Réf. : Cass. soc., 9 mars 2005, n° 02-44.706, M. Denis Saba c/ Société Brasserie Heineken, FS-P+B, (N° Lexbase : A2507DHC)
Lecture: 6 min
N2287AIK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Nicolas Mingant, Ater en droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 9 mars 2005, n° 02-44.706, M. Denis Saba c/ Société Brasserie Heineken, FS-P+B, (N° Lexbase : A2507DHC) Cassation (CA Douai, chambre sociale, 31 janvier 2002) Mots-clés : travail temporaire ; notion d'emploi saisonnier ; nature et date des emplois Textes visés : C. trav., L. 124-2-1 (N° Lexbase : L5599ACD) Liens base : |
Faits
M. Saba a été mis à la disposition de la société Brasserie Heineken par la société de travail temporaire Adecco pour effectuer différentes missions entre le 4 mars 1991 et le 15 octobre 1999, en raison du remplacement de salariés absents, d'accroissement temporaire de l'activité et du caractère saisonnier de l'activité. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la requalification des contrats de travail temporaire en un contrat de travail à durée indéterminée, ainsi que la condamnation de la société Brasserie Heineken au paiement de diverses indemnités de rupture. Dans un arrêt du 31 janvier 2002, la cour d'appel de Douai l'a débouté de ses demandes au motif, d'une part, que l'activité de brasserie présentait un caractère saisonnier en ce qu'elle était sujette à des variations liées à la consommation de la bière, aux politiques de la grande distribution amplifiées par les effets de la climatologie et, d'autre part, que selon l'emploi dans la chaîne de production ou de distribution occupé par le travailleur intérimaire, la période de la saison variait et était fonction des effets des conditions climatiques. |
Problème juridique
Une cour d'appel peut-elle qualifier un emploi de saisonnier lorsque la tâche accomplie par le salarié ne se répète pas chaque année à des dates à peu près fixes ? |
Solution
1. Cassation partielle 2. "Le caractère saisonnier d'un emploi concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs [...] en statuant comme elle l'a fait, sans préciser la nature et la date des emplois ayant donné lieu à la conclusion des contrats saisonniers, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle". |
Commentaire
1. Les conditions du caractère saisonnier d'un emploi
Selon l'article L. 124-2-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5599ACD), une entreprise ne peut faire appel aux salariés des entreprises de travail temporaire que pour des tâches non durables dénommées "missions". Le Code cite parmi ces tâches non durables les "emplois saisonniers". Selon une circulaire du 30 octobre 1990, les secteurs d'activités à variation saisonnière sont essentiellement l'agriculture, l'industrie agro-alimentaire et le tourisme (circulaire DRT, n° 90-18 du 30 octobre 1990, art 1.3.1, N° Lexbase : L2859AIQ). Mais, cette liste n'est absolument pas limitative et la jurisprudence a précisé que le caractère saisonnier d'un emploi n'était pas nécessairement lié au secteur d'activité dans lequel le salarié était employé (voir, par exemple, pour les contrats saisonniers conclus dans un grand magasin, Cass. soc., 10 janvier 1991, n° 87-45.059, SA Galeries Lafayette c/ Mlle Lopez Hernandez et autre, publié N° Lexbase : A1464AAH). En l'espèce, la cour d'appel de Douai, dans son arrêt du 31 janvier 2002, avait retenu que l'activité de brasserie présentait un caractère saisonnier "en ce qu'elle était sujette à des variations liées à la consommation de la bière, aux politiques de la grande distribution amplifiées par les effets de la climatologie". L'argumentation de la cour d'appel ne convainc guère car, en principe, pour mettre en évidence le caractère saisonnier d'une activité, il faut démontrer qu'elle est "prévisible, cyclique, régulière". Or, si la variation de l'activité est bien mise en évidence par la cour d'appel, son caractère "prévisible, cyclique, régulier" ne l'est pas. La Cour de cassation fait, en réalité, bien peu de cas des développements de la cour d'appel tendant à démontrer que l'activité de brasserie revêt un caractère saisonnier. Dans l'espèce commentée du 9 mars 2005, le raisonnement suivi par les juges de la Cour de cassation repose plutôt sur l'idée que le caractère "saisonnier" visé par l'article L. 124-2-1 ne concerne pas principalement l'activité de l'entreprise, mais l'emploi occupé par le salarié.
Si la notion d'emploi saisonnier n'est pas explicitée par le législateur français, elle a fait l'objet de plusieurs définitions convergentes. C'est ainsi que le droit communautaire qualifie de saisonnier le "travail qui dépend du rythme des saisons et qui se répète automatiquement chaque année" (règlement (CE) n° 1408 /71 du Conseil, 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté N° Lexbase : L4570DLT). Dans la circulaire précitée du 30 octobre 1990, le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle a qualifié de saisonniers les travaux "qui sont appelés à se répéter chaque année à date à peu près fixe en fonction des saisons ou des modes de vie collectifs". La Cour de cassation a repris la définition donnée par la circulaire en affirmant que "le caractère saisonnier d'un emploi concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs" (Cass. soc., 12 octobre 1999, n° 97-40.915, Société nouvelle d'exploitation de la Tour Eiffel c/ Mme Gimbert, publié N° Lexbase : A4714AGP). C'est cette définition traditionnelle (et consensuelle) de "l'emploi saisonnier" que la Cour de cassation reprend, dans son arrêt du 9 mars 2005. Après avoir rappelé cette définition, la Cour de cassation reproche à la cour d'appel de ne pas avoir mis en évidence les éléments permettant de vérifier si l'emploi de M. Saba entrait bien dans le cadre de cette définition. 2. L'appréciation du caractère saisonnier d'un emploi Pour admettre le caractère temporaire de l'emploi de M. Saba, malgré les dates différentes des contrats saisonniers signés chaque année, la cour d'appel de Douai affirme que "selon l'emploi dans la chaîne de production ou de distribution occupé par le travailleur intérimaire, la période de la saison variait et était fonction des conditions climatiques". La difficulté était certainement, en l'espèce, que l'emploi de M. Saba entrait difficilement dans le cadre de la définition traditionnelle retenue par la Cour de cassation. Il était certainement délicat de respecter la condition relative à la "répétition des tâches, chaque année, à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs". L'argument selon lequel, au sein de l'entreprise, la période de la saison variait "selon l'emploi occupé dans la chaîne de production ou de distribution" est certainement admissible. On peut tout à fait admettre qu'en fonction de la tâche à effectuer au sein de l'entreprise, la saison à prendre en considération ne soit pas la même. Puisque le caractère "saisonnier" concerne principalement la tâche effectuée et non l'activité de l'entreprise, il est tout à fait possible qu'il puisse y avoir "plusieurs saisons" au sein d'une même entreprise. Il convient, en revanche, de s'assurer que la tâche considérée se répète chaque année, à des dates à peu près fixes. On ne peut retenir le caractère saisonnier d'une tâche si elle ne se répète pas de manière suffisamment régulière, en fonction d'un cycle à peu près prévisible. Si le cycle n'est pas régulier, on peut tout de même envisager d'avoir recours au travail temporaire, mais le motif sera alors celui du "surcroît temporaire d'activité" et non celui de l'"emploi saisonnier". En l'espèce, la cour d'appel n'avait donné aucune indication sur la nature et la date des emplois occupés par M. Saba. Il était donc impossible pour la Cour de cassation de vérifier s'il y avait bien, pour une tâche donnée, répétition chaque année à des dates à peu près fixes. Il est sans doute exact d'affirmer que la saison, dans les brasseries, est fonction des conditions climatiques et que celles-ci peuvent être changeantes chaque année. Mais, il convient d'en tirer toutes conséquences et d'exclure le recours au travail saisonnier, qui suppose nécessairement qu'un cycle régulier soit respecté. |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:72287