67-236, du 23 mars 1967, sur les sociétés commerciales, art. 149 N° Lexbase : L2395AH8) n'excluait pas la possibilité pour un actionnaire, qui souhaite obtenir un compte-rendu complet des débats ou se ménager une preuve, de se faire accompagner par un huissier de justice (Cass. com., 15 février 1977, n° 75-14.672, Gauthier, Mairesse-Lebrun c/ SA Manurhin, Spengler, Bull. civ. IV, n° 48 N° Lexbase : A3192AGC). Toutefois, les motifs d'une telle demande doivent être graves et intéresser directement le fonctionnement de la société. Dans une telle hypothèse, l'associé peut être recevable à solliciter en justice l'autorisation de faire assister un huissier de justice à l'assemblée.
Il ne ressort pas des faits de l'espèce que les questions inscrites à l'ordre du jour de l'assemblée générale extraordinaire mettaient en péril les intérêts de la société. Il semble que seuls les intérêts personnels de Madame L. étaient menacés. En conséquence, et en admettant l'application des solutions posées en matière d'assistance d'un huissier de justice aux assemblées, l'arrêt rendu par les juges du fond paraissait contestable.
La solution posée par la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté nous semble, également, justifiée au regard des règles encadrant la révocation du gérant de société civile.
Sur un plan général, rappelons qu'il est admis tant dans les hypothèses où les mandataires sociaux sont révocables ad nutum (dans les sociétés anonymes, notamment : voir N° Lexbase : E3169AUW et plus particulièrement N° Lexbase : E3175AU7), c'est-à-dire sur un simple signe de tête, que dans celles où le gérant est révocable pour de justes motifs (notamment au sein des SARL : C. com., art. L. 223-25 N° Lexbase : L3180DYG) que le respect des droits de la défense doit être assuré.
Ainsi, la Cour de cassation a admis, dans le cadre d'une société anonyme que la révocation du directeur général qui peut être décidée à tout moment, sans préavis ni précision de motifs, par le conseil d'administration sur proposition de son président, engage la responsabilité de la société si elle revêt un caractère abusif, eu égard aux circonstances dans lesquelles elle intervient (Cass. com., 26 avril 1994, n° 92-15.884, M. Pesnelle c/ Société Autoliv Klippan, Bull. civ. IV, n° 158 N° Lexbase : A7047ABM).
Dans le cadre d'une SARL, il a, également, été admis que, si des fautes sont reprochées au gérant, la loyauté commerciale veut que celui-ci soit informé du projet de révocation et invité à se justifier avant que sa révocation ne soit votée (voir, notamment, CA Paris, 3ème ch., sect. A, 4 novembre 1992, n° 90/018905, Société Conseil Organisation BTE c/ Monsieur Martel N° Lexbase : A9477A77).
Dans les sociétés civiles, si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts (C. civ., art. 1851 N° Lexbase : L2048ABH).
Les solutions applicables aux sociétés à responsabilité limitée nous paraissent donc transposables (voir dans le même sens Mémento Francis Lefebvre, Sociétés civiles 2005, n° 7213) et le respect des droits de la défense et, notamment, le respect du principe du contradictoire doivent être assurés.
Or, en l'espèce, il apparaît que Madame L. avait été, préalablement, informée de la volonté des associés de révoquer son mandat de gérant, et il est permis de supposer qu'elle connaissait la nature des griefs formulés à son encontre.
Il semble, donc, que le principe du contradictoire n'ait pas été violé et qu'elle ait été mise en mesure d'assurer sa défense lors de l'assemblée générale extraordinaire.
Au regard des principes encadrant la possibilité dans les sociétés civiles d'exclure un associé, cette décision nous paraît également fondée en admettant que les statuts de la SELARL GAMA aient prévu la possibilité, pour les associés, d'exclure l'un d'entre eux.
En effet, si aucune clause statutaire ne prévoit la possibilité d'exclure un associé aux conditions qu'elle détermine, il ne peut être imposé à un associé la cession forcée de ses titres (Cass. com., 13 décembre 1994, n° 93-11.569, Consorts Bujon et autres c/ Société Etarci et autres N° Lexbase : A4935ACR).
L'efficacité des clauses de rachat forcé est subordonnée à leur rédaction. Ainsi, les statuts devront prévoir avec précision les motifs d'exclusion, l'organe social habilité à statuer sur cette exclusion, la procédure à suivre, ainsi que les conditions de remboursement des parts sociales de l'associé exclu (voir Mémento Francis Lefebvre, Sociétés civiles 2005, n° 20211).
Or, en l'espèce, les juges du fond avaient manifestement étudié les statuts puisqu'ils relevaient l'absence de toute précision dans ces derniers et les textes légaux et réglementaires applicables à ce type de société sur les modalités par lesquelles un associé menacé d'exclusion pouvait faire valoir sa défense.
Dès lors, le juge du référé étant bien souvent assimilé au juge de l'évidence, la solution rendue par la Cour de cassation, dans l'arrêt rapporté, nous paraît pleinement justifiée.
Si les juges du fond sont souverains pour apprécier l'existence d'un trouble manifestement illicite, la Cour de cassation réaffirme, ici, son droit de contrôler le caractère manifestement illicite du trouble invoqué pour voir prononcer les mesures conservatoires ou de remise en état.
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