La lettre juridique n°645 du 25 février 2016 : Santé publique

[Questions à...] Le droit à une sédation et les directives anticipées : principaux apports de la loi "Claeys-Léonetti" du 2 février 2016 - Questions à Valérie Depadt, Maître de conférences à l'Université Paris 13 Nord

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[Questions à...] Le droit à une sédation et les directives anticipées : principaux apports de la loi "Claeys-Léonetti" du 2 février 2016 - Questions à Valérie Depadt, Maître de conférences à l'Université Paris 13 Nord. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/29758447-questions-a-le-droit-a-une-sedation-et-les-directives-anticipees-principaux-apports-de-la-loi-claey
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par June Perot - Rédactrice en droit privé

le 25 Février 2016

La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 (N° Lexbase : L4191KYU), créant de nouveaux droit en faveur des malades et des personnes en fin de vie, a été publiée au Journal officiel du 3 février 2016. Elle vient compléter la loi "Léonetti" du 22 avril 2005 (loi n° 2005-370 N° Lexbase : L2540G8L). Si elle ne prévoit pas l'euthanasie ou le suicide assisté, elle prévoit, toutefois, dans un nouvel article L. 1110-5-2 du Code de la santé publique, la possibilité pour le patient, lorsqu'il désire éviter toute souffrance ou ne pas subir d'obstination déraisonnable, de demander une sédation profonde et continue qui provoque une altération de la conscience. Cette sédation est maintenue jusqu'au décès et associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie. Elle peut être mise en oeuvre dans deux hypothèses : lorsque le patient, atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme, présente une souffrance réfractaire aux traitements et lorsque la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d'entraîner une souffrance insupportable. Le texte prévoit que la mise en oeuvre de cet endormissement profond soit soumise à la procédure collégiale, ce qui permettra de vérifier que les conditions sont bien réunies. Par ailleurs, la loi modifie l'article L. 1111-11 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9885G8M) relatif aux directives anticipées, posant ainsi un cadre plus clair. Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Valérie Depadt, Maître de conférences à l'Université Paris 13 Nord, spécialisée en droit de la santé et bioéthique, qui nous apporté son éclairage sur ce sujet. Lexbase : Le législateur, pour envisager la loi "Claeys-Léonetti" du 2 février 2016, est notamment parti du constat de l'échec de la loi "Léonetti" de 2005. Quelle a été la genèse de cette nouvelle loi et quelles étaient les lacunes de la loi de 2005 ?

Valérie Depadt : La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades (N° Lexbase : L1457AXA), aborde la question de la fin de vie en termes de participation du malade à toute décision concernant sa santé. Ainsi, elle dispose que "le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix", tout en précisant que "si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables".

Cependant, ces mesures sont apparues insuffisantes face à la gravité des situations dans lesquelles les médecins et les proches des personnes demandant qu'il soit mis fin à leurs souffrances, au prix de leurs vies, se trouvaient confrontés.

Le débat sur la nécessité de légiférer avait commencé depuis plusieurs années lorsque le cas de Vincent Humbert, décédé le 26 septembre 2003, contribua largement au vote d'une loi spécifique à la fin de vie. Dans cette affaire, largement médiatisée, un médecin avait administré une substance mortelle à un jeune tétraplégique, agissant sur la demande de la mère de ce dernier, qui lui-même avait écrit au Président de la République pour lui demander qu'un médecin soit autorisé à mettre fin à ses jours.

Quelques mois plus tard, une mission d'information sur l'accompagnement de la fin de vie, présidée par le député Jean Léonetti, fut mise en place. Elle déposa en juin 2004 un rapport d'information et une proposition de loi.

La loi relative aux droits des malades et à la fin de la vie, promulguée le 22 avril 2005 (N° Lexbase : L2540G8L), traduit la réponse du législateur français de l'époque à la question de la prise en charge de la fin de vie et, précisément, de l'acte létal. Refusant tant l'euthanasie que le suicide assisté, la France "a opté pour un encadrement de bonnes pratiques médicales et a pris le parti de faire prévaloir l'expression des solidarités collectives sur une vision individualiste de la personne humaine"(1).

La loi de 2005, sans d'aucune façon dépénaliser l'euthanasie, définit les droits de la personne malade en fin de vie. En ce qu'elle attache une importance cruciale à la volonté de la personne, elle distingue diverses situations liées à l'état des patients, notamment selon qu'ils sont ou non en état de manifester leur volonté.

Son insertion dans le Code de la santé publique a conduit à la création d'une section, intitulée "Expression de la volonté des malades en fin de vie".

Le 14 décembre 2006, les dispositions fixées dans ce texte furent transposées dans le Code de déontologie médicale, aux articles 36 (C. santé. pub., art. R. 4127-36 N° Lexbase : L8714GTW), 37 (C. santé. pub., art. R. 4127-37 N° Lexbase : L5241IG9) et 38 (C. santé. pub., art. R. 4127-38 N° Lexbase : L8319GTB). Le premier oblige le médecin à respecter le refus de soins exprimé par le malade, le deuxième exclut l'obstination déraisonnable et le troisième prohibe le fait de provoquer délibérément la mort.

La loi, qui traduit "une recherche d'équilibre entre la protection de la vie et la demande des malades à mourir sans souffrir"(2), envisage la fin de vie au travers de la condamnation de l'obstination déraisonnable, de la possibilité d'arrêt des traitements et de l'administration de traitements antalgiques susceptibles d'entraîner la mort. Elle fait oeuvre de pédagogie à deux titres. Tout d'abord, elle réaffirme les droits des patients tels qu'ils figurent dans la loi de 2002, mais elle enrichit l'arsenal existant de certaines mesures dictées par les impératifs de participation du patient à la décision médicale, donc d'information et de consentement, ainsi que de transparence de la procédure. Ensuite, elle procède à la codification des bonnes pratiques médicales.

L'article L. 1110-5 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4249KYZ), dans ses dispositions issues de la loi du 4 mars 2002, reconnaît à toute personne "compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées". A la suite de cet alinéa, il en est ajouté un second, marquant clairement la condamnation de l'obstination déraisonnable, par la référence aux trois critères de l'inutilité, de la disproportion et du seul maintien artificiel de la vie comme raison d'être de la poursuite des soins. De fait, il s'y trouve énoncé que "ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10 (N° Lexbase : L4543DLT)".

L'article précité, dans son dernier alinéa, également issu de la loi du 22 avril 2005, consacre ce qu'on appelle la théorie du double effet. Il en ressort que "si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade [...] la personne de confiance [...], la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical". Cette disposition trouve sa justification dans la volonté de soulager les douleurs du patient, en aucune façon de permettre un acte destiné à abréger la vie. C'est pourquoi elle ne doit pas être comprise comme la traduction d'un droit à l'euthanasie, qu'il s'agisse d'euthanasie indirecte ou passive.

La loi du 22 avril 2005 vise également le développement des soins palliatifs, défini par l'article L. 1110-10 du Code de la santé publique comme "des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile". Le texte définit ensuite leur objectif, en énonçant qu'"ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage".

Malgré les avancées réalisées en matière de soins palliatifs, ceux-ci restent insuffisamment développés en France. A la suite d'un rapport parlementaire consacré à cette question, publié en 2008, le Conseil d'Etat a souligné "combien la législation en vigueur sur les soins palliatifs et la prise en charge de la douleur est encore insuffisamment appliquée dans notre pays".

Le rapport a mis l'accent également sur le manque de formation des médecins (3), de même que la méconnaissance par le corps médical des dispositions de la loi de 2005, dont témoigne certainement l'utilisation des soins palliatifs. Effectivement, la médecine palliative prend le relais de la médecine curative lorsque celle-ci constate son impuissance, alors qu'il serait souhaitable que ces soins interviennent en début de traitement, dès qu'ils apparaissent nécessaires.

Prenant acte de ces critiques, le chef de l'Etat, en 2012, confia au Professeur Sicard la présidence d'une commission chargée d'évaluer la loi de 2005, dans le cadre d'une réflexion sur la fin de vie. Le rapport de cette commission, publié en décembre 2012, plaide essentiellement pour une application effective de la loi de 2005, un renforcement des directives anticipées et le développement de l'enseignement des soins palliatifs.

De son côté, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), dans un avis rendu public le 28 juin 2013 (Avis CCNE n° 121, 13 juin 2013 N° Lexbase : X3174AMI), appelait de ses voeux la nécessité de rendre accessible à tous le droit aux soins palliatifs, ainsi que la mise en oeuvre de directives anticipées contraignantes pour les soignants. La majorité de ses membres recommandait de ne pas légaliser l'assistance au suicide et/ou l'euthanasie, mais le comité se déclarait favorable à un droit de la personne en fin de vie à une sédation profonde jusqu'au décès si elle en fait la demande, lorsque les traitements ont été interrompus. Le 14 décembre 2013, une conférence des citoyens instituée à l'initiative du Comité consultatif national d'éthique avait défendu l'idée d'une exception d'euthanasie, appréciée dans des cas particuliers par des commissions locales. Antérieurement, le 8 février 2013, le Conseil national de l'Ordre des médecins avait milité pour l'introduction d'un droit à la sédation terminale dans des situations exceptionnelles.

C'est ainsi que le 20 juin 2014, le Premier ministre confia aux députés Alain Claeys et Jean Léonetti la mission de revoir la loi du 22 avril 2005.

Le 21 octobre 2014, le CCNE publia un rapport rendant compte du débat public initié depuis deux ans (Rapport CCNE). Dressant un constat sévère sur la situation réelle des personnes en fin de vie, il adhérait aux propositions en faveur du caractère contraignant des directives anticipées et d'une sédation profonde jusqu'au décès, mais aussi, il ouvrait une réflexion sur la délibération et la décision collective relatives aux arrêts de traitement.

C'est dans ce contexte que fut élaborée la loi du 2 février 2016 (N° Lexbase : L4191KYU), créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, loi résolument tournée vers les droits des malades. Le texte de la loi reconnaît donc un droit à la sédation profonde et continue pour accompagner l'arrêt de traitement, mais également, dans certaines conditions, lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté. La loi a également modifié le statut des directives anticipées.

Lexbase : Pouvez-nous nous exposer les modalités du nouveau "droit à une sédation" instauré par l'article L. 1110-5-2 du Code de la santé publique ?

Valérie Depadt : Il convient tout d'abord de préciser que la pratique de la sédation existe déjà, notamment dans certains services de soins palliatifs ou des services hospitaliers spécialisés dans les maladies graves. Mais cette pratique est loin d'être générale et homogène. Le nouvel article L. 1110-5-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4209KYK) encadre cette pratique qui doit répondre à la demande de la personne atteinte d'une maladie grave et incurable. Désormais, le patient qui souhaite éviter toute souffrance et ne pas subir d'obstination déraisonnable, peut demander à bénéficier d'une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie.

Cette possibilité d'une sédation continue jusqu'au décès devrait permettre de mettre fin à la pratique consistant à réveiller le patient pour lui demander de réitérer son choix. L'article prévoit deux hypothèses dans lesquelles cette sédation peut être mise en oeuvre : lorsque le patient atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ; lorsque la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d'entraîner une souffrance insupportable. Le législateur a entendu insister sur l'obligation de coordonner cette sédation avec un arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie. En effet, les praticiens ont considéré que ne pas associer ces deux actes médicaux serait incohérent, les effets de l'un contrariant les effets de l'autre. Il s'agit donc, en pratique, d'arrêter tout traitement thérapeutique : techniques invasives de réanimation, traitements antibiotiques ou anticoagulants mais, également, traitements dits "de survie", parmi lesquels la nutrition et l'hydratation artificielles.

L'alinéa 2 de l'article L. 1110-5-2 envisage l'hypothèse dans laquelle le patient n'est pas en mesure d'exprimer sa volonté. A cet égard, c'est au titre du principe du refus de l'obstination déraisonnable, posé par l'article L. 1110-5-1 (N° Lexbase : L4208KYI), que le médecin a l'obligation d'appliquer une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie. Dans tous les cas, cette sédation ne peut être mise en oeuvre qu'après avoir respecté la procédure collégiale qui permet à l'équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d'application sont remplies. Si ces conditions sont réunies et que la décision d'arrêter le traitement de survie d'un patient hors d'état de s'exprimer est prise, il est reconnu à ce dernier le droit à une sédation profonde et continue.

Lexbase : Si on comprend bien que l'intérêt de la sédation est d'accompagner au mieux le malade et d'éviter toute souffrance, pour autant, la frontière entre la sédation dans le but d'apaiser, avec pour conséquence la mort, et la sédation euthanasique aux fins de la mort existe-t-elle vraiment ?

Valérie Depadt : La sédation, telle qu'instaurée par la loi du 2 février 2016, est un moyen de lutter contre la douleur, physique et psychique, de la personne en fin de vie. Elle entraîne l'altération de la conscience jusqu'au décès, la posologie administrée rendant impossible l'éveil du patient.

Le rapport de la commission "Sicard" de 2012, "penser solidairement la fin de vie" (Rapport Sicard) avait suggéré, pour sa part, la décision d'un "geste létal" ou d'un "geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de la mort". L'Ordre des médecins, de son côté, a pris position dans les débats et préconisé une "sédation adaptée, profonde et terminale", accompagnée d'une clause de conscience à la disposition des médecins. La sédation en question n'est donc, en aucun cas, une sédation létale puisqu'elle ne provoque pas le décès, elle est un soin, un geste accompli par le médecin pour soulager le patient. L'intention qui précède et accompagne le geste n'est pas de mettre fin à la vie, mais de soulager les souffrances dans des cas où soit l'avancement de la maladie, soit la décision de cesser les traitements thérapeutiques rend la fin de la vie proche, en d'autres termes, ceux employés par le législateur, "lorsque le pronostic vital est engagé à court terme".

Ainsi, la frontière entre l'euthanasie volontaire et la sédation profonde peut sembler ténue mais, pour autant, elle existe bel et bien.

Lexbase : Les directives anticipées existaient déjà dans la loi de 2005. Quel est l'apport de la loi de 2016 les concernant ?

Valérie Depadt : La possibilité de rédiger des directives anticipées a été introduite dans la loi du 22 avril 2005 et figurait déjà à l'article L. 1111-11 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4253KY8). L'article prévoyait que "toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté". Ces directives indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie, concernant les conditions de la limitation ou de l'arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment. Deux décrets du 6 février 2006 (décret n° 2006-119 N° Lexbase : L6130HG7 et décret n° 2006-120 N° Lexbase : L6131HG8) étaient venus définir, pour le premier, les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées par lesquelles toute personne peut indiquer ses souhaits relatifs à sa fin de vie et, pour le second, les modalités de mise en oeuvre de la procédure collégiale préalable à toute décision de limitation ou d'arrêt de traitement. Cette procédure prévoit que le médecin doit se réunir avec l'équipe de soins et inviter un médecin consultant extérieur avant toute prise de décision.

La volonté du législateur de 2005 d'instaurer un dialogue entre le corps médical et les proches de la personne malade prend tout son sens lorsque cette dernière est en état d'inconscience. Lorsque la limitation ou l'arrêt de traitement est susceptible de mettre en danger la vie d'une personne inconsciente, la loi "Léonetti" de 2005 imposait au médecin de respecter la procédure collégiale telle que définie à l'article 37 du Code de déontologie médicale, ainsi que, le cas échéant, de consulter la personne de confiance. A défaut d'une personne de confiance, le médecin était tenu de consulter les proches et, si elles avaient été rédigées, les directives anticipées de la personne.

Les directives anticipées n'étaient qu'une des données de la décision du médecin, elles ne s'imposaient pas à lui.

De plus, l'examen de l'application de ce dispositif a démontré qu'elles étaient d'une part méconnues, tant du corps médical que de la population, d'autre part difficiles d'accès, notamment en cas d'urgence. En pratique, ces directives anticipées n'ont été rédigées que par un nombre infime de personnes en fin de vie (seulement 2,5 % en 2012 et 36 % jugeait cela inutile).

Dès lors, le législateur a entendu renforcer le rôle de ces directives. La loi du 2 février 2016 leur a donc conféré un nouveau régime et davantage de force contraignante. A cet égard, l'article L. 1111-11 du Code de la santé publique dispose désormais que "les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement". Elles sont révisables et révocables à tout moment et sans limitation de durée. Sur la forme, elles peuvent être rédigées conformément à un modèle dont le contenu sera fixé ultérieurement par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Haute autorité de santé.

Le principe de leur opposition au médecin connaît cependant certaines limites, "en cas d'urgence pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation" ou lorsqu'elles "apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale". La décision de refus d'application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches.

Concernant la conservation de ces directives, la loi a prévu de définir, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les conditions d'information des patients et les conditions de validité, de confidentialité et de conservation. Elles seront notamment conservées sur un registre national et un rappel de leur existence sera régulièrement adressé à leur auteur. Le recours à ces directives devrait vraisemblablement se démocratiser dans la mesure où le médecin traitant doit informer ses patients de la possibilité et des conditions de leur rédaction.

Lexbase : Que se passe-il dans l'hypothèse où aucune directive anticipée n'a été rédigée ?

Valérie Depadt : En l'absence de directives anticipées, lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable est hors d'état de manifester sa volonté, le médecin a l'obligation de s'enquérir de la volonté de cette personne. Pour ce faire, il recueille le témoignage de la personne de confiance ou, si elle n'a pas été désignée, de tout autre témoignage de la famille ou des proches.

En effet, la loi du 4 mars 2002 a permis à toute personne de désigner une personne de confiance, qui sera consultée sur la décision à prendre au cas où elle-même serait hors d'état de décider par elle-même (C. santé. pub., art. L. 1111-6 N° Lexbase : L4254KY9). Cette personne peut être un parent, un proche ou le médecin traitant. Il faut bien comprendre que la personne de confiance porte la parole du patient, en aucun cas elle ne substitue sa volonté à celle du patient.

Près de quinze ans après la loi qui l'a instituée, la désignation d'une personne de confiance reste une démarche à laquelle il est rarement recouru dans la mesure où, au même titre que les directives anticipées, elle est méconnue du public. La loi du 2 février 2016 tend à généraliser la désignation d'une personne de confiance, en précisant son rôle dans le sens d'un renforcement de ses pouvoirs au travers de l'article L. 1111-6 nouveau "elle [la personne désignée] rend compte de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage".

Dans le cas particulier où aucune directive anticipée n'a été rédigée et aucune personne de confiance désignée, le médecin doit se tourner vers la famille ou les proches afin de s'enquérir de la volonté de la personne. Il est souhaitable que ce type de situations devienne exceptionnel, l'affaire "Lambert" ayant tristement démontré les problèmes que peuvent entraîner ce type de témoignages entre les membres de la famille.

Lexbase : Cette loi aura-elle un impact sur les cas similaires à celui de Vincent Lambert ?

Valérie Depadt : Dans le cas de Vincent Lambert, le temps des mesures anticipatives comme la rédaction des directives anticipées ou la désignation d'une personne de confiance est dépassé.

Pour autant, Vincent Lambert n'est pas en fin de vie. Son pronostic vital n'est pas engagé à court terme dès lors que les traitements qui le maintiennent en vie sont poursuivis.

Il reste la question de l'arrêt des traitements, associé à une sédation profonde. Or, la loi de 2005 traite cette question et sur ce point, la loi de 2016 ne fait que reprendre ses dispositions en réservant cette décision au médecin, à l'issue d'une décision collégiale, dans le cas d'une obstination déraisonnable. La notion d'obstination déraisonnable reste définie par les trois critères de l'inutilité, de la disproportion ou du seul maintien artificiel de la vie.

Dans la mesure où, au terme d'une procédure collégiale déjà deux fois suivie, sa situation est appréciée comme relevant d'une obstination déraisonnable, il pourrait être décidé d'arrêter les traitements qui maintiennent Vincent Lambert en vie, y compris l'alimentation et l'hydratation artificielle. Celui-ci bénéficierait alors du droit à une sédation profonde et continue.


(1) Yves-Marie Doublet, Fin de vie, éthique et législation, in Fin de vie, éthique et société, sous la direction d'Emmanuel Hirsch, Erès 2012, p. 559.
(2) Médecins, Septembre-octobre 2011, numéro spécial Droits des patients, p. 18.
(3) On estimait, en 2005, que 80 % des médecins n'avaient bénéficié d'aucune formation à la simple prise en charge de la douleur et que 63 % n'avaient jamais reçu de formation sur la limitation de traitements.

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