La lettre juridique n°146 du 9 décembre 2004 : Santé

[Le point sur...] De la redevance versée par le médecin exerçant en clinique

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N3798ABB

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par Soliman Le Bigot, Avocat à la Cour, Cabinet LBM
Peggy Grivel, Avocat

le 07 Octobre 2010

La redevance, qualifiée de rétrocession d'honoraires, est la contrepartie des services apportés (mise à disposition de locaux, de matériels, de personnels...) par la clinique au médecin pendant l'exécution de son contrat d'exercice. La question s'est posée de savoir si le paiement de la redevance était une condition au droit d'exercer dans la clinique. Or, la Cour de cassation a considéré que "le contrat par lequel une clinique autorise un médecin à exercer trouve pour celle-ci sa cause dans l'engagement qui en résulte nécessairement pour ce médecin d'exercer, dans les conditions qui y sont définies, fût-ce verbalement, son activité au sein de la clinique, et non dans une rétrocession d'honoraires correspondant par leur nature et par leur coût à un service rendu à ce médecin, rétrocession qui, pour légitime qu'elle puisse être dans son principe, n'est que la conséquence de l'exercice de cette activité" (Cass. civ. 1, 17 juin 1997, n° 95-14.162, Société Clinique Saint-François-Xavier c/ Madame Karpman-Boutet N° Lexbase : A0454ACS, Bull. civ. I, 1997, n° 201, p. 133 ; D., 1997, n° 44, p. 605, G. Mémeteau). Selon le Professeur Mémeteau, la redevance constitue le paiement d'un service rendu au médecin. La cause de l'obligation de payer la redevance est l'obligation de la clinique de servir ces prestations. Ce service ne peut donc s'analyser comme une condition au droit d'exercer, qui se négocie à l'époque de la conclusion du contrat. I - Le principe de la redevance

A - Interdiction de partage d'honoraires entre un médecin et une clinique

Les honoraires médicaux sont personnels. A cet égard, ils ne peuvent être partagés, ni avec un tiers (compérage), ni avec un confrère appelé en consultation (dichotomie).

Le compérage est, ainsi, strictement interdit par :

- l'article 23 du Code de déontologie médicale (devenu l'article R. 4127-23 du Code de la santé publique N° Lexbase : L8261GT7) aux termes duquel "tout compérage entre médecins, entre médecins et pharmaciens, auxiliaires médicaux ou toutes autres personnes physiques ou morales est interdit" ;
- l'article L. 4113-5, alinéa 1er, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L3063DLZ) selon lequel "il est interdit à toute personne ne remplissant pas les conditions requises pour l'exercice de la profession de recevoir, en vertu d'une convention, la totalité ou une quote-part des honoraires ou des bénéfices provenant de l'activité professionnelle d'un membre de l'une des professions régies par le présent livre".

B - Dérogation : la redevance

  • La légitimité du paiement d'une redevance

L'interdiction du partage des honoraires d'un médecin exerçant dans une clinique avec ladite clinique posait certains problèmes tant juridiques, qu'économiques.

En effet, une clinique n'a pas à assurer des services gratuits aux médecins y exerçant, puisque cela peut consister :

- en un enrichissement sans cause pour le médecin (voir en ce sens, Cass. civ. 1, 28 janvier 1992, n° 90-10.190, Clinique Saint-Thomas c/ Consorts Vidal N° Lexbase : A3123ACN, Bull. civ. I, 1992, n° 33 p. 2 ; D. 1992, IR, p. 97 ; RD sanit. soc. 1992, p. 609, G. Mémeteau) ;
- en une gestion anormale sur le plan fiscal, du fait d'une diminution de recettes devant être réintégrée dans les résultats soumis à l'impôt (voir sur ce principe, CE contentieux, 29 novembre 1982, n° 33181, Ministre du Budget c/ SA X N° Lexbase : A8672AKE ; D. 1983, IR, p. 253, Schmidt).

  • L'admission jurisprudentielle de la redevance

L'assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 28 mai 1976, n° 75-10.371, Lechat c/ Société clinique du Léman N° Lexbase : A9747AG4 ; Bull. Ass. plen,. n° 8 p. 110 ; D., 1976, IR, p. 230 ; JCP éd. G, 1977, II, n° 18535, J. Savatier ; Gaz Pal., 1977, doct. p. 229) a reconnu, le 28 mai 1976, la validité de la fixation d'une redevance proportionnelle aux honoraires du praticien.

Par conséquent, la perception par la clinique d'une redevance versée par le médecin y exerçant est, désormais, légitime.

II - Les méthodes de calcul

Il existe deux méthodes de calcul de la redevance (1) :

la méthode proportionnelle, selon laquelle la clinique facture des prestations sur justification des frais réels exposés ;
la méthode forfaitaire, par laquelle la clinique évalue la facture par pourcentage ou par montant fixe.

Quel que soit le mode de calcul, forfaitaire ou proportionnel, la redevance doit toujours être calculée sur la base de frais réels et justifiés. La jurisprudence impose de déterminer si le coût est proportionnel aux services rendus.

Il doit exister une adéquation entre le montant de la redevance et la valeur des services. C'est ainsi que les Professeurs Mémeteau et Loubry suggèrent l'abandon du paiement au pourcentage en faveur d'un calcul au coût réel, chaque poste de dépense étant apprécié au juste prix (2).

En conséquence, la redevance est licite :

- lorsqu'elle correspond, par sa nature et son coût, à un service rendu au praticien (Cass. civ. 1, 17 juin 1997, n° 95-14.162, précité ; Cass. civ. 1, 5 novembre 1996, n° 94-18.335, Bassetti et autres c/ Société Policlinique Le Languedoc N° Lexbase : A8604ABB, Bull. civ I, 1996, n° 376, p. 263). A contrario, la redevance est illicite lorsqu'elle ne constitue pas la contrepartie des frais professionnels engagés par la clinique ou du coût réel du service rendu (Cass. civ. 1, 30 juin 2004, n° 01-14.888, F-D N° Lexbase : A8857DCZ) ;
- lorsque les parties ont convenu d'un prix inférieur à la valeur réelle des services rendus (Cass. civ. 1, 20 mai 2003, n° 00-21.069, FS-P N° Lexbase : A1472B9E ; Bull. civ. I, 2003, n° 123, p. 95 ; JCP éd. G, 2003, II, n° 10187, p. 2141). La Cour de Cassation considère, en l'espèce, qu'une redevance est légale dès lors que son montant équivaut aux dépenses engagées par la clinique, peu importe que les dépenses engagées soit sous évaluées ;
- sous forme d'un pourcentage des honoraires perçus qu'à la condition qu'elle corresponde exclusivement à un service rendu au médecin (Cass. civ. 1, 27 juin 2000, n° 98-19.565, M. Douet et autres c/ Clinique du Ter N° Lexbase : A2251CKL ; Bull. civ. I, 2000, n° 199, p. 129).

Par ailleurs, il convient de rappeler que cette redevance est, d'une part, soumise à la TVA depuis une instruction fiscale du 5 mars 1999 (3) et en application de l'article 256 du Code général des impôts , et, d'autre part, elle peut être augmentée de toute marge bénéficiaire raisonnable par la clinique, qui n'est, absolument, pas tenue de faire payer à prix coûtant ses services.

Enfin, les recommandations relatives aux relations établissements-praticiens et aux remboursements des prestations en exercice libéral du CLAHP (Comité de liaison et d'action de l'hospitalisation privée qui réunit la plupart des organisations syndicales médicales et la fédération de l'hospitalisation privée) modifiées le 17 décembre 2003 établissent les règles de bonne conduite à la charge des cliniques et celles à la charge des praticiens, avec des lignes directrices par types de services (4).

Selon ces recommandations, les cliniques sont tenues de mettre à la disposition des praticiens :

- un bloc opératoire équipé conformément aux normes réglementaires et conventionnelles, ainsi que le personnel de ce bloc et l'instrumentation nécessaires à la réalisation d'interventions chirurgicales courantes ;
- un environnement de sécurité pour réalisation d'actes d'endoscopie ;
- dans les établissements d'obstétrique, le personnel, l'installation et l'instrumentation nécessaires pour tenir compte des normes techniques en vigueur.

A contrario, il existe d'autres éléments qui sont mis à la charge du praticien et qui sont calculés par analogie avec ceux d'un cabinet médical hors établissement.

Le médecin se verra donc facturer :

- la réception et l'orientation des patients ;
- l'utilisation des locaux par analogie aux loyers ;
- les charges générales (électricité, eau, chauffage, et nettoyage) sur la base réelle d'utilisation ou par fixation d'un forfait ;
- le coût du brancardage lorsque l'activité sort du cadre du règlement intérieur ;
- l'utilisation d'équipements spécialisés d'investigation ou d'exploration fonctionnelle ;
- pour l'activité d'anesthésie, le personnel qualifié ou infirmier anesthésiste.

Les recommandations précitées du CLAHP permettent d'établir une évaluation de la redevance aussi proche que possible du coût réel. Elles contribuent, ainsi, à diminuer les sources de litiges dans les rapports quotidiens et peuvent constituer, pour les magistrats, un outil de référence reflétant les usages professionnels.

III- Le contentieux

A - Contestation de la redevance par le médecin

L'inexistence des prestations promises autorise le médecin à suspendre le paiement de la rétrocession ou à solliciter la résiliation du contrat aux torts de la clinique pour inexécution de ses obligations.

Il existe deux voies possibles en cas d'excès de la redevance :

- la nullité lorsque la clause de redevance contrevient à l'interdiction du compérage de l'article L. 4113-5 du Code de la santé publique ;
- la réduction de la redevance par le juge civil avec répétition des prélèvements indus, conformément aux articles 1235 (N° Lexbase : L1348ABK), 1376 et suivants (N° Lexbase : L1482ABI) du Code civil. La prescription de cette action est de 30 ans.

Dans un arrêt du 2 mai 2002, la cour d'appel de Papeete (5) a obligé la clinique à restituer une partie de la redevance car elle avait reçu une somme excédant la valeur des services rendus. Néanmoins, le juge ne peut pas fixer lui-même le montant de la redevance. En effet, la Cour de cassation a considéré que le juge constatant une redevance supérieure à la valeur réelle des prestations fournies par la clinique, doit laisser la clinique et le médecin négocier à nouveau le montant de la redevance en fonction de ce que l'expert aura indiqué (Cass. civ. 1, 20 mai 2003, n° 02-15.249, FS-D N° Lexbase : A1576B9A et n° 02-15.250, FS-D N° Lexbase : A1577B9B).

B - Actions de la clinique

En cas de contestation par le médecin de la redevance, la clinique se doit de saisir les juridictions compétentes. Elle peut saisir le juge des référés du tribunal de grande instance territorialement compétent, conformément aux articles 808 (N° Lexbase : L3103ADB) et 809 (N° Lexbase : L3104ADC) du Nouveau Code de procédure civile.

Mais, la clinique ne peut pas supprimer, unilatéralement, des services ou des prestations, sauf à démontrer que les patients et le médecin n'en souffrent pas (6).


(1) I. Lucas-Baloup, B. Vorms, Médecins/ Cliniques - le contrat d'exercice, SCROF 2001.
(2) G. Mémeteau, Contrats entre médecins et cliniques, quelques difficultés, RD sanit. soc., 2000 p. 96 ; N. Loubry, Faut-il supprimer les redevances ?, Concours médical 28 mars 1992, n° 953.
(3) Instruction fiscale du 5 mars 1999, Règles de TVA applicables aux établissements de santé, BOI, 3 A-1-99 (N° Lexbase : X7140AB3).
(4) N. Loubry, Relations médecins cliniques - la question des redevances, Concours médical, 10 mars 2004, tome 126-09, p. 530.
(5) CA Papeete, 2 mai 2002, RD sanit. soc., 2002, p. 272.
(6) CA Paris, 25e ch., sect. B, 21 février 1997, n° 95/6808, Monsieur Jean C. c/ Clinique Bellefond (N° Lexbase : A1579DE9).

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