La lettre juridique n°114 du 1 avril 2004 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Le problème des restitutions consécutives à la nullité d'un contrat pour cause illicite

Réf. : Cass. civ. 3, 25 février 2004, n° 02-15.269, M. Serge, René Fortier c/ M. Marcel Leray, FS-P+B (N° Lexbase : A3759DBT)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

Un arrêt important, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 25 février 2004, publié au Bulletin, invite à revenir sur la question des restitutions consécutives à la nullité d'un contrat pour cause illicite. En l'espèce, des époux avaient, par acte authentique, promis de vendre un appartement, le bénéficiaire de la promesse ayant, par acte sous seing privé du même jour, versé au promettant une somme de 20 000 francs à valoir sur celle de 50 000 francs dont le solde était payable à la signature de la vente. La promesse de vente étant devenue caduque, le bénéficiaire de la promesse a assigné le promettant afin d'obtenir la restitution de cet acompte. Ce dernier fait grief à l'arrêt d'appel d'avoir accueilli la demande alors que, selon le pourvoi, lorsqu'une convention est fondée sur une cause illicite, les parties sont irrecevables à fonder sur elle aucune action soit pour l'exécution de la convention, soit pour la restitution des sommes payées sur des avances faites pour son exécution, de telle sorte que la cour d'appel aurait violé l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9). La Cour de cassation rejette cependant le pourvoi : "ayant, par motifs adoptés, relevé que la somme litigieuse avait été versée par le bénéficiaire de la promesse, hors déclaration fiscale, qu'une telle pratique frauduleuse procédait de l'accord concerté des parties qui trouvaient, chacune, un intérêt financier, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que le promettant, qui avait reçu l'acompte non déclaré sur le prix de la vente, ne pouvait se prévaloir de la cause illicite de la remise pour se soustraire à sa restitution". La solution appelle quelques explications.

Il faut rappeler, pour commencer, que, aux termes de l'article 1131 du Code civil, "l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet". L'article 1133 (N° Lexbase : L1233ABB) reprend la règle pour la préciser en ajoutant que "la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public". Or, on le sait, la nullité du contrat est, par hypothèse, rétroactive, ce qui conduit en principe les parties à se restituer mutuellement ce qu'elles ont reçu en exécution de ce contrat. Cependant, la jurisprudence apporte, classiquement, une exception à la règle lorsque la nullité du contrat est fondée sur le caractère immoral de la convention. Par application de deux maximes célèbres - Nemo auditur propriam turpitudinem allegans et In pari causa turpitudinis cessat repetitio -, le contractant qui se prévaut de son immoralité est ainsi empêché d'obtenir la restitution de la prestation qu'il a fournie (sur cette solution, voir notamment Roland et Boyer, Adages du droit français, 4ème éd., n° 246, p. 483). Tel est, manifestement, ce à quoi faisait allusion le pourvoi, même implicitement, pour s'opposer à la restitution de l'acompte versé par le bénéficiaire de la promesse. Le rejet de son argumentation n'est pourtant pas réellement surprenant. Il ne l'est d'abord pas dans la mesure où l'application de la règle Nemo auditur... ne joue en principe, à suivre la jurisprudence, que dans les hypothèses dans lesquelles la nullité repose sur l'immoralité, plus précisément sur la cause immorale. Aussi bien considère-t-on que si le contrat est simplement illicite, la répétition des prestations fournies peut être réclamée (voir notamment, sur cette question, F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, 8ème éd., n° 429 ; J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, 1. L'acte juridique, 10ème éd., n° 369, et les références citées). Autrement dit, l'exception au jeu des restitutions consécutives à la nullité du contrat, parfois appelée "exception d'indignité", repose sur la distinction, parfois d'ailleurs délicate, de l'illicite et de l'immoral. Or, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt rapporté, le contrat avait été déclaré nul pour cause illicite ce qui, logiquement, empêchait le promettant de se prévaloir de la règle Nemo auditur... : comme l'affirme la Cour de cassation dans des termes suffisamment généraux pour y voir un principe, "le promettant, qui avait reçu l'acompte non déclaré sur le prix de la vente, ne pouvait se prévaloir de la cause illicite de la remise pour se soustraire à sa restitution" (rappr., énonçant que la cause illicite d'une obligation ne fait pas obstacle à l'action en répétition, la maxime In pari causa... étant alors sans application : Cass. civ. 1, 27 novembre 1984, n° 83-11.265, Monsieur Millant et autre c/ Monsieur Allerat N° Lexbase : A2400AA7, Gaz. Pal. 1985, 2, 638, note Chabas).

Il faut ajouter, ensuite, que l'arrêt relève, pour asseoir la solution, que la pratique frauduleuse à l'origine de la nullité du contrat "procédait de l'accord concerté des parties qui [y] trouvaient, chacune, un intérêt financier". Sans doute peut-on y voir là une raison supplémentaire au refus opposé par la Cour de cassation au promettant de se soustraire au jeu des restitutions. En tout état de cause, à supposer même que la règle Nemo auditur... ait pu être appliquée à un contrat immoral (sur cette éventualité, compte tenu notamment des difficultés qu'il y a parfois à distinguer contrat illicite et contrat immoral, voir F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, ibid., et les références citées), il faut rappeler que la règle a vocation, essentiellement, à protéger le contractant de bonne foi à qui son partenaire opposerait la nullité du contrat. Justifiée dans ce cas de figure, d'autant que, on s'en souvient, la jurisprudence a pu décider, il y a quelques année, qu'il n'était pas nécessaire, pour prononcer la nullité, que le motif déterminant illicite ou immoral ait été connu de l'autre partie (Cass. civ. 1, 7 octobre 1998, n° 96-14359, M. X c/ Mme Y N° Lexbase : A5097CGU, Bull. civ. I, n° 285, Grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd., n° 157), l'exception au jeu des restitutions l'est peut-être moins lorsque ce motif était connu des deux contractants et que la pratique frauduleuse ayant entraîné la nullité du contrat avait fait l'objet d'un accord concerté.

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