Lexbase Affaires n°445 du 26 novembre 2015 : Concurrence

[Chronique] Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Novembre 2015

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par Pauline Le More, Avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat

le 26 Novembre 2015

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat. L'auteur commente, tout d'abord, un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 20 octobre 2015 ayant trait à la spécialisation des juridictions en matière de contentieux de la rupture brutale des relations commerciales (Cass., com., 20 octobre 2015, n° 14-15.851, FS-P+B). Elle met ensuite en exergue la décision du Conseil constitutionnel en date du 14 octobre 2015 relative à la question prioritaire de constitutionnalité portant principalement sur le montant des sanctions pécuniaires imposées par l'Autorité de la concurrence aux entreprises en matière de pratiques anticoncurrentielles (Cons. constit., décision n° 2015-489 QPC, 14 octobre 2015.). Elle relaie, enfin, la consultation publique lancée le 4 novembre 2015 par la Commission européenne sur l'efficacité de l'application des règles européenne de concurrence par les autorités nationales de concurrence (Commission européenne, communiqué de presse, IP/15/5998 du 4 novembre 2015).
  • Contentieux de la rupture brutale des relations commerciales et compétence exclusive de la cour d'appel de Paris (Cass. com., 20 octobre 2015, n° 14-15.851, FS-P+B N° Lexbase : A0196NUS)

Le contentieux de la rupture brutale des relations commerciales, résultant de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L1769KGM), n'en finit pas de soulever des questions de compétence territoriale, encore appelée rationae loci.

Il y a quelques mois, en effet, la cour d'appel de Paris posait des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne sur la question de la nature de l'action indemnitaire pour rupture brutale des relations commerciales (CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 7 avril 2015, n° 14/17985 N° Lexbase : A1326NG9 ; K. Beltz, JCP éd. G n° 18, 4 mai 2015, actualité 527). Selon qu'elle est de nature délictuelle ou contractuelle en effet, l'application de l'article 5 § 3 du Règlement n° 44/2001 (N° Lexbase : L7541A8S), identique à celui de l'article 7 § 2 du Règlement n° 1215/2012 (N° Lexbase : L9189IUU) après sa refonte, peut désigner compétentes des juridictions différentes au sein de l'Union européenne.

Dans l'ordre interne, la spécialisation des juridictions, amenées à statuer sur le contentieux de l'article L. 442-6 du Code de commerce, est prévue aux articles D. 442-3 (N° Lexbase : L9159IEX pour les juridictions commerciales) et D. 442-4 (N° Lexbase : L9181IER pour les tribunaux de grande instance) du Code de commerce, lesquels confèrent une compétence exclusive à la cour d'appel de Paris pour le recours contre les décisions rendues par ces juridictions. Une telle spécialisation, gage en principe d'efficacité, ne simplifie pas en pratique le contentieux, comme en témoigne le présent arrêt.

En l'espèce, la société R. assignait la société G. pour rupture sans motif légitime du contrat de gérance-mandat conclu entre les parties, et subsidiairement pour rupture brutale des relations commerciales sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce devant le tribunal de commerce de Lille malgré la clause attributive de juridiction au profit du tribunal de commerce d'Agen stipulée dans le contrat. La société G. formait un contredit transmis à la cour d'appel de Douai contre la décision des juges commerciaux lillois se déclarant compétents.

Par un attendu de principe cinglant au visa de l'article 125 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1421H4E) et des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce, la Cour de cassation casse sans renvoi l'arrêt de la cour d'appel de Douai rejetant le contredit. Ce faisant, elle rappelle que : "en statuant ainsi, sans relever la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation de la règle d'ordre public investissant la cour d'appel de Paris du pouvoir juridictionnel exclusif de statuer sur les contredits formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Autrement dit, la cour d'appel saisie doit relever d'office son incompétence et l'irrecevabilité de l'appel dans la mesure où le juge a l'obligation de relever d'office les fins de non-recevoir "lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public" en application de l'article 125, alinéa 1er, du Code de procédure civile, fût-ce l'article L. 442-6, I, 5° être invoqué à titre subsidiaire.

Cet arrêt s'inscrit dans la droite ligne d'une jurisprudence à présent établie. La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion d'indiquer que l'inobservation des dispositions des articles L. 442-6, II alinéa 5, et D. 442-3 du Code de commerce est sanctionnée par une fin de non-recevoir (Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-21.089, F-P+B N° Lexbase : A9414KLA, Bull. civ. IV, n° 138, Cont. conc. consom., 2013, comm. 267, N. Mathey ; Cass. com., 7 octobre 2014, n° 13-21.086, , FS-P+B N° Lexbase : A2088MYY, Bull. civ. IV, n° 143, nos obs. in Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Octobre 2014 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 399 du 23 octobre 2014 - édition affaires N° Lexbase : N4302BUU). Le relevé d'office pour incompétence était formulé dans un attendu de principe identique à celui du présent arrêt dans la décision du 31 mars 2015 de la Cour de cassation (Cass. com. 31 mars 2015, n°14-10.016, F-P+B N° Lexbase : A0915NGY, Cont. conc. consom., 2015, comm. 144, N. Mathey).

  • Constitutionnalité de la saisine d'office du Conseil de la concurrence et des sanctions pécuniaires prononcées par l'autorité de concurrence (Cons. constit., décision n° 2015-489 QPC, 14 octobre 2015 N° Lexbase : A1932NTQ )

Par décision du 14 octobre 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l'article L. 462-5 (N° Lexbase : L6628AIC), relatif à la saisine d'office de certaines pratiques anticoncurrentielles, et l'article L. 464-2, alinéa 4, deuxième et troisième phrase (N° Lexbase : L5682G49), du Code de commerce, relatif au plafond de 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes des sanctions pécuniaires infligées par le Conseil de la concurrence.

Dans le cadre de l'entente dite "des farines", deux des sociétés condamnées par le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 12-D-09 du 13 mars 2012 (Aut. conc., décision n° 12-D-09, 13 mars 2012 N° Lexbase : X1850AKQ), réformée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 novembre 2014 (CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 20 novembre 2014, n° 2012/06826 N° Lexbase : A8380M3R), les sociétés Grands Moulins de Strasbourg et Axiane meunerie ont obtenu le renvoi par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité (Cass. QPC, 9 juillet 2015, n° 14-29.354, FS-D N° Lexbase : A7549NMK).

S'agissant de la possibilité de se saisir d'office figurant dans l'article L. 462-5 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 (N° Lexbase : L2955AIB), le Conseil constitutionnel estime que l'autorité, dans "sa mission de contrôle du bon fonctionnement des marchés n'a ni pour objet ni pour effet d'imputer une pratique à une entreprise déterminée". Elle ne préjuge donc pas de "la réalité des pratiques susceptibles de donner lieu au prononcé de sanctions". La séparation des fonctions de poursuite et d'instruction, d'une part, et les pouvoirs de sanctions, d'autre part, est assurée par les rôles respectifs et distincts du rapporteur général, qui assure seul après la saisine la direction de l'instruction, et du collège du Conseil de la concurrence ayant compétence pour examiner les griefs éventuels et les sanctionner, le cas échéant. Elle est également illustrée par l'absence du rapporteur général et du rapporteur au délibéré. Aucune atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité résultant de l'article 16 de la DDHC de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D) n'est donc établie. En matière de contrôle des concentrations, le Conseil constitutionnel avait déjà validé l'organisation de l'Autorité de la concurrence pour contrôler les opérations et les sanctionner, le cas échéant (Cons. const., décision n° 2012-280 QPC, 12 octobre 2012 N° Lexbase : A2619IUK, V. Téchené, L'organisation et le pouvoir de sanction de l'Autorité de la concurrence face aux impératifs de la liberté d'entreprendre, d'indépendance et d'impartialité, Lexbase Hebdo n° 313 du 18 octobre 2012 - édition affaires N° Lexbase : N3971BTA).

S'agissant du plafond de la sanction pécuniaire, prévue à l'article L. 464-2 du Code de commerce, le Conseil constitutionnel note qu'"en instituant une sanction pécuniaire destinée à réprimer les pratiques anticoncurrentielles mises en oeuvre par des entreprises, le législateur a poursuivi l'objectif de préservation de l'ordre public économique". L'effet dissuasif de la sanction est reconnu, sans que soient méconnus les principes de nécessité et de proportionnalité des peines. Il en va de même de la prise en compte pour calculer le maximum de la sanction encourue du chiffre d'affaires figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante. Il s'agit, comme le mentionnent les travaux préparatoires de la loi "NRE" du 15 mai 2001 (loi n° 2001-420 N° Lexbase : L8295ASZ, de "prévenir des stratégies consistant à réduire, par des restructurations du capital des sociétés, le chiffre d'affaires des entreprises se livrant à des pratiques anticoncurrentielles afin de minorer le maximum de la sanction susceptible d'être prononcée". La marge de manoeuvre laissée à l'autorité administrative indépendante pour fixer, sous le contrôle du juge, le montant de la sanction pécuniaire dans la limite du plafond, objet de la question prioritaire de constitutionnalité, permet d'individualiser la peine. Sont prises en compte la gravité des faits reprochés, l'importance du dommage causé à l'économie, ainsi que la situation de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel elle appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées.

La procédure devant la Cour de cassation peut donc reprendre après ces clarifications constitutionnelles.

  • Consultation publique de la Commission européenne sur l'efficacité des autorités nationales de la concurrence pour appliquer les règles européennes de concurrence (Commission européenne, communiqué de presse, IP/15/5998 du 4 novembre 2015)

Le 4 novembre 2015, la Commission européenne a lancé une consultation publique intitulée "Habiliter les autorités nationales de concurrence à appliquer les règles européennes de concurrence plus efficacement", afin de recueillir les avis des parties intéressées, et en particulier du grand public et des petites et moyennes entreprises (PME), sur les actions législatives potentielles de l'Union européenne visant à renforcer les outils de mise en oeuvre des règles de concurrence et de sanction dont disposent les autorités nationales de concurrence. Comment s'assurer que les autorités nationales de concurrence sont en mesure de remplir leurs fonctions de manière indépendante quand elles appliquent les règles européennes de concurrence (et -espérons-le- françaises !) et qu'elles disposent des ressources financières et humaines nécessaires pour effectuer ces missions ?

Dans la ligne de mire de la Commission européenne, DG concurrence, et plus précisément de l'Unité A4 Réseau Européen de Concurrence et Actions privées, figurent notamment :
- la recherche d'outils (plus ?) adéquats pour détecter et poursuivre les infractions ;
- le renforcement des programmes de clémence, qui, en encourageant les entreprises à présenter des preuves d'ententes illégales, permettent aux autorités de prendre connaissance des violations des règles de concurrence nationale et communautaire.

Cette initiative s'inscrit dans le contexte du bilan tiré par la Commission européenne sur le Règlement n° 1/2003 du 16 décembre 2012 (N° Lexbase : L9655A84), qui a confié aux autorités nationales de concurrence un rôle primordial pour appliquer et faire appliquer les règles de concurrence européenne dans l'Union européenne. Dans ce cadre, la communication de la Commission de 2014 sur les dix ans de mise en oeuvre du Règlement n° 1/2003 (COM(2014) 453, final du 9 juillet 2014) avait identifié "plusieurs domaines d'action concrets pour stimuler les pouvoirs des autorités nationales de concurrence en matière de mise en oeuvre des règles de concurrence et remédier aux différences entre les systèmes nationaux".

Les parties intéressées ont la possibilité d'interpeller la Commission européenne jusqu'au 12 février 2016 avant que celle-ci prenne les "mesures supplémentaires" et apprécie l'ampleur des réformes à initier. A la Directive "actions privées" (Directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l'Union européenne N° Lexbase : L9861I4Y, sur laquelle voir, nos obs. in Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Janvier 2015 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 408 du 15 janvier 2015 N° Lexbase : N5513BUQ) succèdera-t-il une Directive "actions publiques" ? L'avenir nous le dira.

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