Réf. : Cass. soc., 19 avril 2005, n° 02-46.295, M. Patrick Lembert c/ Société Immodef, F-P+B (N° Lexbase : A9552DHA)
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 19 avril 2005, n° 02-46.295, M. Patrick Lembert c/ Société Immodef, F-P+B (N° Lexbase : A9552DHA) Rejet de CA Versailles (15e chambre sociale), 18 juin 2002 Mots-clefs : licenciement pour faute grave ; preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement ; mode de preuve ; production par l'employeur de vidéos ; licéité des vidéos prises dans un lieux autre que le lieu d'exécution de la prestation de travail Textes concernés : C. trav., art. L. 121-8 (N° Lexbase : L5450ACT) Liens bases : ; |
Faits
Plusieurs salariés avaient été embauchés en qualité d'agents de surveillance. Ils avaient été licenciés pour faute grave. Pour justifier leur licenciement, l'employeur avait produit une cassette vidéo émanant d'une caméra située dans un local dans lequel les salariés n'avaient à exercer aucune prestation de travail. Les salariés contestaient la licéité de cet enregistrement. La cour d'appel avait retenu la licéité des bandes vidéo comme moyen de preuve établissant l'existence d'une faute grave. |
Problème juridique
A quelles conditions les vidéos prises dans l'enceinte de l'entreprise pourront-elles être admises comme mode de preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement ? |
Solution
1° Rejet 2° "Si l'employeur ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle de l'activité professionnelle qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés, il peut leur opposer les preuves recueillies par les systèmes de surveillance des locaux auxquels ils n'ont pas accès, et n'est pas tenu de divulguer l'existence des procédés installés par les clients de l'entreprise ; qu'ayant constaté que la mise en place de la caméra avait été décidée par un client et n'avait pas pour but de contrôler le travail des salariés mais uniquement de surveiller la porte d'accès d'un local dans lequel ils ne devaient avoir aucune activité, la cour d'appel a pu décider, sans encourir les griefs du moyen, que les enregistrements vidéo litigieux constituaient un moyen de preuve licite" |
Commentaire
1. Relativité de la vidéo comme mode de preuve de la faute professionnelle
De plus en plus de magasins sont dotés de systèmes de surveillances destinés, à titre principal, à surveiller les agissements de leurs clients ou, tout simplement, à se prémunir contre le vol. Les salariés, parce qu'ils sont les premiers exposés à ces caméras, peuvent figurer sur ces bandes. Cet enregistrement peut-il servir à l'employeur pour établir le caractère réel et sérieux du licenciement qu'il a prononcé ? Singulièrement, l'employeur peut-il les utiliser comme mode de preuve de la faute de son salarié ? Rien n'est moins sûr. Le principe est, en effet, depuis plusieurs années, l'illicéité des bandes vidéo issues de systèmes de surveillances qui n'ont pas été portés à la connaissance des salariés (Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, Mme Neocel c/ M. Spaeter, publié N° Lexbase : A9301AAQ, D. 1992, juris. p. 73 concl. Y. Chauvy ; Cass. soc., 15 mai 2002, n° 00-42.885, F-D N° Lexbase : A6648AYU ; Cass. soc., 22 mai 1995, n° 93-44.078, Société Manulev service c/ M. Salingue, publié N° Lexbase : A4033AAM). Ce régime prétorien a, d'ailleurs, été repris pas le législateur qui prévoit qu'"aucune infirmation concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ou du candidat à l'emploi" (C. trav., art. L. 121-8 N° Lexbase : L5450ACT).
Un tempérament au principe de l'illicéité du procédé qui n'a pas été porté à la connaissance du salarié a été dégagé par la jurisprudence. Cette dernière décide, de manière constante, que la vidéo peut constituer un moyen de preuve licite de l'enregistrement d'un comportement fautif du salarié, lorsqu'elle est issue d'un dispositif de surveillance des locaux et non des salariés. N'importe quel employeur semble donc pouvoir obtenir la prise en compte de sa vidéo dans la mesure où il affirme que cette dernière avait uniquement pour objet la surveillance du local. La jurisprudence limite cette règle aux procédés de surveillance des entrepôts, ou autres locaux de rangements, dans lesquels les salariés ne travaillent pas (Cass. soc., 31 janvier 2001, n° 98-44.290, M Alaimo c/ Société Italexpress, publié N° Lexbase : A2317AIN). C'est cette limite portée au principe de l'illicéité de la vidéo comme mode de preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement que vient confirmer la Haute juridiction judiciaire, dans la décision commentée. Comme le soulignent les juges, la vidéo produite par l'employeur "n'avait pas pour but de contrôler le travail des salariés mais uniquement de surveiller la porte d'accès d'un local dans lequel ils ne devaient avoir aucune activité" et avait été mise en place à la demande d'un des clients de l'entreprise. C'est le fait que les salariés ne soient amenés à exercer aucune activité dans le local dans lequel les agissements fautifs ont été enregistrés, qui est déterminant de l'admission de la vidéo comme mode de preuve de la légitimité de la rupture. Cette solution n'a rien de surprenant tant dans son principe que dans sa justification. On peut cependant s'interroger sur la portée de l'intervention d'un tiers dans la mise en place du dispositif. 2. Relativité de la protection de la vie professionnelle du salarié
Comme nous l'avons vu, le législateur a été obligé de mettre en place une protection du salarié dans sa vie professionnelle contre les atteintes que l'employeur est susceptible de porter à l'intimité de sa personne (C. trav., art. L. 121-8 N° Lexbase : L5450ACT). La protection dont bénéficie le salarié dans sa vie professionnelle semble toutefois devoir être limitée à la phase d'exécution de la prestation de travail. Ce que le législateur entend, en effet, interdire par cette disposition, c'est que l'employeur ait recourt à des procédés cachés pour surveiller l'exécution de l'activité professionnelle de ses salariés. La protection de la vie professionnelle du salarié s'arrête donc aux locaux dans lesquels il exécute sa prestation de travail. L'obligation de loyauté, qui fonde cette protection de la vie professionnelle du salarié, concerne uniquement l'exécution de la prestation de travail. L'article L. 120-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0571AZ8) dispose, en effet, que "le contrat de travail est exécuté de bonne foi". Cette affirmation trouve une illustration dans la jurisprudence qui vient écarter les vidéos produites par l'employeur au soutien du licenciement pour faute grave qu'il avait prononcé contre sa salariée, issues de caméras qui, selon lui, n'étaient pas destinées à surveiller la salariée, mais qui avait uniquement pour objet d'enregistrer les incidents susceptibles de se produire à la caisse du magasin au cours du travail (Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, Mme Neocel c/ M Spaeter, publié N° Lexbase : A9301AAQ). Le problème est, ici, que la caméra avait été posée sur le lieu de travail de la salariée ce qui empêchait d'établir, avec certitude, la bonne foi de l'employeur et, singulièrement, le défaut d'intention de ce dernier de surveiller ses salariés. On peut, corrélativement, considérer qu'il s'agit d'une simple application du principe selon lequel le doute profite au salarié (sur l'application de ce principe au caractère réel et sérieux du licenciement, voir C. trav., art. L. 122-14-3 alinéa 2 N° Lexbase : L5568AC9). Le doute sur l'intention de l'employeur de surveiller ses salariés devant leur profiter... puisqu'il y a atteinte à leur intimité. Le doute n'existe plus, en revanche, lorsque la surveillance se fait en dehors du lieu d'exécution du travail et, de surcroît, a été instiguée par un client.
On peut, de ce point de vue, se demander, si cette décision ne vient pas encore limiter le recours à la caméra de surveillance comme mode de preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement. Dans l'espèce commentée, il semble, en effet, que la pose d'une caméra avait été effectuée à l'initiative d'un client de l'entreprise. Cet élément semble avoir orienté la solution rendue par la Cour de cassation puisqu'il figure dans le dispositif de sa décision. Bien qu'il s'agisse d'un arrêt de rejet, la formule retenue par la Cour de cassation ressemble à l'affirmation d'un principe plus général dont la validité est subordonnée à la présence de deux éléments : le fait que la vidéo provenait d'une caméra posée dans des locaux dans lesquels les salariés n'effectuaient aucune prestation de travail ; le fait qu'elle ait été posée à l'initiative, non de l'employeur, mais d'un client désireux de protéger ses intérêts. La Haute juridiction ne vient-elle donc pas, en plus de l'extériorité de la caméra des locaux ou les salariés effectuent leur travail, exiger que la pose de la caméra soit extérieure à la volonté de l'employeur ? Dans une telle hypothèse, en effet, il ne peut plus y avoir de doute sur la bonne foi de ce dernier et, partant, sur sa loyauté vis-à-vis de ses salariés. N'étant pas à l'origine de la pose de la caméra, on ne peut, en effet, induire de la présence de cette dernière, sa volonté de surveiller ses salariés.
Dans le doute, la question se pose mais restera sans réponse tant que la Cour de cassation ne viendra pas confirmer ou infirmer la présence de ce nouvel élément. Double faute, donc, des salariés qui ont pénétré dans le local interdit pour pratiquer des activités répréhensibles, se plaçant ainsi dans une sphère de la vie professionnelle non protégée... à qui la faute ? |
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