Lecture: 14 min
N3696AIQ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Freshfields Bruckhaus Deringer Paris
le 07 Octobre 2010
IV - Arrêts de la cour d'appel de Paris
Saisi par la société Neuf Télécom, le Conseil de la concurrence avait, par une décision n° 00-MC-01 du 18 février 2000 (N° Lexbase : X6610ACS), enjoint à France Télécom de proposer aux opérateurs tiers, dans un délai maximum de six semaines, une offre technique et commerciale d'accès au "circuit permanent virtuel" (21) pour la fourniture d'accès à Internet à haut débit par la technologie ADSL.
Estimant que France Télécom ne s'était pas conformée à l'injonction, Neuf Télécom avait de nouveau saisi le Conseil de la concurrence.
Par décision n° 04-D-18 en date du 13 mai 2004 (N° Lexbase : X5323AC7), celui-ci accueillait la demande du plaignant en constatant que l'offre proposée par France Télécom à ses concurrents ne permettait pas à ces derniers d'offrir une concurrence effective aux services de l'opérateur historique, car elle ne leur permettait de dégager qu'une marge quasi-nulle. Cette pratique, dite de "ciseau tarifaire", était alors condamnée par le Conseil qui infligeait à France Télécom une sanction pécuniaire de 20 millions d'euros pour non respect de son injonction.
Saisie de l'appel de la décision du Conseil, la cour d'appel de Paris, constatant la "gravité de la pratique poursuivie, caractérisée par le non respect délibéré d'une injonction claire, précise et dépourvue d'ambiguïté et par la persistance du comportement anticoncurrentiel de France Télécom", réforme ladite décision en portant l'amende à 40 millions d'euros.
Cet arrêt revêt une importance particulière. En effet, outre l'importance de la sanction prononcée, c'est la première fois que la cour d'appel de Paris aggrave une condamnation prononcée par le Conseil de la concurrence.
En effet, à plusieurs reprises par le passé, la cour avait au contraire réduit les amendes infligées par le Conseil, et ce, parfois, dans des proportions extrêmement importantes (22).
Il était dès lors généralement considéré que l'appel d'une décision du Conseil ne comportait que très peu de risque.
Désormais, une entreprise condamnée par le Conseil de la concurrence devra mesurer soigneusement ses chances de succès avant d'interjeter appel, sous peine de voir sa sanction aggravée par la cour (23).
V - Arrêts de la Cour de cassation
Dans cette affaire, la Cour de Cassation a été amenée à préciser les conditions d'application des articles 81 et 82 du Traité CE par les autorités nationales de concurrence.
Il s'agissait de déterminer si les conditions de fond d'octroi de mesures conservatoires à prendre en compte par les autorités nationales, lorsqu'elles font application des articles 81 et 82 du Traité CE, sont celles définies par le droit communautaire ou celles posées par le droit national.
Pour rappel, le Conseil, qui avait examiné l'affaire sur le seul fondement du droit interne (C. com., art. L. 464-1 N° Lexbase : L6639AIQ), avait rejeté la demande de mesures conservatoires présentées par la société Pharma-Lab, grossiste-répartiteur en produits pharmaceutiques.
La cour d'appel avait confirmé cette décision, mais s'était appuyée sur les critères posés par la jurisprudence communautaire. En effet, elle avait jugé, au nom de l'exigence d'efficacité et d'uniformité d'application du droit communautaire sur l'ensemble du territoire de l'union, que les critères d'appréciation du bien-fondé des mesures conservatoires devaient être ceux définis par le droit communautaire, les dispositions de l'article L. 464-1 devant être interprétées à la lumière du droit communautaire.
En cassant l'arrêt d'appel, la Cour de cassation, se fondant sur l'article 10 du Traité CE et l'article L. 470-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6652AI9), est venue rappeler le principe de l'autonomie procédurale selon lequel les autorités nationales de concurrence demeurent tenues, lorsqu'elles appliquent les articles 81 et 82 du Traité CE, de mettre en oeuvre les règles de procédures nationales et non les règles procédurales communautaires. Elles ne peuvent s'en écarter que dans le cas où ce principe conduirait à rendre impossible ou excessivement difficile l'application du droit communautaire de la concurrence.
Il est important de souligner que cet arrêt vise l'article L. 470-6 du Code de commerce "dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits". Or, depuis les faits, de nouvelles dispositions du Code de commerce touchant aux règles de procédure interne en droit de la concurrence ont été introduites. Toutefois, il n'est pas certain que la modification introduite par l'ordonnance du 4 novembre 2004 (24) conduise à modifier en substance cette solution.
VI - Décisions du Conseil d'Etat
Le Conseil d'Etat a annulé, dans son arrêt du 25 février 2005 (25), et sur recours pour excès de pouvoir introduit par France Télécom, la décision de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) du 16 avril 2002 demandant à France Télécom d'apporter des modifications à son offre de référence pour l'accès à la boucle locale (CE Contentieux, 25 février 2005, n° 247866, France Télécom N° Lexbase : A8439DGN).
Avant de procéder à l'analyse des enjeux de la solution donnée par le Conseil, il convient, en premier lieu, de rappeler le contexte réglementaire applicable en l'espèce. Le règlement communautaire n° 2887/2000 relatif au dégroupage de l'accès à la boucle locale (26) impose à la charge des opérateurs historiques de télécommunications l'obligation de proposer aux autres opérateurs de télécommunications une "offre de référence" établissant les conditions et les modalités de l'accès à la boucle locale de son réseau. Cet accès, qui peut être total ("dégroupé") ou partiel ("partagé") doit être offert à des tarifs orientés vers les coûts. L'offre de référence est soumise au "droit de regard" de l'ART. En effet, celle-ci a le pouvoir, reconnu par le règlement précité, d'imposer des modifications de l'offre, notamment en ce qui concerne ses dispositions relatives aux prix, à condition que ces modifications soient justifiées. Cependant, l'exercice de ce droit de modification doit, non seulement être justifiée, mais, également, doit être effectué en toute transparence. A ce titre, l'article D. 99-24 du Code des postes et télécommunications (N° Lexbase : L9019AST), qui porte des mesures d'application du règlement n° 2887/2000, édicte une obligation de publication ex ante à la charge de l'ART, aux termes de laquelle cette dernière est tenue de rendre publique, préalablement à l'adoption de la décision portant modification des tarifs, la méthode de calcul des coûts incrémentaux de long terme qu'elle retient et qui justifient sa demande de modification.
Sur le fondement de ce dispositif, l'ART a rendu une décision, le 16 avril 2002, portant injonction à France Télécom de modifier les tarifs d'accès à la boucle locale et fixant les tarifs maxima de l'abonnement mensuel pour la fourniture de l'accès total et de l'accès partagé à la boucle locale.
Le Conseil d'Etat a censuré la décision de l'ART, en date du 16 avril 2002, au motif que celle-ci avait commis une erreur de droit en ce qu'elle n'avait pas respecté l'obligation de transparence relativement à la méthode de calcul mise en oeuvre, puisqu'elle s'était fondée, afin de justifier les modifications des tarifs proposés par France Télécom pour l'accès totalement dégroupé à la boucle locale, sur une méthode de calcul différente de celle qu'elle avait rendue publique en octobre 2000. En effet, dans le cas d'espèce, l'ART avait "aménagé la méthode de calcul du coût des lignes afin de respecter le principe d'orientation des tarifs vers les coûts" et avait immédiatement appliqué les règles de calcul "changées", sans avoir procédé, comme elle y était tenue légalement, à leur publication préalable.
Alors même que la décision de l'ART était fondée et visait à mettre en oeuvre l'objectif communautaire légitime, consacré par le règlement n° 2887/2000, de l'orientation des tarifs vers les coûts, il ne demeurait pas moins, qu'elle avait passé outre un autre objectif tout aussi légitime et de niveau communautaire, à savoir le principe de la transparence. En conséquence, le Conseil d'Etat a sanctionné la violation de l'obligation de publication préalable à titre de vice de forme ad validitatem et a prononcé, donc, non seulement, la nullité de la demande de modification des tarifs de l'accès totalement dégroupé à la boucle locale, mais, également, de ceux applicables à l'accès partagé à la boucle locale, dès lors que ceux-ci étaient déterminés sur la base des tarifs de l'accès total.
Cependant, eu égard à l'importance des conséquences pratiques, à la légitimité de l'objectif communautaire poursuivi par la décision de l'ART et à la nature du vice censuré, le Conseil d'Etat a dérogé, dans l'affaire de l'espèce, au principe général de l'effet rétroactif des annulations contentieuses. Par conséquent, l'annulation ne produirait des effets que pour l'avenir et à partir d'une date fixée par le Conseil (à savoir 2 mois à compter de la notification de l'arrêt à l'ART (27)). Les motifs ayant invoqués à titre de justification de la dérogation étaient les suivants :
- l'intérêt communautaire : l'annulation aurait eu comme conséquence logique et fâcheuse l'application rétroactive des tarifs non orientés vers les coûts, ce qui serait contraire prima facie au dispositif du règlement communautaire ;
- le développement de la concurrence sur les nouveaux marchés de télécommunications (en l'occurrence, le haut débit) : l'application des tarifs non orientés vers les coûts aurait pour effet de conférer à France Télécom un avantage économique et, en particulier, financier indu au détriment de ses concurrents, ce qui aurait pour conséquence indésirable d'empêcher l'ouverture de la boucle locale ;
- la nature du vice : la nullité a été prononcée sur le fondement d'un vice de pure forme ayant trait à la transparence.
VI - Avis du Conseil d'Etat
Dans cette affaire, la cour administrative d'appel de Marseille a soumis au Conseil d'Etat, en application de l'article L. 113-1 du Code de justice administrative (28) (N° Lexbase : L2626ALT), une question portant sur la nature fiscale des amendes prononcées par le Conseil de la Concurrence.
La question était celle de savoir si une sanction pécuniaire infligée par le Conseil de la Concurrence sur le fondement de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (aujourd'hui codifiée dans le livre IV du Code de commerce) figure au nombre des amendes listées à l'article 39, paragraphe 2, du CGI qui ne sont pas susceptibles d'être déduites des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés.
Le Conseil d'Etat a rappelé que, si les sanctions infligées par le Conseil de la Concurrence sur le fondement de l'ordonnance de 1986 ont été considérées pendant longtemps comme ne figurant pas sur la liste établie à l'article 39 paragraphe 2, du CGI et, en conséquence, déductibles de la base d'imposition, tel n'est plus le cas aujourd'hui.
Il relève que cette déductibilité est désormais prohibée, depuis l'article 85 de la loi du 15 mai 2001 (N° Lexbase : L0383AW4) qui a substitué au sein de l'article 39 paragraphe 2 du CGI la mention des dispositions légales régissant "la liberté des prix et de la concurrence" à celle des dispositions légales régissant "les prix ".
Jacques-Philippe Gunther, Jérôme Philippe, Associés
Pascal Belmin, Charlotte Breuvart, Olivier Cavézian, Charlotte-Mai Dorémus, Yaël Ginzburg, Adrien Giraud, Mathilde Mason, Chloé Mathonnière, Marie Potel, Dan Roskis, David Tayar, Faustine Viala, Avocats à la Cour
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:73696