Lexbase Affaires n°415 du 12 mars 2015 :

[Jurisprudence] Le cautionnement, les mentions manuscrites, les juges du fond et le créancier

Réf. : CA Lyon, 22 janvier 2015, n° 12/07320 (N° Lexbase : A9151M9S)

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

le 17 Mars 2015

Si Jean de la Fontaine avait un descendant juriste, ce dernier serait certainement inspiré par l'arrêt rendu le 27 janvier dernier par la cour d'appel de Lyon. Sont en effet en présence le cautionnement, plus grande victime de cette histoire, les mentions manuscrites, dont les limites ne sont plus à démontrer, les juges du fond et un créancier, qui aurait dû être plus vigilant.
Entre 2006 et 2009, en garantie de quatre crédits octroyés à une société commerciale, une banque avait obtenu des cautionnements du gérant de celle-ci, dont un solidairement avec son épouse, elle-même co-gérante. Les difficultés du débiteur principal ont conduit le créancier à prononcer la déchéance du terme, et à le mettre en demeure, ainsi que les cautions, à lui payer certaines sommes. Ces mêmes difficultés ont conduit à la mise en redressement judiciaire (et même, depuis, à la liquidation judiciaire) du débiteur principal. Aussi, le créancier a-t-il assigné les cautions en paiement. Le tribunal de commerce de Lyon, par jugement en date du 5 octobre 2012, a prononcé la nullité des quatre cautionnements. Relevons que le tribunal de commerce a prononcé la nullité et l'inopposabilité de ces actes, sans que l'on comprenne réellement cette dernière sanction : non seulement, les manquements relevés par le tribunal ne sont pas sanctionnés par l'inopposabilité, mais en outre, un acte nul est nécessairement inopposable, puisque censé n'avoir jamais existé...
L'établissement bancaire ayant interjeté appel de ce jugement, il appartenait à la cour d'appel de se prononcer sur la validité des quatre cautionnements litigieux. La cour va annuler tous ces actes, en se fondant sur divers arguments. Le premier est annulé car les mentions manuscrites exigées par les articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) du Code de la consommation ne sont pas suivies de la signature de la caution. Le deuxième est annulé car les mentions manuscrites n'ont pas été rédigées de la main de la caution. Enfin, les troisième et quatrième cautionnements sont annulés car les mentions manuscrites apposées ne comportent l'indication du montant de la somme cautionnée qu'en chiffres, et non en lettres comme le prescrit l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT). Ainsi, les actes sont anéantis sur deux fondements juridiques distincts : les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation pour les deux premiers, et l'article 1326 du Code civil pour les deux derniers. Si la solution est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qui concerne le premier fondement (I), elle est étonnante pour le second (II).

I - Une application prévisible des articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation

Dans son arrêt du 22 janvier 2015, la cour d'appel de Lyon fait application de deux solutions dégagées par la Cour de cassation au sujet des articles L. 341-2 et L. 341-3.

Pour annuler le premier cautionnement signé par le gérant du débiteur principal, la cour retient que la caution avait reproduit les mentions manuscrites imposées par ces textes, mais qu'elle n'avait pas apposé, ensuite, sa signature. Si la Cour de cassation fait montre d'une certaine souplesse dans l'interprétation de ces textes défectueux (1), elle exige tout de même que la caution ait signé à la suite des mentions. Certes, elle se contente d'une seule signature, à la suite des deux mentions, sans requérir une signature par mention (2). Mais elle approuve les juges d'appel qui prononcent la nullité d'un cautionnement dans lequel la signature de la caution précède, au lieu de les suivre, les mentions manuscrites (3).

Puisque la signature de la caution doit être apposée à la suite des mentions manuscrites, il est évident que l'acte non signé par la caution n'est pas conforme à cette exigence. L'annulation du cautionnement par la cour de Lyon est donc logique. L'argument soulevé par le créancier, consistant à affirmer que "le dirigeant qui signe en sa qualité d'emprunteur n'a pas besoin de signer à nouveau en qualité de caution pour que le cautionnement soit valable", ne présente aucun intérêt. En effet, sauf à nier la personnalité morale de la société débitrice principale, le dirigeant ne signe pas en qualité d'emprunteur, mais en qualité de représentant de la société. En outre, même si le cautionnement est un contrat accessoire au contrat de crédit, il demeure un contrat

Pour annuler le deuxième engagement contracté par la caution, la cour retient que la mention manuscrite apposée sur l'acte de cautionnement n'avait pas été écrite de la main de la caution. C'est en réalité son épouse qui a reconnu en être l'auteur. Ici encore, la cour d'appel fait une stricte application de la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette dernière a notamment pu considérer qu'un cautionnement est nul lorsque les mentions requises par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation ont été rédigées, non par la caution, mais par son préposé (4).

Il conviendra simplement d'attirer l'attention des dispensateurs de crédit sur la nécessité de contrôler et vérifier la régularité formelle des cautionnements qu'ils obtiennent. Dans le cas d'espèce, le premier cautionnement est nul car non signé par la caution. Le deuxième est voué au même sort car les mentions sont écrites par le conjoint de la caution. A ce stade, ce n'est plus de l'étourderie, mais de la négligence.

Ainsi, la cour d'appel de Lyon, dans cet arrêt du 22 janvier 2015, s'inscrit dans la ligne jurisprudentielle de la Cour de cassation pour l'application des articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation. Tel n'est pas le cas en ce qui concerne l'article 1326 du Code civil.

II - Une application étonnante de l'article 1326 du Code civil

Les deux derniers cautionnements signés par le gérant de la société débitrice, dont l'un l'était solidairement avec son épouse, sont annulés par la cour d'appel, aux motifs que "la mention manuscrite [...] ne comporte pas l'indication du montant de la somme cautionnée en lettres et en chiffres, mais seulement en chiffres". La cour d'appel voit dans l'indication de ce montant une "exigence générale posée par l'article 1326 du Code civil à laquelle ne dérogent pas les dispositions de l'article L. 341-2 du Code de la consommation".

L'affirmation, en vérité, a de quoi surprendre. En effet, l'article 1326 édicte une règle dont la portée est probatoire. Ce texte est inséré dans le chapitre VI du titre III du Code civil, intitulé : "De la preuve des obligations, et de celle du payement". Son emplacement dans le Code tend à montrer qu'il s'agit d'un texte relatif à la preuve de l'acte juridique sous-seing privé, et en aucun cas d'un texte relatif à la validité du contrat. En outre, il a toujours été admis que la formalité de l'article 1326 est écartée pour les cautionnements passés par acte authentique et ceux souscrits par des commerçants. La raison en est que l'acte authentique est un mode de preuve parfait (C. civ., art. 1319, al. 1er N° Lexbase : L1430ABL), et qu'en matière commerciale, entre commerçants, la preuve est libre (C. com., art. L. 110-3 N° Lexbase : L5547AIB). Il apparaît ainsi nettement que la règle posée par l'article 1326 est une règle de preuve du contrat unilatéral, et non une condition de validité. Sa sanction ne peut donc pas être la nullité du contrat.

Certes, la première chambre civile de la Cour de cassation a, par le passé, hésité sur le point de savoir si la mention manuscrite imposée par l'article 1326 est une exigence probatoire ou une condition de validité du contrat de cautionnement. Durant les années 1980, elle a ainsi pu affirmer qu'il "résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 du Code civil (N° Lexbase : L2250ABX, désormais C. civ., art. 2292 N° Lexbase : L1121HID) que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent pas de simples règles de preuve, mais ont pour finalité la protection de la caution" (5). La première chambre civile en déduisait la nullité de l'acte dans lequel la mention était absente ou insuffisante. Il est important de signaler que cette position n'était pas partagée par la Chambre commerciale (6). Après une lente évolution, la première chambre civile revint à une position plus respectueuse des textes, en retenant que l'acte de cautionnement dépourvu de mention manuscrite ou comportant une mention manuscrite insuffisante n'est pas nul, mais simplement dépourvu de force probante (7).

Par conséquent, le cautionnement qui ne satisfait pas aux prescriptions de l'article 1326 du Code civil n'est pas nul. Il constitue un commencement de preuve par écrit. En tant que tel, il devra être complété, par des éléments de preuve extrinsèques à l'engagement de caution. La Cour de cassation admet notamment comme élément extrinsèque le fait que la caution ait signé le contrat principal (8).

Il apparaît ainsi que la position adoptée par la cour d'appel de Lyon n'est plus celle de la

Cour de cassation depuis 1992, soit plus de vingt-deux ans. Que faut-il en déduire? Que la cour d'appel de Lyon a commis une erreur de droit manifeste? Ou qu'elle a décidé d'entrer en résistance, et souhaiterait que l'exigence posée par l'article 1326 du Code civil redevienne une condition de validité et non une simple exigence probatoire?

Le lecteur se fera son opinion...


(1) V., dernièrement, Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-24778, FS-D (N° Lexbase : A7158NAD), nos obs. Un nouveau pas dans l'interprétation par la Cour de cassation des articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation ?, Lexbase Hebdo n° 414 du 5 mars 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N6171BU4).
(2) Cass. com., 27 mars 2012, n° 10-24.698 F-D (N° Lexbase : A0015IHZ) et Cass. com., 2 octobre 2012, n° 11-24.460, F-D (N° Lexbase : A9800IT7) JCP éd. G, 2012, 1291, n° 1, obs. Ph. Simler ; Cass. com., 22 janvier 2013, n° 11-25.887, F-D (N° Lexbase : A8820I33) Gaz. Pal., 21 mars 2013, p. 15, obs. M.-P. Dumont-Lefrand.
(3) Cass. com., 17 septembre 2013, n° 12-13.577, FS-P+B (N° Lexbase : A4914KLL), nos obs. Lexbase Hebdo n° 354 du 10 octobre 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N8835BTE). V. déjà, Cass. com., 22 janvier 2013, n° 11-22.831, F-D (N° Lexbase : A8764I3Y).
(4) Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-27.814, F-D (N° Lexbase : A8837IEZ), RDBF, mai 2012, p. 56, obs. A. Cerles.
(5) V. par exemple, Cass. civ. 1, 30 juin 1987, n° 85-15.760 (N° Lexbase : A1271AHK).
(6) Cass. com., 6 juin 1985, n° 83-15.356, publié (N° Lexbase : A3321CG4), Defrénois, 1985, art. 33636, p. 1454, obs. J.-L. Aubert.
(7) Cass. civ. 1, 20 octobre 1992, n° 90-21.183 (N° Lexbase : A5598AHS), JCP éd. G, 1993, I, 3680, n° 3, obs. Ph. Simler.

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