La mesure consistant à ordonner l'occultation d'une photographie représentant un homme torturé et séquestré, qui porte une atteinte grave au sentiment d'affliction de la famille, est proportionnée au but légitime poursuivi et nécessaire, et n'emporte donc pas violation du droit à la liberté d'expression. Telle est la solution formulée par la Cour européenne des droits de l'Homme dans un arrêt de chambre du 25 février 2016 (CEDH, 25 février 2016, Req. 4683/11
N° Lexbase : A1633QDT). Les faits de l'espèce concernaient une société de presse et d'édition française, laquelle, au moment de l'affaire "Ilan Halimi" avait publié la photo du jeune homme séquestré et torturé en page de couverture d'un magazine, ainsi qu'à quatre reprises à l'intérieur. A la suite de cette publication, la mère et les soeurs du jeune homme avaient assigné en référé la société pour atteinte à leur vie privée. Le tribunal de grande instance avait condamné la société de presse à retirer, sous astreinte, le numéro du magazine litigieux et à verser des sommes à titre indemnitaires aux demanderesses (TGI Paris, 20 mai 2009, n° 09/54178
N° Lexbase : A1000IST). La cour d'appel avait confirmé la condamnation mais remplacé le retrait du numéro par l'occultation, sous astreinte, des reproductions de la photographie litigieuse dans tous les magazines mis en vente. Par un arrêt du 1er juillet 2010, la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi de la société requérante, en rappelant le droit des proches d'une personne décédée à s'opposer à la reproduction de son image (Cass. civ. 1, 1er juillet 2010, n° 09-15.479, FS-P+B+I
N° Lexbase : A5814E3Q). Invoquant la violation de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (
N° Lexbase : L4743AQQ), la société a saisi la CEDH. Dans son arrêt, si la Cour constate que l'article contribuait bien à un débat d'intérêt général, elle relève toutefois que la photographie n'avait pas vocation à être rendue public, malgré sa brève diffusion "fugitive" lors d'une émission télévisée et qu'elle a donc été publiée sans l'autorisation des proches. Elle rappelle ainsi l'importance que revêt le respect par les journalistes de leurs responsabilités et obligations déontologiques, qui doivent d'ailleurs les pousser à prendre en compte l'impact sur la famille de la publication d'une telle image. A l'instar de ce qu'elle a jugé dans un arrêt du 14 juin 2007 (CEDH, 14 juin 2007, Req. 71111/01
N° Lexbase : A8536DW3), elle considère que la souffrance ressentie par les proches devait conduire les journalistes à "
faire preuve de prudence et de précaution dès lors que le décès était survenu dans des circonstances particulièrement violentes et traumatisantes". Ainsi, en se limitant à ordonner l'occultation de la photographie, elle considère que la cour d'appel a veillé au respect de la publication dans son ensemble et conclut donc à la non violation de l'article 10.
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