La lettre juridique n°160 du 24 mars 2005 : Sociétés

[Questions à...] Le contenu du rapport de gestion de nouveau modifié : questions à... Me Guy de Foresta, Avocat au Barreau de Lyon

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N2299AIY

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le 07 Octobre 2010


Aux termes de l'article L. 225-100 du Code de commerce (N° Lexbase : L5399G74), le conseil d'administration ou le directoire présente à l'assemblée son rapport ainsi que les comptes annuels et, le cas échéant, les comptes consolidés accompagnés du rapport de gestion y afférent. L'ordonnance n° 2004-1382 du 20 décembre 2004 portant adaptation de dispositions législatives relatives à la comptabilité des entreprises aux dispositions communautaires dans le domaine de la réglementation comptable (N° Lexbase : L5031GUU) modifie, également, la rédaction de cet article pourtant issue de l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, portant réforme des valeurs mobilières (N° Lexbase : L5052DZ7). Cette nouvelle modification relative au rapport de gestion, s'inscrit dans le mouvement d'inflation législative parfois quelque peu désordonné que connaît, notamment, le droit des sociétés depuis un certain temps. La loi NRE du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (loi n° 2001-420 N° Lexbase : L8295ASZ) avait introduit l'obligation de mentionner au rapport la rémunération des mandataires sociaux : cette obligation a été finalement réservée aux rapports de gestion des sociétés "cotées" par la loi de sécurité financière du 1er août 2003 (loi n° 2003-706 [LXB=L3556BLB ]). De même, la loi "Houillon" du 29 octobre 2002 est venue apporter des précisons et des corrections sur les règles de cumul des mandats (loi n° 2002-1303 N° Lexbase : L4505A8D) qui venaient pourtant d'être remaniées par la loi NRE. L'ordonnance du 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières, venait d'ajouter plusieurs mentions au rapport de gestion, notamment, des informations financières nouvelles, un tableau sur les délégations en cas d'augmentation de capital ainsi qu'un rapport sur l'usage de ces délégations. Moins de six mois après, le rapport de gestion, est de nouveau modifié sur ce premier point par l'ordonnance du 20 décembre 2004 laquelle transpose en droit interne les directives européennes, dites "Juste valeur" et "Modernisation" (n° 2001/65 N° Lexbase : L4710GUY et n° 2003/51 N° Lexbase : L0085BIY). Afin d'en savoir plus sur les modifications intervenues sur le rapport de gestion, Lexbase a rencontré un spécialiste en droit des sociétés, Maître Guy de Foresta, Avocat au Barreau de Lyon au sein du cabinet Bignon Lebray et Associés, qui a bien voulu répondre à nos questions.

Lexbase : L'article L. 225-100 du Code de commerce relatif au rapport de gestion a été de nouveau modifié. Quels sont les changements apportés au rapport de gestion, par rapport à ceux opérés par l'ordonnance du 24 juin 2004 ?

Me Guy de Foresta : Cette nouvelle ordonnance du 20 décembre 2004 complète les précédentes modifications de l'article L. 225-100 du Code de commerce en venant à la fois restreindre et étendre son champ d'application.

En effet, le législateur introduit des seuils relatifs à la taille de l'entreprise afin d'en limiter le périmètre initial mais en même temps, il étend le nouveau dispositif à d'autres formes sociales que les sociétés anonymes (SA) et les sociétés en commandites par actions (SCA) seules visées initialement. En outre, la liste des nouvelles mentions devant figurer dans le rapport de gestion s'allonge singulièrement.

Toutefois, tandis que celles issues de l'ordonnance de juin 2004 sont déjà applicables aux rapports portant sur les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2004, les mentions complémentaires de cette nouvelle ordonnance attendront les rapports 2006, l'ensemble de ces dispositions ne s'appliquant qu'"à partir du premier exercice ouvert à compter du 1er janvier 2005" (Ord. 24 décembre 2004, art. 12 ).

Lexbase : Quelles sont les sociétés concernées par ces nouvelles obligations ?

Me Guy de Foresta : Les formes sociales, jusqu'alors concernées par l'article L. 225-100 du Code de commerce, étaient les sociétés anonymes et les sociétés en commandites par actions. Désormais, le nouveau dispositif étend l'application des alinéas 3, 4, 5 et 6 de l'article L. 225-100 et les nouveaux articles L. 225-100-1 (N° Lexbase : L5400G77) et L. 225-100-2 (N° Lexbase : L5401G78) du Code de commerce, aux sociétés à responsabilité limitée (SARL) et aux sociétés en nom collectif (SNC) dont l'ensemble des parts détenu par des SA, des SCA ou des SARL (C. com., art. L. 221-7, al. 4 N° Lexbase : L5409G7H). L'expression "l'ensemble des parts" est malheureuse. Faut-il la comprendre dans le sens de l'exhaustivité ou de la simple généralité ? Le terme "tous les associés", utilisé par les dispositions de l'article L. 232-21 du Code de commerce (N° Lexbase : L6301AI9) pour obliger les SNC détenues par des SA et/ou des SARL à publier leurs comptes sociaux, aurait évité toute ambiguïté à cet égard.

En revanche, les sociétés par actions simplifiées ne sont pas (encore ?) visées par ce dispositif, et s'agissant des sociétés "cotées", elles sont toutes visées quelles que soient leur forme sociale (C. com., art. L. 225-100-1).

Lexbase : Le législateur indique que les sociétés dépassant certains seuils sont soumises à ce dispositif. Concernant ces seuils, on attend la publication d'un décret d'application. Néanmoins, pouvez-vous nous en dire plus quant à ces derniers ?

Me Guy de Foresta : Il faut avoir à l'esprit trois seuils distincts, lesquels reposent sur les trois mêmes critères : total du bilan, chiffre d'affaires net et effectif (nombre moyen de salariés permanents). Si les chiffres (à fixer par décret) sont dépassés pour au moins deux de ces critères, le seuil est considéré comme atteint.

1/ Le franchissement du premier seuil à fixer par décret et qui selon la revue fiduciaire (RFC, janvier 2005, n° 313) devrait ressortir à : bilan 3,65 M. euros, chiffre d'affaires 7,3 M. euros et effectif 50 salariés (C. com., art. L. 225-100-1), obligera les sociétés concernées à délivrer toutes les nouvelles informations, sauf les informations non-financières (C. com., art. L 225-100-1, l al. 2).

2/ Le second seuil, d'après cette même source, ressortirait à : bilan 14,6 M. euros, chiffre d'affaires 29,2 M. euros, et effectif 250 salariés, et son franchissement obligera les sociétés à inclure la totalité des nouvelles informations dans leur rapport de gestion.

3/ Le troisième seuil, déjà connu, est celui concernant les sociétés tenues d'établir et de publier des comptes consolidés et un rapport sur la gestion du groupe (C. com., art. L. 233-17 N° Lexbase : L6320AIW, D. n° 67-236 du 23 mars 1967, art. 248-14 N° Lexbase : L0729AYN), soit : bilan 15 M. euros, chiffre d'affaires 30 M. euros, et effectif 250 salariés. Le nouvel article L. 225-100-2 du Code de commerce oblige ces sociétés à inclure la totalité des nouvelles informations dans le rapport de gestion consolidé, pour l'ensemble des entreprises comprises dans la consolidation.

Faut-il préciser, enfin, que quels que soient ces seuils ou la forme sociale de l'entreprise, la totalité des nouvelles informations de l'article L. 225-100 du Code de commerce devra être mentionnée dans le rapport de gestion des sociétés dont les instruments financiers sont admis à la négociation sur un marché réglementé.

Lexbase : Nous en venons au contenu du rapport de gestion. L'article L. 225-100 du Code de commerce a été modifié de façon significative (les modifications apportées par l'ordonnance apparaissent en gras) :

"[...]
Le conseil d'administration ou le directoire présente à l'assemblée son rapport ainsi que les comptes annuels et, le cas échéant, les comptes consolidés accompagnés du rapport de gestion y afférent.
Ce rapport comprend une analyse objective et exhaustive de l'évolution des affaires, des résultats et de la situation financière de la société, notamment de sa situation d'endettement, au regard du volume et de la complexité des affaires.
Dans la mesure nécessaire à la compréhension de l'évolution des affaires, des résultats ou de la situation de la société et indépendamment des indicateurs clés de performance de nature financière devant être insérés dans le rapport en vertu d'autres dispositions du présent code, l'analyse comporte le cas échéant des indicateurs clés de performance de nature non financière ayant trait à l'activité spécifique de la société, notamment des informations relatives aux questions d'environnement et de personnel.
Le rapport comporte également une description des principaux risques et incertitudes auxquels la société est confrontée.
L'analyse mentionnée au troisième alinéa contient, le cas échéant, des renvois aux montants indiqués dans les comptes annuels et des explications supplémentaires y afférentes.
Le rapport comporte en outre des indications sur l'utilisation des instruments financiers par l'entreprise, lorsque cela est pertinent pour l'évaluation de son actif, de son passif, de sa situation financière et de ses pertes ou profits. Ces indications portent sur les objectifs et la politique de la société en matière de gestion des risques financiers, y compris sa politique concernant la couverture de chaque catégorie principale de transactions prévues pour lesquelles il est fait usage de la comptabilité de couverture. Elles portent également sur l'exposition de la société aux risques de prix, de crédit, de liquidité et de trésorerie.
Est joint à ce rapport un tableau récapitulatif des délégations en cours de validité accordées par l'assemblée générale des actionnaires au conseil d'administration ou au directoire dans le domaine des augmentations de capital, par application des articles L. 225-129-1 et L. 225-129-2. Le tableau fait apparaître l'utilisation faite de ces délégations au cours de l'exercice.
[...]".

Lexbase : Pouvez-vous à présent nous parler de la nature même de ces informations nouvelles qui devront être mentionnées dans le rapport de gestion ?

Me Guy de Foresta : On peut les regrouper selon les quatre catégories suivantes :

1/ La première concerne les informations "financières" découlant de la première phrase de l'alinéa 3 de l'article L. 225-100 ; "une analyse objective et exhaustive de l'évolution des affaires, des résultats et de la situation financière de la société notamment de sa situation d'endettement".

Cette rédaction issue de l'ordonnance du 24 juin 2004 demeure inchangée, les nouvelles dispositions se bornant simplement à préciser que cette "analyse" peut renvoyer aux montants indiqués dans les comptes annuels (C. com., art. L. 225-100, al. 5). Pour retracer "l'évolution" dans ces triples domaines distincts des "affaires", des "résultats" et de la "situation financière", il convient sans doute d'établir un comparatif, à partir de chiffres sélectionnés, par rapport à l'exercice ou aux exercices précèdent(s), comparatif qui était déjà établi en pratique, du moins quant aux résultats.

Le bilan et les annexes apportent aussi un certain nombre d'informations sur la situation d'endettement de l'entreprise, en particulier, quant aux emprunts en cours et à leur échéance. Il faut à présent aller plus loin, en dégageant par exemple certains ratios : endettement/capitaux propres, endettement/chiffre d'affaires, coût moyen de l'endettement. L'emploi des termes "objectif" et surtout "exhaustif" laisse entendre que le niveau d'information fournie doit être significativement plus élevé que celui relatif à l'exposé habituel de "la situation de la société durant l'exercice écoulé", de son "évolution prévisible" et des "évènements importants" de début d'exercice (C. com., art. L. 232-1, II N° Lexbase : L6281AIH).

Sur ce premier type d'informations, l'application échelonnée dans le temps des deux ordonnances de juin et de décembre 2004 génère une anomalie. Ces informations financières devront figurer dans les rapports de gestion rédigés en 2005 relatifs aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2004 de toutes les SA et SCA, mais ne seront plus nécessaires dans les rapports que ces mêmes sociétés devront rédiger en 2006 au titre de l'exercice en cours, dès lors qu'elles ne dépasseront aucun des deux premiers seuils susvisés (à moins qu'il ne s'agisse de sociétés "cotées"... !).

2/ Ensuite, indépendamment des indicateurs de nature financière et "...dans la mesure nécessaire à la compréhension de l'évolution des affaires, des résultats et de la situation de la société", l'analyse susvisée devra, "le cas échéant", comporter des informations non financières : des "indicateurs clés de performance de nature non financière ayant trait à l'activité spécifique de la société, notamment des informations relatives aux questions d'environnement et de personnel" (C. com., art. L. 225-100, al. 3, phrase 2).

Les précautions rédactionnelles utilisées "dans la mesure où", "le cas échéant" semblent autoriser à penser que le recours à de tels indicateurs non financiers pourrait rester limité. Du reste, cette catégorie d'information ne concerne pas les entreprises n'atteignant pas le premier des trois seuils susmentionnés.

Et de fait, que faudra-t-il mentionner en plus des informations relatives au personnel ou à l'environnement ? Cela peut être très large : les performances qualitatives de la société, ses produits, son image, sa communication... ?

Quant aux informations concernant le personnel et l'environnement, il s'agit d'obligations qui pesaient déjà sur les sociétés "cotées" depuis la loi NRE. L'on pourra donc s'inspirer de la liste donnée par les articles 148-2 et 148-3 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 (N° Lexbase : L2394AH7, N° Lexbase : L2690A87).

3/ La troisième catégorie d'informations concerne la "description des principaux risques et incertitudes auxquels la société est confrontée" (C. com., art. L. 225-100, al. 4). Ces informations sont visées par la directive "Modernisation" du 18 juin 2003 pour les rapports de gestion de groupe. En transposant cette directive pour ces derniers rapports, le législateur l'adapte également aux rapports de gestion sur les comptes sociaux.

Le périmètre de cette information concernant "les principaux risques et incertitudes" va être difficile à délimiter. Une entreprise est confrontée à toutes sortes de risques et d'incertitudes dans des domaines très variés : sa concurrence, ses approvisionnements, ses produits et services, leurs qualités, mais aussi la conjoncture, l'environnement économique. Va-t-il falloir faire de la macroéconomie ?

4/ Enfin, la quatrième catégorie d'informations concerne les instruments financiers, et leur utilisation par l'entreprise. La rédaction de l'alinéa 6 de l'article L. 225-100 du Code de commerce reprend presque intégralement les termes de la directive "Modernisation".

Le rapport devra rendre compte des instruments financiers utilisés, plus particulièrement en terme de gestion des risques financiers : prix, crédit, liquidité et trésorerie, du moins lorsque cela sera pertinent pour l'évaluation de son patrimoine, puisqu'une telle réserve est introduite par le nouveau texte.

Lexbase : Quel est l'accueil de cette réforme par les sociétés concernées ?

Guy de Foresta : Il est encore un peu tôt pour le dire, néanmoins, ce texte va dans les sens d'une plus grande transparence et d'une meilleure appréhension par les actionnaires, par le public, de la gestion de l'entreprise.

S'il est bien confirmé par décret, le franchissement du premier seuil, finalement assez bas, et qui devrait toucher nombre de PME à actionnariat familial, sera nécessairement perçu comme une contrainte supplémentaire, sans véritable contrepartie. Trop d'information ne tue-t-elle pas l'information ?

Pour les rédacteurs des rapports de gestion, eu égard, notamment, au caractère très "ouvert" et général de plusieurs des termes du nouvel article L. 225-100 du Code de commerce -"analyse objective et exhaustive", "indicateurs non financiers", "risques et incertitudes"- l'exercice devient encore plus délicat pour trouver le juste milieu entre la protection légitime de données confidentielles de l'entreprise (stratégie, relation avec certains tiers...) et une certaine transparence du gouvernement d'entreprise tant vis-à-vis de son actionnariat que de ses partenaires et du public.

Propos recueillis par Aurélie Ecuyer
SGR Droit des sociétés

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