Réf. : Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-16.616, Syndicat CGT Michelin c/ Société Manufacture des pneumatiques Michelin, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2743DH3)
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N2372AIP
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-16.616, Syndicat CGT Michelin c/ Société Manufacture des pneumatiques Michelin, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2743DH3) Rejet (CA Rennes, 8e chambre civile, section A, 27 mars 2003). Mots-clefs : représentativité ; organisations syndicales employeurs ; extension ; modification du champ d'application professionnel Texte concerné : C. trav., art. L. 133-8 (N° Lexbase : L5702AC8) Lien bases : |
Faits
Un salarié avait été désigné comme représentant syndical au CHSCT en application d'un accord collectif étendu par arrêté du 12 janvier 1996. L'employeur, qui contestait cette désignation et, singulièrement, l'application de l'accord étendu, avait saisi le juge d'une demande d'annulation de cette désignation. La cour d'appel avait annulé la désignation. |
Problème juridique
Le défaut de signature d'un accord collectif de travail étendu par une organisation représentative des employeurs fait-elle obstacle à son extension dans la branche ? |
Solution
1. Rejet 2. "Attendu que l'arrêté d'extension du ministre du travail prévu par l'article L. 133-8 du Code du travail a pour effet de rendre obligatoires les dispositions d'un accord professionnel ou interprofessionnel pour tous les employeurs compris dans son champ d'application territorial et professionnel, dont les organisations patronales signataires sont représentatives au sens de l'article L. 133-2 du Code du travail" ; 3. "Attendu que la cour d'appel, qui retient que la Fédération du caoutchouc et des polymères, seule représentative de cette branche, n'était ni signataire, ni adhérente à l'organisation interprofessionnelle signataire de l'accord objet de l'arrêté d'extension, en a exactement déduit que la branche du caoutchouc et des polymères n'entrait pas dans le champ d'application de l'accord du 17 mars 1975 que l'arrêté d'extension ne pouvait à lui seul modifier ; que le moyen n'est pas fondé". |
Commentaire
Comme l'affirme justement la Cour de cassation, dans la mesure où le Medef constitue la seule organisation signataire de l'accord étendu mettant en place un délégué syndical au sein du CHSCT et que celle-ci n'était pas représentative au sein de la branche, l'extension est inopposable aux autres entreprises de la branche et la désignation doit être annulée. L'extension n'a aucunement vocation à étendre le champ d'application professionnel de l'accord étendu et à pallier la carence en organisation patronale représentative lors de la signature de l'accord. La large publicité à laquelle est destinée cette décision ne vient pas tant du principe qu'elle pose que de la mise à l'écart du Medef de la négociation lorsqu'il n'est pas représentatif. 1. Une conséquence de l'absence de présomption de représentativité des syndicats patronaux
L'article L. 133-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5702AC8) dispose qu'"à la demande d'une des organisations visées à l'article L. 133-1 du Code du travail ou à l'initiative du ministre chargé du Travail, les dispositions d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, répondant aux conditions particulières déterminées par la section précédente, peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de ladite convention ou dudit accord, par arrêté du ministre du Travail, après avis de la commission nationale de la négociation collective". Une fois l'extension réalisée, tous les employeurs exerçant une activité dans le champ d'application professionnel et géographique défini par la convention doivent respecter les dispositions qu'elle contient, qu'ils soient membres ou non des organisations patronales signataires (C. trav., art. L. 133-8 N° Lexbase : L5702AC8). Il faut et il suffit que la convention étendue ait été conclue dans les conditions prescrites par le législateur.
La convention susceptible d'extension doit impérativement avoir été signée par des représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés, représentatives dans le champ d'application considéré (C. trav., art. L. 133-1 N° Lexbase : L5694ACU). Le particularisme réside, ici, dans le fait que non seulement les organisations syndicales représentant les salariés doivent être représentatives, mais encore -et là se trouve la particularité- il faut que les organisations syndicales ou associations représentant les employeurs le soient également. La représentativité s'apprécie au niveau où la convention est conclue et selon les critères prescrits par le législateur.
Le législateur pose cinq critères permettant d'établir la représentativité. L'article L. 133-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5695ACW) dispose ainsi que "la représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après les critères suivants, les effectifs, l'indépendance, les cotisations, l'expérience et l'ancienneté, et l'attitude patriotique pendant l'occupation". Aucune présomption n'ayant été instituée au profit des organisations patronales leur permettant de bénéficier du pouvoir d'engager la profession sans avoir à établir leur représentativité, ces derniers devront, dans toute hypothèse et préalablement à la négociation, prouver qu'ils sont représentatifs (pour les salariés voir : C. trav., art. L. 412-4 N° Lexbase : L6329ACE ; C. trav., art. L. 423-2 N° Lexbase : L6360ACK ; C. trav., art. L. 433-2 N° Lexbase : L6419ACQ). Cette représentativité sera établie lorsque le syndicat lato sensu pourra justifier d'un nombre d'organisations syndicales affiliées ou d'un effectif regroupé suffisant permettant de le regarder comme satisfaisant aux critères de représentativité (CE, 1° et 2° s.s., 31 mai 2002, Chambre nationale des professions libérales c/ Avenir des barreaux de France N° Lexbase : A8685AYC). Le cas échéant, s'il ne l'établit pas ou s'il n'est pas représentatif, le syndicat ne pourra pas engager, par exemple, la branche dans laquelle la convention a vocation à s'appliquer, cette dernière lui sera inopposable. Par voie de conséquence, l'extension n'ayant que pour effet de généraliser l'application d'une convention collective à l'ensemble des entreprises d'un secteur d'activité ou d'une profession, même lorsqu'elles n'ont pas été représentées à la négociation de l'accord, sans en modifier le champ (C. trav., art. L. 133-8 N° Lexbase : L5702AC8), l'extension ne pourra pas avoir pour effet de rendre applicable cette convention dans une branche dans laquelle le seul syndicat signataire n'est pas représentatif. C'est ce principe qu'est venue rappeler la Haute juridiction dans la décision commentée.
Au syndicat qui contestait la décision de la cour d'appel ayant prononcé l'annulation de la désignation, la Cour de cassation vient affirmer que "l'arrêté d'extension du ministre du Travail prévu par l'article L. 133-8 du code du travail a pour effet de rendre obligatoires les dispositions d'un accord professionnel ou interprofessionnel pour tous les employeurs compris dans son champ d'application territorial et professionnel, dont les organisations patronales signataires sont représentatives au sens de l'article L. 133-2 du Code du travail". L'ajout de l'article L. 133-2 du Code du travail ne doit pas surprendre ; il impose que soit établie, selon les critères prescrits par le législateur, la représentativité du syndicat patronal signataire. Lorsque aucun syndicat patronal représentatif de la branche n'est signataire de l'accord, la branche, faute de représentant doté du pouvoir de l'engager, ne pourra se voir imposer son application, et ce même si cet accord a fait l'objet d'un arrêté d'extension. L'extension n'ayant pas vocation à modifier le champ d'application défini par la convention étendue, l'accord étendu reste inopposable aux entreprises de la branche. Cette solution est totalement fondée. 2. Une simple conséquence de l'objet de l'extension
Dans l'espèce en cause, la contestation portait sur la désignation d'un représentant syndical au CHSCT. Cette représentation n'est pas expressément prévue par le législateur (C. trav., art. L. 236-5 N° Lexbase : L6014ACQ). Cependant, rien n'empêche les partenaires sociaux d'imposer, par la voie conventionnelle, la présence d'un délégué syndical. Une telle disposition, plus favorable aux salariés qui voient leurs intérêts mieux représentés, est parfaitement licite (C. trav., art. L. 132-4 N° Lexbase : L5683ACH ; C. trav., art. L. 236-13 N° Lexbase : L6027AC9). Toutefois, elle constitue une contrainte pour les employeurs puisqu'elle tend à leur imposer une obligation supplémentaire qui n'a pas été prévue par le législateur. On comprend aisément pourquoi les juges se montrent si exigeants quant au pouvoir dont doivent disposer les partenaires sociaux et, singulièrement, les employeurs pour engager la communauté de travail.
La représentativité patronale est destinée à rendre crédible l'extension car, dans cette hypothèse, l'organisation peut raisonnablement prétendre négocier au mieux les intérêts des entreprises de la branche qu'elle représente. La représentativité se définit comme l'aptitude reconnue à un syndicat d'être le porte-parole des salariés dont il prétend défendre et promouvoir les intérêts. Si l'on transpose cette définition du côté des employeurs cette fois, le syndicat représentatif doit être celui qui dispose de la capacité d'être le porte-parole des employeurs dont il prétend défendre et promouvoir les intérêts. Pour disposer de ces pouvoirs, le syndicat employeur doit impérativement établir sa représentativité. Le cas échéant, il ne sera pas fondé à parler en leur nom et a fortiori à les engager.
Contrairement aux règles relatives à la représentativité syndicale érigée au profit organisations salariées, le législateur n'a prévu aucune présomption légale de représentativité au profit des organisations patronales. Ces dernières, si elles souhaitent pouvoir engager la profession, devront préalablement établir qu'elles disposent du pouvoir de le faire. Ainsi, l'autorité pratique du Medef n'est, à elle seule, pas suffisante à lui conférer une quelconque autorité juridique. Dès lors qu'il n'est pas représentatif et qu'aucun autre syndicat d'employeurs représentatif dans la branche n'est présent à la négociation, il ne peut l'engager. Le défaut de pouvoir du Medef est, dans cette hypothèse, d'autant plus patent que le législateur vient expressément exiger comme condition de l'extension que le syndicat soit représentatif.
Le législateur impose expressément en matière d'extension que l'accord, "candidat à l'extension", ait été signé par des organisations syndicales représentatives de salariés et des organisations syndicales représentatives d'employeurs. Or, dans la mesure où il n'existe aucune présomption de représentativité, le Medef ne peut, malgré son aura, prétendre représenter les intérêts des entreprises de la branche. Cette inopposabilité de la convention et son inapplicabilité dans la branche considérée sont totalement logiques, eu égard aux règles relatives à l'extension.
L'extension a pour effet d'étendre le champ d'une convention collective à l'ensemble des entreprises situées dans son champ d'application professionnel et géographique. L'extension agit ainsi de manière verticale et non horizontale. Elle n'a en aucun cas pour objet de modifier le champ d'application professionnel de l'accord, qui est du ressort de l'élargissement (C. trav., art. L. 133-12 N° Lexbase : L5706ACC). La référence au champ d'application professionnel n'est donc ici d'aucun secours, puisque le fait que le Medef ait été représentatif dans d'autres branches ne pouvait être retenu puisqu'il était question, dans l'espèce commentée, d'étendre l'accord et non de l'élargir. L'extension suit le champ défini par l'accord, lequel est subordonné au champ déterminé par la convention collective étendue qui est lui-même défini par les parties signataires du côté patronal. Lorsque aucun syndicat signataire du côté des employeurs n'est représentatif dans la branche considérée, il ne peut engager la branche. C'est d'ailleurs ce que prévoit expressément le législateur, en imposant que la négociation ait lieu entre syndicats représentatifs "dans le champ d'application considéré" (C. trav., art. L. 133-1 N° Lexbase : L5694ACU). Dans cette hypothèse, le juge judiciaire saisi du contentieux de la désignation du représentant syndical au CHSCT n'a donc pas d'autre solution que d'annuler l'élection fondée sur un accord qui n'est pas applicable à la branche, et donc à l'entreprise. Le juge administratif aurait, quant à lui, été compétent pour annuler l'arrêté... |
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