Réf. : CAA Marseille, 13 avril 2004, n° 00MA01048, SARL Rose-Marie c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A9872DBA)
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par Sophie Duval, Juriste-fiscaliste
le 07 Octobre 2010
1. Rappel des règles de comptabilisation des amortissements techniques et dérogatoires
L'obligation de comptabilisation vaut pour les amortissements techniques comme pour les amortissements dérogatoires. Mais, ces deux types d'amortissements n'ayant pas la même finalité, leur enregistrement comptable diffère.
1.1. Les amortissements techniques ou pour dépréciation
Ce premier type d'amortissements a pour objectif de traduire comptablement la diminution irréversible de valeur que subissent les éléments d'actif de l'entreprise en raison de la vétusté ou de l'usure résultant du temps ou de l'usage. Cette opération comptable consiste à étaler, sur la durée probable de vie, la valeur du bien, suivant un plan d'amortissement préétabli. Ce dernier se présente, en pratique, sous la forme d'un tableau prévisionnel de réduction des valeurs inscrites au bilan sur une période déterminée et par tranches successives.
Les amortissements techniques sont ainsi comptabilisés au bilan, en moins de l'actif (en diminution de la valeur d'origine des éléments correspondants), et au compte résultat, en charge d'exploitation. Ils sont débités au compte 681 "dotations aux amortissements et aux provisions - charges d'exploitation" par le crédit de la subdivision concernée du compte 28 "amortissements des immobilisations".
1.2. Les amortissements dérogatoires
Les amortissements dérogatoires ne correspondent pas, à la date à laquelle ils sont pratiqués, à une dépréciation économique de l'immobilisation concernée. Il s'agit de possibilités offertes par le législateur aux entreprises de constater des amortissements, à des fins de politiques économiques, en sus des amortissements techniques. Ces avantages fiscaux ont pour but, par exemple, d'inciter à l'investissement dans tel ou tel secteur.
Ces amortissements dérogatoires doivent être comptabilisés au passif du bilan sous le poste "provisions réglementées", incluses dans les capitaux propres de l'entreprise et au compte de résultat en charges exceptionnelles. La différence entre l'annuité d'amortissement fiscal et l'annuité d'amortissement technique est comptabilisée au compte "provisions pour amortissements dérogatoires". Ultérieurement, lorsque l'annuité technique devient supérieure à l'annuité fiscale, la différence est compensée par une reprise de même montant opérée sur la provision pour amortissements dérogatoires initialement constituée. Les dotations à la provision pour amortissements dérogatoires et les reprises opérées sur cette provision constituent respectivement des charges exceptionnelles et des produits exceptionnels. La part fiscale de l'amortissement est débitée au compte 687 "dotations aux amortissements et aux provisions - charges exceptionnelles" par le crédit du compte 145 "amortissements dérogatoires". L'insuffisance fiscale qui en résulte est débitée au compte 145 par le crédit du compte 787 "reprises sur provisions" des exercices suivants.
En résumé, s'il y a coïncidence entre le plan d'amortissements retenu (amortissements techniques) et l'amortissement fiscal, la déduction fiscale est constituée par la dotation aux amortissements.
En revanche, si les annuités du plan d'amortissements techniques diffèrent de celles qui résultent de l'application des règles fiscales, le montant de la déduction, au titre d'un exercice donné est égal pour un élément d'actif déterminé, à l'annuité d'amortissements techniques majorée de la dotation à la provision pour amortissements dérogatoires ou diminuée de la reprise opérée sur cette provision, selon le degré d'exécution du plan d'amortissements de l'élément. Pour l'ensemble des éléments amortissables, la déduction fiscale est égale à la somme des dotations (amortissement technique et dérogatoire) diminué des reprises opérées sur la provision pour amortissement dérogatoire.
2. Une jurisprudence bien établie
Le respect de l'obligation de comptabilisation des amortissements implique que les entreprises justifient qu'elles aient procédé à des écritures comptables régulières et dotés d'une valeur probante. Comme le rappelle la jurisprudence abondante en la matière, le Conseil d'Etat impose aux entreprises le respect d'un formalisme relativement strict.
2.1. Exemples d'amortissements considérés comme non-comptabilisés
D'une manière générale, la jurisprudence considère que des amortissements dont une société ne justifie pas, par ses écritures comptables, de la réalité et du montant sont à bon droit réintégrés à ses résultats (CE 4 mars 1983 n° 33788, Société à responsabilité limitée "xxxxx" c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1946AMZ). Ainsi, une entreprise ne peut déduire de son bénéficie imposable le montant d'amortissements qu'elle avait la faculté de pratiquer, mais qu'elle n'a pas effectivement pratiqués à défaut de les avoir portés dans les écritures de l'exercice (CE 4 juin 1982 n° 12871, M. xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A8433AKK ; CE 26 octobre 1983 n° 24899, M. xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2708AMA ; CE 6 juillet 1987 n° 47596, Société de réalisation et d'exploitation du chauffage urbain de Vandoeuvre (SOREV) c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2920APT).
Le Conseil d'Etat a précisé à plusieurs reprises que la seule mention des amortissements sur des documents annexes à la déclaration de résultats s'avère insuffisante pour être considérés comme réellement effectuée au sens de l'article 39-1.2 du CGI (CE 20 février 1981, n° 14317, Ministre du Budget c/ M. xxxxx N° Lexbase : A6483AKC et n° 19384, Ministre du Budget c/ M. xxxxx N° Lexbase : A6484AKD). Ainsi, il a également refusé la déduction d'amortissements mentionnés dans la déclaration des résultats et dans le bilan annexé, mais non encore comptabilisé à l'expiration du délai de déclaration et ne figurant pas au bilan de la clôture de l'exercice, tel qu'il était transcrit dans les écritures de l'entreprise (CE, 1er juillet 1966 n° 60980, Société X c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1192B7B). De même, il a considéré que l'obligation de comptabilisation n'était pas réalisée pour des amortissements portés au bilan annexé à la déclaration et sur le relevé joint, mais non comptabilisés à l'expiration du délai de déclaration. Dans cette espèce en effet, les sommes litigieuses avaient été inscrites non au compte "amortissements" lui-même mais au compte "provision pour amortissements" (CE, 1er février 1965, n° 57996, Société C c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6959B7U et du 28 octobre 1966, n ° 68628, Société "Scandinavian Airlines System-France" c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4701AQ8).
De surcroît, le Conseil d'Etat rappelle que l'inscription des amortissements doit être effectuée sur des documents comptables probants. Ainsi, alors même que des amortissements avaient été inscrits sur un carnet où figuraient le matériel acheté et les dotations annuelles calculées selon le système linéaire, ils n'ont pas été considérés par les magistrats comme déductibles des résultats pour n'avoir pas régulièrement été comptabilisés à la clôture de chaque exercice. (CE 24 avril 1981 n° 17011, M. xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3911AK3). De même, l'inscription d'amortissements sur un cahier ni coté ni paraphé n'apporte, selon le Conseil d'Etat, pas la preuve que les amortissements ont été comptabilisés à la clôture de chacun des exercices concernés (CE 23 février 1979 n° 10815, M. xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1361AKM).
Enfin, selon la jurisprudence de la Haute cour, l'entreprise doit être en mesure de prouver que les amortissements ont bien été comptabilisés dans les temps, c'est-à-dire avant l'expiration du délai de déclaration. N'établit donc pas la régularité de l'inscription comptable des amortissements déduits des résultats, le contribuable qui se borne à produire, pour une année, un tirage informatique daté d'une année postérieure (CAA bordeaux, 19 octobre 1989, n° 89BX00488, Jean Rousseau c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1127A8A). Egalement, une société ne justifie pas que les amortissements qu'elle soutient avoir effectués au titre des exercices n et n+1 et dont elle se borne à présenter un tableau communiqué pour la première fois à l'administration en n+3, aient été effectivement portés dans sa comptabilité avant l'expiration du délai de déclaration de chacun desdits exercices. (CE 16 février 1990 n° 61498, Société Soperma Anstalt c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4930AQN). Le Conseil d'Etat a aussi considéré que c'était à bon droit que l'administration avait réintégré dans les résultats imposables de la société des amortissements qui ne pouvaient pas être considérés comme régulièrement comptabilisés dès lors que le contribuable se bornait à présenter, d'une part, une reconstitution des amortissements en cause pour un montant d'ailleurs différent de ceux déduits et, d'autre part, un état des immobilisations mentionnant des amortissements calculés globalement (CE 24 novembre 1986 n° 56392, SARL "Central Clamart Auto-Ecole" c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4565AMZ).
2.2. Amortissements considérés comme "réellement effectués"
En revanche, le Conseil d'Etat a considéré que devaient être regardés comme "réellement effectués" au sens de l'article 39-1-2 du CGI des amortissements inscrits au débit du compte d'exploitation générale ainsi qu'à l'actif du bilan en déduction des immobilisations et qui ont été portés au livre d'inventaire coté et paraphé, préalablement à la déclaration des résultats, alors même que les écritures correspondantes ne figuraient pas au journal des opérations diverses et au journal centralisateur (CE 24 juillet 1981 n° 16598, Ministre du Budget c/ Société xxxxx N° Lexbase : A7174AKW).
2.3. Exemple de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille rapporté
L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 13 avril 2004 s'inscrit dans le prolongement de cette dernière jurisprudence. Et, elle précise que si ce mode de comptabilisation des amortissements est considéré comme régulier par les juges comme par l'administration, encore faut-il que le contribuable ait respecté les délais qui lui sont impartis. Ainsi, la cour rappelle que, dans le cas où, comme en l'espèce des amortissements ne sont pas constatés à la fois dans le journal centralisateur et le journal des opérations diverses, cette insuffisance peut être supplée par une triple inscription :
- au débit du compte d'exploitation général ;
- à l'actif du bilan de clôture ;
- et au livre d'inventaire coté et paraphé, à condition que cette dernière inscription ait été faite avant l'expiration du délai de déclaration des résultats.
Dans le cas de la société Rose-Marie, à défaut de remplir cumulativement ces trois conditions, les amortissements litigieux ne peuvent être considérés comme correctement comptabilisé et ne sont donc pas déductibles.
3. Conséquence de la non-comptabilisation
3.1. Une décision de gestion irrévocable
Comme il vient d'être vu précédemment, seuls sont déductibles, les amortissements que les entreprises ont effectivement portés en temps utile dans leurs écritures comptables. Cette constatation obligatoire des amortissements en comptabilité ne constitue pas une obligation comptable dont la méconnaissance serait une erreur rectifiable, mais une obligation fiscale sanctionnée par la déchéance du droit à pratiquer ultérieurement la déduction des amortissements omis. Il en résulte que la décision de pratiquer ou de ne pas pratiquer un amortissement en comptabilité est une décision de gestion opposable au contribuable. Le choix entre l'inscription ou non en comptabilité des amortissements ne peut être remis en cause ni par le contribuable ni par l'administration. Un contribuable ne peut donc prétendre que le défaut d'inscription des amortissements en comptabilité est le résultat d'une simple erreur matérielle (CE 20 février 1981 n° 14317, Ministre du Budget c/ M. xxxxx N° Lexbase : A6483AKC et n° 19384, Ministre du Budget c/ M. xxxxx N° Lexbase : A6484AKD).
3.2. Biens inscrits à tort en frais généraux lors de leur acquisition
Compte tenu de cette obligation de comptabilisation des amortissements, les entreprises qui ont passé à tort en frais généraux des éléments d'actifs sont, en principe, dans l'impossibilité d'effectuer ultérieurement, par voie extra-comptable, les amortissements qui auraient pu être normalement pratiqués sur ces biens. Les contribuables ne retrouvent, en effet, le droit de pratiquer les amortissements qu'une fois leurs écritures comptables régularisées.
Toutefois, dérogeant à ces principes, l'administration permet, sous certaines conditions, aux entreprises qui ont inscrit à tort des biens en frais généraux de déduire par le biais des amortissements le coût total d'acquisition des biens concernés, malgré l'erreur commise à l'origine. Cette tolérance de l'administration concernant la déduction des amortissements de la période comprise entre l'exercice de comptabilisation de la charge et l'exercice du redressement peut se traduire de deux façons différentes, soit par le rattrapage immédiat des amortissements qui auraient dû être pratiqués sur les exercices antérieurs, soit par un amortissement à pratiquer sur la durée restant à courir (Rép. Min. n° 8757, JOANQ 14 juin 1961, p. 1047).
Attention, dans les cas manifestement abusifs, l'administration fait toutefois une stricte application des dispositions de l'article 39 B du CGI , en interdisant d'admettre fiscalement dans les charges ultérieures les amortissements qui ont été irrégulièrement différés depuis l'acquisition ou la création des immobilisations en cause. Sans qu'il puisse être donné une liste exhaustive de ces cas manifestement abusifs, l'administration est amenée à se prévaloir des dispositions de l'article 39 B lorsque, par exemple, les manquements constatés sont exclusifs de la bonne foi ou procèdent d'erreurs graves ou répétées (Rép. Min. n° 8121, Sergheraert, JOANQ 26 avril 1982, p. 1704).
3.3. Le relevé des amortissements
En matière de comptabilisation des amortissements, les entreprises sont encore tenues à une obligation déclarative supplémentaire. En effet, elles doivent annexer à leur déclaration de résultats un relevé normalisé des amortissements. Cette obligation se matérialise par l'utilisation du tableau n° 2055 pour les entreprises relevant du régime du bénéfice réel ou des tableaux n° 2033 C (amortissements) et n° 2033 D (provisions, amortissements dérogatoires) pour les entreprises relevant du régime simplifié. Il est à noter que le défaut de production du tableau des immobilisations et des amortissements ou le fait que certains amortissements y auraient été omis n'est, lui, en revanche, pas de nature à faire obstacle à la déduction des amortissements. L'entreprise est juste passible, dans ce cas, de l'amende de 15 euros ou de 150 euros prévues par les articles 1725 et 1726 du CGI.
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