Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 6 mai 2015, n° 368173, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5825NH9)
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par Franck Llinas, Avocat associé, Arsene Taxand
le 18 Juin 2015
Cette forme de société est couramment utilisée par les sociétés dans la promotion immobilière car elle présente de nombreux avantages économiques, pratiques, juridiques et fiscaux. Elle permet, notamment, de cantonner un programme immobilier dans une structure juridique dédiée tout en apportant la garantie des associés (dont la responsabilité doit être illimitée) aux différents créanciers de la société. En fiscalité, il présente l'avantage pour la société tête de groupe (le promoteur immobilier) de consolider les résultats de toutes ses SCCV (sans condition de détention minimum du capital social dans les structures contrairement à un régime d'intégration fiscale qui nécessiterait une participation d'au moins 95 %, empêchant ainsi toute opération de co-promotion immobilière entre deux ou plusieurs promoteurs). C'est donc un véhicule populaire chez les promoteurs organisés en société.
Pour les particuliers, l'association, dans ce type de structure, est plus rare en raison du caractère illimité de la responsabilité. En effet, et contrairement aux premiers, la responsabilité ne peut pas être limitée à un capital défini. Si l'associé est une société dont la responsabilité est limitée, le risque de perte sera limité au capital investi dans la société holding. A l'inverse, si le particulier investit directement dans la SCCV, l'intégralité de son patrimoine professionnel et personnel pourra être appelée en garantie en cas d'infortune du projet immobilier.
L'arrêt commenté porte sur le cas de personnes physiques associées d'une SCCV. Preuve s'il en fallait que certains ont le goût d'entreprendre.
D'un point de vue fiscal, il s'agit d'un véhicule qui comporte la particularité d'être une société civile avec un objet commercial. La commercialité de l'activité n'entraine toutefois pas une requalification en société commerciale soumise par conséquent à l'impôt sur les sociétés.
Il s'agit donc d'un régime fiscal dérogatoire ; dès lors que la société opte expressément pour ce régime et en respecte les conditions, elle demeure translucide au sens fiscal du terme, c'est-à-dire que l'imposition n'est pas établie au niveau de la société mais au niveau de chacun de ses associés. En principe, les revenus sont imposés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (soumis au barème progressif de l'impôt sur les revenus ainsi que les prélèvements sociaux s'agissant des associés personnes physiques et à l'impôt sur les sociétés s'agissant des associés personnes morales). En somme, le traitement fiscal est comparable à celui réservé aux associés de sociétés en nom commercial (SNC).
Outre la condition que cette société ne soit pas constituée sous la forme de société par actions ou à responsabilité limitée et que les statuts prévoient la responsabilité indéfinie des associés en qui concerne le passif social, la société civile doit avoir pour objet dans ses statuts la construction d'immeubles en vue de la vente.
La réalisation de cet objet peut être accomplie soit directement par la société, soit par l'entremise de sociétés dotées de la "transparence" fiscale (1), les sociétés civiles d'attribution et sociétés en participation principalement.
Cet objet n'est pas exclusif. Ainsi, la réalisation conjointe d'une activité purement civile comme la location d'immeuble nu, n'est pas de nature à priver la société de sa translucidité fiscale.
En revanche, la réalisation d'une autre activité de nature industrielle ou commerciale d'un point de vue fiscal, entraînerait de facto l'assujettissement de la société à l'impôt sur les sociétés, perdant ainsi le bénéfice des avantages fiscaux mentionnés ci-avant. A noter, à cet égard, que la tolérance selon laquelle les sociétés civiles qui réaliseraient des recettes commerciales accessoires pour moins de 10 % du montant de leurs recettes totales hors taxe, ne seraient pas assujetties à l'impôt sur les sociétés, ne s'applique pas au cas d'espèce (2). Donc attention, tolérance zéro !
Seule la construction en vue de la vente bénéficie de la dérogation au non assujettissement à l'impôt sur les sociétés de l'article 206-2 du CGI (N° Lexbase : L7768I89) conformément aux dispositions de l'article 239 ter du même code (N° Lexbase : L4961HLC).
Il a été ainsi jugé (3) que la revente par lots, après transformation en vue de sa division, d'un immeuble acquis par une société civile après modification de ses statuts, entraînait l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés de l'ensemble des activités de la société, y compris celles qui seraient strictement liées à la construction en vue de la vente. Toutefois, si les travaux de transformation ou d'aménagement peuvent être assimilés à des opérations de construction, la réalisation de ces travaux, en vue de la vente, ne remettra pas en cause la translucidité fiscale de la SCCV.
L'administration fiscale admet, en effet, dans sa doctrine (4) que "ces opérations sont assimilées aux opérations de construction proprement dites dès l'instant qu'elles ont nécessité l'obtention d'un permis de construire. Toutefois, le service demeure en droit, même dans ce cas, de démontrer que les travaux ainsi effectués n'ont pas eu une importance telle qu'ils équivaudraient à des travaux de construction. Cette équivalence est réputée certaine lorsque les travaux effectués au sein d'un même bâtiment (chaque bâtiment étant considéré isolément) aboutissent à la reconstruction quasi-totale des structures intérieures de l'immeuble. [...] En revanche, les travaux aboutissant à une restructuration partielle de l'immeuble (déplacement de cloisons, création de salles d'eau ou d'équipements sanitaires, etc.) sans modification de la structure interne, ne peuvent être considérés comme des travaux de construction".
S'agissant de la vente de locaux comportant des équipements mobiliers, le régime de translucidité fiscale ne s'applique normalement pas en raison du caractère commercial de cette activité complémentaire. Il existe, toutefois, certaines tolérances pour les équipements de locaux d'habitation et pour les locaux à usage de bureaux pour tenir compte des exigences actuelles d'habitabilité et de l'évolution des techniques de construction et de leur équipement. Ainsi, et sous certaines conditions (5), la fourniture des équipements les plus usuels dans l'industrie du bâtiment (chauffage, climatisation, ascenseur, équipement d'isolation thermique et phonique, appareils sanitaires ; évier, robinetterie, mais aussi barrières d'isolation phonique, cloisonnement par éléments amovibles, distribution de réseau informatique...) est considérée comme entrant dans l'objet de la construction en vue de la vente et ne remet donc pas en cause le régime fiscal dont bénéficie la société.
La non-réalisation de l'objet social est, par ailleurs, de nature, même si ce n'est pas automatique, à remettre en cause le régime fiscal de la société. Il arrive, en effet, que le projet immobilier ne soit pas mené à son terme et que la SCCV revende le terrain sans y avoir édifié de construction. Dans ce cas de figure et selon une jurisprudence bien établie du Conseil d'Etat à laquelle l'administration fiscale s'est ralliée, la vente du terrain n'entraîne pas dans tous les cas la perte du régime de l'article 239 ter du CGI et l'assujettissement de la société à l'impôt sur les sociétés. Il convient, en effet, de rechercher si la vente de l'immeuble relève d'une activité commerciale ou pas. Autrement dit, il convient de rechercher si la vente de l'immeuble est une opération isolée ou si, au contraire elle s'inscrit dans un cycle commercial plus vaste. Cette appréciation se fait tant au niveau de la société qu'au niveau de ses associés. Ainsi, alors même que l'achat puis la vente du terrain seraient les seules opérations réalisées par la société, le fait que le ou les associés se livrent habituellement à des opérations d'achats et de reventes d'immeubles est de nature à entraîner l'assujettissement de la société à l'impôt sur les sociétés.
Il a été ainsi jugé (6), dans le cas d'une vente de terrain non construit par une SCCV, que nonobstant la commercialité de l'objet social (construire dans l'intention de vendre), dès lors que la condition d'habitude n'était pas remplie tant au regard de la société pour laquelle l'achat et la vente du terrain avait constitué l'unique activité, qu'au regard des associés dont il n'était pas démontré qu'ils eussent été des marchands de biens, la société civile ne pouvait être assujettie à l'impôt sur les sociétés. Dans ce cas, l'une des conditions de l'article 35 du CGI (N° Lexbase : L1705IZ8) n'était pas remplie et l'activité réalisée n'entrait pas dans les prescriptions de l'article 206 du même code qui vise l'impôt sur les sociétés.
Dans l'affaire récemment jugée, les faits étaient légèrement plus compliqués mais le raisonnement adopté par les juges du Conseil d'Etat reste le même.
Dans les faits, un terrain avait été acquis en 1984 par une société civile immobilière ayant opté pour le régime des SCCV. Un permis de construire avait été obtenu en 2001 avant d'être prorogé et modifié. En 2004, alors même qu'aucuns travaux correspondants au permis de construire n'avaient été engagés, la SCCV avait été transformée en SARL soit vingt ans après l'acquisition du terrain.
Cette transformation, n'ayant pas été placée sous un régime de faveur, avait entraîné les conséquences fiscales d'une cessation d'activité déclenchant ainsi l'imposition des revenus en cours et des plus-values latentes ainsi que des plus-values en sursis d'imposition.
Les associés personnes physiques avaient considéré que la plus-value de réévaluation du terrain devait être imposée entre leurs mains en tant que plus-value immobilière des particuliers, profitant au passage, et c'est là tout l'enjeu du débat finalement, des abattements pour durée de détention. La plus-value réalisée sur le terrain acquis vingt avant s'en trouvait en fait totalement exonérée d'impôt sur le revenu (à l'époque, l'exonération totale était atteinte au bout de quinze ans de détention, pour rappel il faut actuellement que la détention soit d'au moins vingt-deux ans).
Dans ces conditions, on comprend aisément que l'administration fiscale tentait de démontrer que la plus-value devait être imposée entre les mains des associés au prorata de leurs droits sociaux dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Dans ce dernier cas, la plus-value aurait été soumise au barème progressif de l'impôt sur le revenu sans aucun abattement.
Le Conseil d'Etat a suivi partiellement l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille (7) mais le résultat favorable pour le contribuable a été confirmé. Le Conseil d'Etat valide en effet les juges d'appel d'avoir constaté que la condition d'habitude de l'article 35 du CGI faisait défaut et que, par conséquent, en vertu des dispositions des articles 206 et 8 (N° Lexbase : L1176ITQ) du même code, la plus-value ne pouvait pas être imposée à l'impôt sur les sociétés mais à l'impôt sur le revenu comme plus-value immobilière des particuliers et non comme bénéfices industriels et commerciaux. Le Conseil d'Etat en profite pour ajouter qu'il n'est pas nécessaire dans ce cas de rechercher si la société remplissait les conditions pour bénéficier de la dérogation de l'article 239 ter du CGI, l'activité demeurait civile et devait être imposée comme telle.
Cet arrêt s'inscrit donc dans la droite lignée de la jurisprudence en matière de vente d'un terrain par une SCCV n'ayant pas fait l'objet d'une construction ; un revenu ne peut être imposé dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux qu'à partir du moment où il présente une certaine récurrence conformément à l'article 35 du CGI.
(1) Contrairement aux sociétés translucides, les sociétés transparentes ne sont pas dotées d'une personnalité juridique différente de celle de leurs membres.
(2) BOI-BIC-CHAMP-70-20-100-10, n° 30 (N° Lexbase : X7127ALK).
(3) CE 7° et 9° s-s-r., 5 octobre 1988, n° 62247, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6764AP9).
(4) BOI-BIC-CHAMP-20-40-20, n° 20 à 40 (N° Lexbase : X4248ALW).
(5) BOI-BIC-CHAMP-70-20-100-10, n° 110 et s..
(6) CE 7° et 8° s-s-r., 24 juillet 1981 n° 22950 (N° Lexbase : A3604AKP) ; BOI-IS-CHAMP20-10-20, n° 160 (N° Lexbase : X9050ALR).
(7) CAA Marseille, 3ème ch., 28 février 2013, n° 10MA02179 (N° Lexbase : A0674I9T).
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