La lettre juridique n°160 du 24 mars 2005 : Procédures fiscales

[Jurisprudence] L'impartialité de la commission départementale de conciliation

Réf. : Cass. com., 8 mars 2005, n° 01-17.758, M. Yves Geneste c/ Directeur général des impôts, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2449DH8)

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par Sophie Duval, Juriste-fiscaliste

le 07 Octobre 2010

A l'occasion d'un litige en matière de droit d'enregistrement, opposant un contribuable et l'administration fiscale, sur la valeur à retenir, pour le calcul de l'impôt, des parts d'une société transmises lors d'une succession, la Cour de cassation vient, par un arrêt en date du 8 mars 2005, de réaffirmer l'importance de l'impartialité de la commission départementale de conciliation en jugeant que la violation de ce principe entraînait la nullité de la procédure. Cette décision s'inscrit dans une tendance générale des tribunaux, judiciaires comme administratifs, au renforcement des garanties du contribuable tout au long de la procédure de redressement contradictoire.

De prime abord, soulignons que l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (N° Lexbase : L7558AIR) n'est pas applicable à la procédure suivie devant la commission départementale des impôts (CE 9° et 8° s-s., 18 mars 1994, n° 68799, SA "Sovemarco Europe" c/ Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget (N° Lexbase : A2246B8P), avant d'envisager la procédure applicable devant celle-ci (1) et la nécessité de respecter les principes fondamentaux d'impartialité et de contradiction (2).

1. La procédure suivie devant la commission départementale de conciliation

Lorsque l'administration fiscale relève une insuffisance des prix ou des évaluations d'après lesquels ont été liquidés soit les droits d'enregistrement, soit la taxe de publicité foncière ou encore l'impôt de solidarité sur la fortune, le redressement qui en résulte est établi en suivant la procédure de redressement contradictoire. Cette procédure prévoit qu'à défaut d'accord amiable, et afin de donner une autre chance aux parties de s'entendre avant la phase contentieuse, le litige peut être soumis à la commission départementale de conciliation, à l'initiative de l'administration ou du contribuable (LPF, art. L. 59 N° Lexbase : L5566G4W). Lorsque c'est le contribuable qui décide de saisir la commission, il doit le faire dans les 30 jours qui suivent la réception de la réponse de l'administration rejetant ses observations. Sa demande peut être adressée soit directement au secrétariat de la commission, mais il a la possibilité, également, de la transmettre à l'administration, qui devra obligatoirement la faire suivre à la commission.

Une fois la commission saisie, la procédure de redressement est suspendue jusqu'à la notification de sa décision au contribuable.

La commission est présidée par un magistrat de l'ordre judiciaire et comprend 8 membres (4 représentants de l'administration, un notaire et 3 représentant des contribuables). Elle ne peut valablement délibérer que si 5 membres au moins sont présents, y compris le président.

Le contribuable doit être convoqué 30 jours au moins avant la réunion de la commission et il est invité à se faire entendre ou à faire parvenir des observations écrites. Il peut se faire assister par une personne de son choix ou désigner un mandataire.

La commission ne rend pas une décision qui s'impose aux parties, mais un simple avis. Celui-ci est formulé à la majorité des voix. En cas de partage, celle du président est prépondérante. L'avis émis par la commission doit absolument être motivé car, à défaut, la procédure d'imposition est irrégulière.

L'avis rendu, la commssion l'adresse à l'administration. Celle-ci la notifie, ensuite, au contribuable accompagné du montant qu'elle se propose de retenir comme base d'imposition. L'avis de la commission ne s'impose ni au contribuable, ni à l'administration. Même si cet avis est favorable aux redressements envisagés, l'administration conserve toujours la charge de la preuve en cas de recours contentieux.

2. Le nécessaire respect des principes d'impartialité et de contradiction

Lorsque le désaccord entre le contribuable et l'administration porte sur un domaine de compétence de la commission, il est toujours intéressant de saisir cet organisme.

En effet, même si l'administration n'est pas liée à la décision rendue par la commission, un avis favorable au contribuable peut aboutir, dans de nombreux cas, à l'abandon de certains redressements et, surtout, cet avis sera très utile pour préparer la phase contentieuse, les magistrats n'étant pas insensibles aux positions prises par la commission. Mais, inversement, un avis défavorable de la commission compromet souvent les chances d'obtenir gain de cause devant les tribunaux. L'avis de la commission est, dans la pratique, loin d'être anodin. Il est, donc, important que le contribuable ait la garantie d'une étude impartiale de son dossier. C'est ce que vient de réaffirmer, sans ambiguïté, la cour cassation dans son arrêt ici commenté.

Dans cette affaire, l'un des représentants de l'administration fiscale avait fait état, lors des réunions de la commission, d'éléments de nature à influencer l'évaluation des parts de la société objet du litige. Ces éléments lui avaient été révélés par la consultation des dossiers fiscaux du contribuable, mais n'avaient jusqu'alors jamais été pris en compte par l'administration. La cour de cassation a, donc, estimé que l'administration n'ayant pas rapporté la preuve que les documents comprenant ces données avaient été transmis au contribuable, les principes d'impartialité et de contradiction n'avaient pas été respectés par la commission pour rendre son avis.

La violation de ces principes a des conséquences considérables, puisque c'est l'ensemble de la procédure de redressement qui est considérée comme irrégulière.

Bien qu'elle n'avait jamais, jusqu'alors, été affirmée aussi clairement la nécessité de l'impartialité de la commission départementale des impôts était, déjà, évoquée dans certains textes administratifs, même si toutes les conséquences et toutes les hypothèses de la violation de ce principe n'avaient pas, alors, été prises en considération. Ainsi, l'instruction administrative du 4 juin 1984 (BOI n° 13 A-1-84 N° Lexbase : X4459AC7), ainsi que celle du 28 septembre 1992 (BOI n° 13-A-2-92 N° Lexbase : X4458AC4) afférentes l'une et l'autre aux relations entre l'administration fiscale et les usagers indiquaient que "le membre d'une commission qui a un intérêt personnel à l'affaire, qui fait l'objet de la réunion, ne doit pas prendre part à la délibération, c'est-à-dire qu'il ne doit pas assister à la séance ou doit se retirer lorsque l'affaire est évoquée. La seule présence de la personne en cause vicie la délibération et entraîne la nullité de l'avis subséquent. Cette sanction s'applique, sauf s'il est établi que la participation du membre intéressé est restée sans influence sur la délibération. Etant donné la difficulté de rapporter cette preuve négative, il est préférable que l'intéressé s'abstienne de siéger".

Par ailleurs, il est à noter que le caractère contradictoire est, lui, expressément prévu par l'article L. 60 du LPF (N° Lexbase : L8191AE4) pour les procédures se déroulant devant la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Les avis ou décisions de cette commission ne sont, ainsi, opposables aux contribuables que dans la mesure où ces derniers ont été mis en situation de connaître et, par suite, de critiquer tous les points sur lesquels cet organisme a eu à se prononcer. A cette fin, l'article L. 60 du LPF précise que le rapport par lequel l'administration soumet le différend à la commission départementale, ainsi que tous les autres documents, dont l'administration fait état auprès de cette commission pour appuyer sa thèse, doivent être tenus à la disposition du contribuable intéressé au secrétariat de la commission. Ce principe du contradictoire a été réaffirmé à plusieurs reprises par le Conseil d'Etat (par exemple, CE 8 s-s., 11 janvier 1967, n° 64596, Ministre des Finances c/ Sieur S. N° Lexbase : A7693B73 ; CE Contentieux, 23 octobre 1989, n° 77816, Mme Léonie Costes c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1462AQ9).

En subordonnant la régularité de l'avis de la commission départementale de conciliation au respect des principes de la contradiction, la cour de cassation aligne, ainsi, les règles applicables à cette commission sur celles expressément prévues pour la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffres d'affaires. Plus généralement, en affirmant la nécessité de l'impartialité de la commission, elle va dans le sens d'une application globale à la phase précontentieuse des principes et des garanties prévues lors de la phase contentieuse, qui ont pour objet de garantir aux contribuables un procès équitable.

Dans le même sens, la cour de cassation a, déjà, réaffirmé à plusieurs reprises l'importance de l'obligation pour la commission départementale de conciliation de motiver correctement son avis, cette motivation permettant aux parties de poursuivre utilement leur discussion devant le juge au vue des éléments qu'elle a pris en considération. La cour suprême a, ainsi, jugé que l'absence de motivation de l'avis de la commission prévu par l'article R. 60-3 du LPF (N° Lexbase : L2248AEY) constitue l'omission d'une formalité substantielle entraînant l'irrégularité de la procédure d'imposition (Cass. com., 6 mai 2003, n° 01-13.118, F-D N° Lexbase : A7910BSR ; Cass. com., 1 er juillet 2003, n° 01-16.577, F-D N° Lexbase : A0510C9R) ; Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-16.916, M. Patrick Sokolowsky c/ Directeur général des impôts, F-D N° Lexbase : A0851C9E).

Ces différents rappels à l'ordre sur le fonctionnement de la commission par la cour suprême, sont, incontestablement, une bonne nouvelle pour les contribuables, qui voient leur droit à un procès équitable réaffirmé avec force !

Il convient, toutefois, de faire attention. En effet, le principe du contradictoire peut être à double tranchant, car si l'administration doit communiquer en amont les documents qu'elle entend présenter à la réunion de la commission, il en va de même pour le contribuable. Les documents "surprises" présentés au dernier moment devant la commission sont, donc, à proscrire !

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