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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 04 Janvier 2011
Lexbase Hebdo - édition professions a rencontré Maître Jean-François Leca, Président délégué de cette commission et ancien Bâtonnier d'Aix-en-Provence, pour dresser un état des lieux de la formation des avocats et appréhender les enjeux qui se jouent actuellement.
Lexbase : Quels profils ont les étudiants qui entrent à l'école française du Barreau ? Aujourd'hui, la seule formation universitaire est-elle suffisante ?
Jean-François Leca : De façon générale, à leur entrée à l'école française du Barreau, une grande majorité des étudiants ont validé un master II, alors même que le CRFPA est ouvert dès l'obtention du master I. Ce constat mis à part, les profils des étudiants diffèrent, selon que l'on considère Paris et la province.
En région parisienne, beaucoup d'étudiants ont suivi un double cursus faculté de droit et école de commerce ou Sciences-Po. Ils présentent un fort degré de spécialisation, notamment en droit des affaires. Les DJCE ont, ainsi, beaucoup de succès et bénéficient d'une forte notoriété auprès des employeurs qui recrutent de plus en plus leurs futurs collaborateurs en fin de stage. Par ailleurs, les formations internationales (via Erasmus, notamment) bénéficient d'une forte valorisation sur le marché du travail et sont, en particulier, fortement appréciées par les cabinets anglo-saxons et les grands cabinets.
En province, même si cette démarche existe, elle est moins marquée, car la clientèle des cabinets diffère et avec elle, le profil des étudiants. Les enjeux internationaux sont moins importants et les besoins juridiques d'ordre plus général.
Sur le fait de savoir si la seule formation universitaire est suffisante, les facultés ont fourni beaucoup d'efforts pour améliorer leur cursus et pallier les lacunes antérieures, relatives, surtout, à une absence de professionnalisation. Il est difficile de cerner à quel moment précis la question du choix professionnel se pose. Néanmoins, il est évident que le sujet est moins difficile à aborder, dès lors que les étudiants ont une bonne connaissance de chaque métier en amont. Or, les universités multiplient les initiatives de portes ouvertes et de colloques et incitent leurs étudiants à multiplier les stages, le plus tôt possible.
Quant au contenu des enseignements et leur appréhension, deux écoles existent, dont les conceptions sont légitimes et fondées, d'où la difficulté de trancher. Pour les uns, la matière juridique est si complexe qu'elle nécessite un enseignement très dense et, corrélativement, très long. Les autres considèrent qu'au-delà du contenu des connaissances, c'est la logique qu'il convient de privilégier (NDLR : le débat a, récemment, fait rage entre Assas et Sciences-Po à l'occasion de l'ouverture de l'école du droit au sein de l'institut (1)).
Sans prendre aucunement position, je garde présent à l'esprit que la qualité du professionnel n'est pas forcément proportionnelle à la durée d'un cursus. Je constate, également, que la durée des études de droit en France est souvent plus longue qu'à l'étranger, dans les pays anglo-saxons par exemple. Enfin, nul ne peut nier qu'une trop forte spécialisation risque souvent de fermer des portes en termes de débouchés professionnels.
Quoi qu'il en soit, que l'on se place sous l'un ou l'autre de ces angles, il me paraît fondamental d'asseoir les enseignements juridiques sur une base minimum de culture générale, en ce qu'elle favorise la capacité d'analyse et de réflexion. Elle doit, donc, tenir une place de choix tout au long de la formation universitaire.
La question du transfert de certaines matières propres à l'exercice de la profession des écoles à l'IEJ a, par ailleurs, été posée -en particulier, l'enseignement de la déontologie-. En l'état actuel des choses, je ne suis pas convaincu que ce choix soit toujours pertinent.
Lexbase : La question se pose de l'harmonisation des écoles régionales. Pensez-vous qu'il faille aller jusqu'à la création d'une Ecole nationale ?
Jean-François Leca : Si je suis d'avis qu'il est, en effet, nécessaire d'harmoniser les écoles de formation, je doute fort que la création d'une Ecole nationale soit une solution. II est possible qu'une telle hypothèse ait quelques avantages, mais d'autres problèmes se poseraient.
Concrètement, l'exercice professionnel est très diversifié. Il recoupe des réalités différentes, selon la région où l'on exerce. Pour exemple, l'activité judiciaire est prédominante en province, quand celle de conseil est très importante à Paris. Les écoles sont au plus près des besoins des professionnels et garantissent une formation adéquate. Les conserver est, donc, important du point de vue du maillage du territoire.
Toutes les écoles ont, par ailleurs, fourni des efforts considérables et proposent une qualité d'enseignement élevée. Je vois mal que l'on puisse réduire à néant tout ce qui a été fait jusqu'à présent et qui est encore perfectible.
Lexbase : Quel bilan faîtes-vous cinq ans après la réforme de la formation continue ?
Jean-François Leca : Le bilan est très positif (les années 2008 et 2009 ont vu la formation continue monter en puissance) et je peux affirmer que, si le dispositif a mis du temps à se mettre en place, aujourd'hui, tous les avocats sont convaincus de son bien-fondé.
L'actualisation est au coeur de notre exercice. Un avocat performant est, avant tout, un avocat bien formé et bien informé. Il doit, donc, pour être efficace, consacrer du temps à la formation.
Nos écoles proposent des solutions de formations de grande qualité à des prix compétitifs, via, par exemple, des formules d'abonnements (forfaits de 30 heures pour 300 euros). A Paris, la plupart des formations sont gratuites. Nous favorisons, également, le croisement des formations : le CNB a, notamment, pour projet de mettre en place une plateforme qui informera les confrères de toutes les formations dispensées par les écoles en France. Elles seront, ainsi, accessibles à tous ; ceci, quel que soit le lieu d'exercice professionnel de l'avocat.
Lexbase : Le contrôle du respect de l'obligation légale de formation continue revient aux Ordres. Pensez-vous qu'ils aient les moyens de l'exercer ? Quelles sanctions vous semblent opportunes en cas de défaillance de l'avocat ? Notamment, êtes-vous favorable à l'omission ?
Jean-François Leca : Les Ordres disposent de plus en plus de moyens leur permettant d'exercer leur contrôle. La commission Formation du CNB a amorcé une réflexion sur la façon dont le travail des Bâtonniers pourrait être facilité. Nous pensons doter les écoles de formation d'un logiciel permettant une transmission directe des feuilles de présence aux Ordres. Cet outil améliorera, parallèlement, nos données statistiques quant à la formation et offrira une plus grande lisibilité.
Pour ce qui est des sanctions, elles relèvent de l'appréciation des Bâtonniers, dans le cadre de leur pouvoir disciplinaire. Une autre piste a été avancée, celle de l'omission. Celle-ci est demandée par de nombreux Bâtonniers et je dois admettre qu'elle retient, également, toute mon attention, surtout au regard de son effet fortement préventif. Nous trancherons ce point dans le courant de l'année.
Lexbase : Où en est-on des réflexions sur la formation commune des professionnels du droit préconisée par la commission "Darrois" ?
Jean-François Leca : Près d'un an après la remise du rapport "Darrois", nous avons beaucoup avancé sur cette très délicate question. Notre réflexion reste, cependant, à finaliser. Concilier, de façon cohérente, les intérêts de chaque profession, de chaque école, de chaque institution, n'est pas simple. Cela demande un minimum d'écoute, de temps, de discussions et de réflexions.
Nous sommes d'accord sur la nécessité d'un temps de formation commune à tous les professionnels du droit.
Reste, donc, à déterminer quand et comment ce temps de formation doit se positionner : faut-il instaurer un tronc d'enseignements communs au cours du cursus universitaire ou en dehors de lui ? D'autres questions doivent être résolues : faut-il prévoir un examen d'entrée ? Quel en serait le contenu ? Combien de temps doit durer cette formation ? Etc..
Sur ce dernier point, la commission Formation du CNB est favorable à une durée d'enseignement de six mois à prolonger de six mois de stages (2 x 3 ou 3 x 2 éventuellement). Cela pose, il est vrai, la question de la durée des études. Sauf à considérer la possibilité de réduire le temps de formation au sein des écoles existantes. Le Conseil national du droit et les facultés souhaitent, pour leur part, que la formation ait une durée de six mois rattachée au master II.
Beaucoup d'autres interrogations dépendent, en réalité, du comportement que choisira d'adopter la Chancellerie et des moyens, en particulier financiers, qu'elle consentira à accorder à ce beau projet. Ce n'est qu'avec son concours que nous pourrons réaliser un dispositif utile et efficace.
(1) Lire L'Ecole de Droit de Sciences Po ou comment former "les juristes polyvalents dont le début du 21ème siècle a besoin" - Questions à Christophe Jamin, Directeur de l'Ecole de Droit, Lexbase Hebdo n° 8 du 16 novembre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N4494BME) et La réponse de "la première université de droit" face à la concurrence des écoles privées - Questions à Louis Vogel, Président de l'Université Paris II - Panthéon-Assas, Lexbase Hebdo n° 13 du 7 janvier 2010 - éditions professions (N° Lexbase : N9370BMY).
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