Constitue une violation de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (
N° Lexbase : L4743AQQ), le fait de condamner pénalement une personne qui a exprimé publiquement son opinion sur l'existence du génocide Arménien, offensant ainsi la communauté en question, sans établir la nécessité d'une telle condamnation. Telle est la solution rapportée par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme dans un arrêt du 15 octobre 2015 (CEDH, 15 octobre 2015, Req. 27510/08
N° Lexbase : A2687NTP). En l'espèce, un homme politique turc, M. P., avait publiquement exprimé en Suisse, lors de plusieurs conférences de presse, l'opinion selon laquelle les déportations massives et massacres subis par les Arméniens au sein de l'Empire Ottoman en 1915 et les années suivantes ne constituaient pas un génocide. Une association porta plainte contre M. P., et un jugement du tribunal de police le reconnu coupable au motif que ses intentions apparaissaient être racistes et nationalistes et que ses propos ne contribuaient à aucun débat historique. M. P. interjeta appel et la cour de cassation pénale suisse le débouta, ainsi que le tribunal fédéral. M. P. porta l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme laquelle, dans un arrêt de 2013 (CEDH, 17 décembre 2013, Req. 27510/08
N° Lexbase : A3960KR4) a conclu à la violation de l'article 10. Le Gouvernement suisse a toutefois demandé le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre. Rappelant qu'elle n'est pas compétente pour se prononcer sur la qualification de génocide des massacres et déportations massives subis par le peuple arménien en 1915, la Cour procède à une analyse du degré d'ingérence opérée par l'Etat suisse pour sanctionner les propos tenus par M. P. sans remettre en question le critère de "but légitime poursuivi" par celle-ci. Cependant, concernant le caractère "nécessaire dans une société démocratique" de l'ingérence, la Cour estime, en faisant référence à l'Holocauste, que pour apprécier la violation de l'article 10, il faut se placer du point de vue de l'Etat visé, en l'espèce la Turquie, pour en conclure que la condamnation pénale de M. P. ne pouvait se justifier. Elle se réfère également au large éventail existant en matière de répression de la négation pour conclure que la condamnation par la Suisse était extrême, d'autant qu'aucun traité n'impose à la Suisse de criminaliser la négation. Cet arrêt revêt de l'importance dans la mesure où une QPC a été renvoyée récemment sur la constitutionnalité de la loi adoptée en 1990 (
N° Lexbase : L3324IKC) pour réprimer la contestation des crimes contre l'Humanité (Cass. crim., 6 octobre 2015, n° 15-84.335
N° Lexbase : A7263NSS). A suivre donc car la loi française n'opère pas, actuellement, de distinction entre les différents crimes contre l'Humanité, à l'instar de la CEDH.
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