Lexbase Social n°149 du 6 janvier 2005 : Social général

[Jurisprudence] La fraude corrompt tout : application au conjoint du chef d'entreprise salarié

Réf. : Cass. soc., 15 décembre 2004, n° 02-45.866, M. Bernard Capocci c/ M. Bernard Sanchez, F-P+B (N° Lexbase : A4698DEQ)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

La situation du conjoint du chef d'entreprise salarié est difficile, tant en théorie qu'en pratique. Malgré l'intervention du législateur dans la loi du 10 juillet 1982 (loi n° 82-596 du 10 juillet 1982, relative aux conjoints d'artisans et de commerçants travaillant dans l'entreprise familiale N° Lexbase : L7728AI3 ; C. trav., art. L. 784-1 N° Lexbase : L5345ACX) et l'institution d'une présomption de salariat, les problèmes n'ont pas tous été résolus, loin s'en faut. Le principe simple, posé par le législateur, se trouve en décalage avec la complexité des hypothèses portées devant les juridictions. Bien souvent, en effet, la relation apparente n'est pas le reflet de la réalité. L'épouse employeur est, par exemple, un leurre qui permet à l'époux de diriger l'entreprise alors même qu'il ne peut le faire, parce qu'il tombe sous le coup d'une interdiction ou qu'il ne souhaite pas le faire car il n'entend pas encourir les risques liés à l'activité. Tel était le cas dans la décision commentée. Or, une telle fraude, lorsqu'elle est avérée, a pour effet de faire perdre à l'époux salarié le bénéfice de la législation du travail en faisant tomber la présomption de salariat posée par le législateur.
Décision

Cass. soc., 15 décembre 2004, n° 02-45.866, M. Bernard Capocci c/ M. Bernard Sanchez, F-P+B (N° Lexbase : A4698DEQ)

Rejet de CA Montpellier, 26 juin 2002

Mots-clés : relation matrimoniale entre employeur et salarié ; condition d'application du Code du travail ; présomption de salariat ; présomption simple ; possibilité d'apporter la preuve contraire : inapplicabilité du Code du travail en présence d'une fraude.

Texte concerné : C. trav., art. L. 784-1 (N° Lexbase : L5345ACX)

Lien bases :

Faits

A la suite de son licenciement pour motif économique, un salarié, conjoint de l'employeur, a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de rappels de salaires, d'indemnités compensatrices de congés payés et de préavis, et de dommages et intérêts pour non-proposition d'une convention de conversion.

La cour d'appel a rejeté ses demandes. Elle a, en effet, refusé de lui faire application de la présomption légale de salariat. Ayant constaté que le salarié exerçait effectivement une activité au sein de l'entreprise, et qu'il percevait une rémunération mensuelle nettement supérieure au Smic, la cour d'appel n'a pas fait application des dispositions du Code du travail car elle a relevé une fraude caractérisée, notamment, par le fait que l'épouse employeur n'était, en réalité, que le prête-nom de son époux qui dirigeait effectivement l'entreprise.

Problème juridique

Le conjoint du chef d'entreprise qui remplit les conditions pour bénéficier de la présomption légale de salariat peut-il se voir exclu du bénéfice de cette présomption ?

Solution

1. Rejet

2. "S'il résulte de l'article L. 784-1 du Code du travail que le conjoint qui participe effectivement à l'entreprise de son époux, à titre professionnel et habituel, et qui perçoit une rémunération horaire minimale égale au salaire minimum de croissance a la qualité de salarié, ces dispositions ne sont pas applicables en cas de fraude".

3. "La cour d'appel par motifs propres et adoptés, analysant les éléments de preuve soumis au débat contradictoire, a constaté que les versements opérés par virements bancaires de Mme Capocci ne correspondaient pas aux montants de la rémunération mensuelle mentionnée sur les bulletins de paie de M. Capocci comme lui ayant été payée par chèques ; qu'elle a retenu que M. Capocci était titulaire d'un mandat pour faire fonctionner le compte professionnel de son épouse ; qu'elle a enfin relevé que Mme Capocci avait déclaré devant la juridiction consulaire avoir été le prête-nom de son époux lequel dirigeait en fait l'entreprise ; qu'ayant ainsi fait ressortir l'existence d'une fraude, elle a légalement justifié sa décision".

Commentaire

Comme le souligne la Haute juridiction, il importe peu, dans cette hypothèse, que les conditions légales (C. trav., art. L. 784-1 N° Lexbase : L5345ACX) permettant au conjoint salarié de bénéficier de la législation du travail aient été réunies et, singulièrement, que l'époux salarié ait effectivement exercé une activité et ait perçu une rémunération supérieure au Smic. Lorsqu'une fraude est constatée, les dispositions du Code du travail sont inapplicables. Le salarié licencié ne peut prétendre à aucune indemnité en cette qualité.

Cette solution, malgré son originalité, s'imposait.

1. La soumission de principe du conjoint du chef d'entreprise salarié aux dispositions du Code du travail

  • Conditions

L'article L. 784-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5345ACX) rend applicables les dispositions du Code du travail au conjoint du chef d'entreprise salarié par lui et "sous l'autorité duquel il est réputé exercer son activité dès lors qu'il participe effectivement à l'entreprise ou à l'activité de son époux à titre professionnel et habituel et qu'il perçoit une rémunération horaire minimale égale au salaire minimum de croissance".

Deux conditions ont été dégagées de cette disposition. Pour que l'époux salarié soit soumis au Code du travail, il faut, et il suffit, qu'il participe effectivement à l'activité de l'entreprise et qu'il perçoive une rémunération minimale égale au Smic (Cass. soc., 6 novembre 2001, n° 99-40.756, FP-P+B+R N° Lexbase : A0668AXZ).

La présomption légale de salariat contenue dans cette disposition n'est, toutefois, qu'une présomption simple. Toute personne qui y a intérêt est admise à faire la preuve contraire et, singulièrement, à démontrer la mauvaise foi des époux.

  • Limite

Pour cette raison, même lorsque les conditions légales permettant à l'époux de bénéficier de la législation du travail sont réunies, les juges peuvent écarter la présomption et refuser de faire application au salarié de la législation du travail. Tel est le cas lorsque le défendeur apporte la preuve d'une fraude de l'employeur et, singulièrement, établit que la relation n'est une relation salariée que par la volonté des parties. C'est l'hypothèse dont il était question dans la décision commentée.

  • Faits

En l'espèce, le conjoint du chef d'entreprise salarié a été licencié pour motif économique à la suite de la mise en redressement judiciaire de l'entreprise. Il a saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir fixer sa créance à titre de rappels de salaires, d'indemnités compensatrices de congés payés et de préavis, et de dommages et intérêts pour non-proposition d'une convention de conversion.

  • Solution de la cour d'appel

La cour d'appel l'a débouté de sa demande. Bien qu'ayant constaté la réunion, en l'espèce, des conditions légales pour que l'époux bénéficie de la présomption de salariat, elle a relevé l'existence d'une fraude de nature à justifier l'exclusion de l'époux du bénéfice de la législation sociale protectrice.

  • Solution de la Cour de cassation

La Haute juridiction confirme cette solution. Elle affirme, en effet, de manière non-équivoque, que "s'il résulte de l'article L. 784-1 du Code du travail que le conjoint qui participe effectivement à l'entreprise de son époux, à titre professionnel et habituel, et qui perçoit une rémunération horaire minimale égale au salaire minimum de croissance a la qualité de salarié, ces dispositions ne sont pas applicables en cas de fraude".

Relevant que la cour d'appel avait constaté que "l'épouse employeur avait avoué n'être que le prête-nom de son conjoint qui dirigeait en réalité l'entreprise, que les virements ne correspondaient pas aux sommes figurant sur les bulletins de salaire, et que l'époux était titulaire d'un mandat pour faire fonctionner le compte de la société", elle confirme la fraude que cette dernière avait établie.

Cette solution n'est pas surprenante et doit, en tous points, être approuvée.

2. L'exclusion logique du conjoint du chef d'entreprise salarié du bénéfice de la législation du travail

  • Objet de la présomption

Comme nous l'avons dit précédemment, la présomption de salariat contenue dans l'article L. 784-1 du Code du travail est une présomption simple. Ce caractère réfragable, permettant la contestation par la preuve de l'absence de relation salariée, a été institué dans le seul but de faire obstacle à la fraude des parties à la relation de travail. Dans cette hypothèse, toute personne qui y a intérêt peut donc démontrer que la relation n'était pas une relation salariée et que, par voie de conséquence, l'apparence de salariat n'avait que pour objet la fraude caractérisée par la soumission indue de la personne à la législation protectrice du travail. Un tel constat ne peut qu'être sanctionné. La seule sanction ne pouvait ici être que la perte de la qualification de relation salariée.

  • Sanction de la fraude

La fraude se définit comme un agissement illicite par l'emploi de moyens réguliers, ou encore comme une opération consistant à utiliser des moyens licites pour violer la loi. Elle vise un comportement subtil qui permet de profiter des imperfections de l'ordre juridique en utilisant une règle de droit afin de paralyser l'application d'une autre règle de droit. Une telle pratique est illégale et, généralement, sanctionnée. Même dans le silence du législateur, les juges disposent de moyens leur permettant de sanctionner la violation de la règle de droit.

Un principe traditionnel non-écrit permet au juge de corriger les imperfections de la loi : fraus omnia corrumpit. En vertu de ce principe, il est admis que la fraude fait exception à toutes les règles. Singulièrement, en présence d'une fraude, les juges pourront paralyser l'application de la législation fictive servant à cacher la situation effective du conjoint. C'est ce principe dont il a été fait application dans la décision commentée. C'est grâce à ce principe, en effet, que la Haute juridiction, après avoir relevé que les deux conditions pour bénéficier de la présomption de salariat étaient présentes, a pu en écarter l'application.

Cette sanction, qui n'est que la mise en application d'une règle de droit commun, nous semble également normale si l'on s'attache à l'objet de la présomption légale de salariat.

  • Conformité à l'objet de l'article L. 784-1 du Code du travail

L'article L. 784-1 du Code du travail constitue une disposition protectrice du conjoint qui participe à l'entreprise familiale. L'objet de ce texte est de lui permettre de bénéficier d'un statut social. Le contrat fictif, l'appartenance de cette personne à une autre catégorie, ou la simple tentative de fraude ne peuvent permettre à la personne concernée de bénéficier de la législation du travail, simplement parce qu'il est constaté qu'elle remplit les conditions légales pour bénéficier de la présomption de salariat.

Plus loin, il semble possible de se demander, eu égard à la décision commentée, si le statut de conjoint salarié ne constitue pas, également, un statut secondaire, applicable à défaut de toute autre qualification.

  • Un conflit de statuts

Au delà de la fraude, c'est d'un véritable conflit de statuts dont il était ici question. Il semble que, dans une telle hypothèse, la présomption de salariat doive être écartée toutes les fois que le conjoint peut voir son activité rangée sous une autre qualification. Le statut de conjoint salarié n'est donc qu'un statut secondaire, applicable lorsque l'activité de la personne ne dépend pas d'un autre statut. Le statut de salarié constitue, pourtant, le statut le plus protecteur des intérêts du conjoint. On peut alors se demander pourquoi il n'est pas retenu. Mais, ici, la fraude rend impossible l'application du principe de faveur.

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