La lettre juridique n°216 du 25 mai 2006 : Éditorial

La fiscalité sur le divan, en attendant la Canope des droits de l'Homme

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La fiscalité sur le divan, en attendant la Canope des droits de l'Homme. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208342-la-fiscalite-sur-le-divan-en-attendant-la-canope-des-droits-de-lhomme
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014

La fiscalité est-elle victime d'un dédoublement de la personnalité ? A en croire les dernières décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, la psychose n'est pas prête de guérir ! En effet, à la question séculaire, aux relents théologiques, l'impôt appartient-il à la sphère publique ou privée, la Cour répond par une formule alambiquée, dont elle a le secret, et qui ne convainc pas tout le monde : l'impôt emporte, certes, des conséquences patrimoniales relevant de la sphère privée, mais demeure une prérogative de puissance publique et, à ce titre, relève de la sphère publique. Et voilà que les fiscalistes-réalistes en sont à nouveau pour leur frais devant l'entêtement des Etats-cubistes à maintenir l'impôt comme un instrument régalien absolu au XXIème siècle. Il faut dire que, même si les juges de la Cour européenne ont pour principale mission de protéger les droits fondamentaux des citoyens face à la puissance étatique, la question de la nature de la fiscalité dérange. Poumon de l'action publique, l'impôt ne relève pas vraiment du contrat social -malgré l'illusion d'un consentement annuel à l'impôt, conformément à la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen-. Car si tel était le cas, la responsabilité de l'Etat pourrait aisément être engagée sur le terrain des droits de l'Homme, dans le cadre de la levée de l'impôt. Le refus systématique d'appliquer au recouvrement fiscal le droit à un procès équitable en est une illustration. Mais, à la décharge de ces juges suprêmes, le passif historique est lourd à écarter. "Les nations ne peuvent pas avoir de tranquillité sans une armée ; pas d'armée, sans une solde ; pas de solde sans des impôts". Tout est dit, ou presque, avec Tacite. L'organisation sociale, voire la civilisation, naissent avec l'impôt. Et Oliver Wendell Holmes de clamer "j'aime payer des impôts. Lorsque je paie des impôts, j'achète la civilisation". L'impôt est universel, tant il est inhérent à la civilisation : instrument de libération des hommes, il ne faut pas oublier que le tribut antique remplace le pillage anarchique et protège les sociétés vaincues ; instrument de libération des âmes, l'impôt est le squelette des églises primitives des Etats théocratiques qui de la levée de la dîme promettent la libation ou l'indulgence... Impôts fonciers, impôts sur la production et impôts sur le foyer, la trilogie de la fiscalité traverse les âges et les empires (égyptiens, romains, chinois ou arabo-musulmans). Alors, non seulement l'histoire commande que la fiscalité relève de la sphère publique, mais les écritures consacrent le fait. Et l'Evangile d'exhorter à rendre à César (puissance publique), ce qui lui appartient (la levée de l'impôt), et à Dieu (puissance privée et conviction intime), ce qui lui revient ; entérinant, par là-même, la fin (temporaire ?) de la double nature de l'impôt. On le voit bien, devant la patrimonialité privée de l'impôt se dressent la civilisation et Dieu ! Pourtant, il n'y qu'à ouvrir les yeux pour s'apercevoir que l'enjeu fiscal s'étend largement au-delà de la sphère régalienne. Les implications économiques et financières de la pression fiscale touchent le développement personnel des individus. Aucune décision stratégique d'investissement ou d'implantation n'est prise sans le conseil d'un fiscaliste. Les mécanismes mêmes du droit fiscal empruntent au droit public comme au droit privé. L'impôt, notamment, dans le cadre de l'harmonisation européenne lui niant extrinsèquement toute nature régalienne, est une donnée macro-économique comme une autre. C'est pourquoi il est permis de penser que l'école des fiscalistes-réalistes peut prospérer devant l'émancipation de la laïcité de l'impôt -après tout "les pensées sont exemptes d'impôt" (William Camden). Les éditions juridiques Lexbase vous proposent, cette semaine, de lire la chronique de Karim Sid Ahmed, Docteur en droit, "Stere et autres c/ Roumanie" ou la confirmation malheureuse de la jurisprudence "Ferrazzini" par la Cour européenne des droits de l'Homme.

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