Réf. : Cass. civ. 1, 4 février 2015, n° 14-11.002, F-P+B (N° Lexbase : A2461NBR)
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N6319BUL
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par Frédérique Julienne, Maître de conférences - HDR, Faculté de droit de Bordeaux, membre de l'IRDAP
le 17 Mars 2015
I - Contours de la notion de démarchage
La décision rendue par la première chambre civile le 4 février 2015 permet de mesurer les implications des modifications apportées par la loi "Hamon" du 17 mars 2014 relativement à la protection des consommateurs soumis à une sollicitation de la part d'un professionnel. En effet, elle concerne une situation de démarchage par courrier qui ne doit plus être abordée de la même façon depuis cette réforme : protégée sous l'empire du droit antérieur, elle apparaît être désormais exclue du dispositif protecteur.
Les juges ont dû se prononcer sur les contours de la notion de démarchage au regard de la rédaction désormais ancienne de l'article L. 121-21 du Code de consommation. Dans cette logique, ils confortent les solutions qui étaient jusque-là établies dans le sens d'une approche extensive du démarchage à domicile développée par la jurisprudence. La décision commentée s'inscrit dans deux axes d'assouplissement.
Le premier élément d'appréciation extensif concerne la méthode de sollicitation du consommateur. Le Code de la consommation visait deux types de situations : la proposition d'un bien ou d'un service faite au domicile du client, même à sa demande, ou l'hypothèse dans laquelle le client se trouvait attiré hors de chez lui dans des lieux non habituellement destinés à la commercialisation. La Cour de cassation assimilait à ce second cas de figure, la situation qui est au coeur du contentieux en l'espèce à savoir l'invitation personnelle du client à se rendre sur le lieu d'un commerce traditionnel à la condition, toutefois, qu'elle soit doublée d'un cadeau (2). Ainsi, les juges dans l'arrêt commenté afin de justifier l'application du droit de la consommation relèvent que "le consommateur avait reçu à son domicile une lettre circulaire l'incitant, par le biais de cadeaux offerts, à se faire livrer un véhicule neuf" et qu'à la suite de cette correspondance, il s'était déplacé dans les locaux du professionnel.
Le deuxième critère d'appréciation est relatif à l'objet du contrat proposé au consommateur. Le texte initial visait de manière large la proposition d'achat, de vente, de location de biens ou de la fourniture de services. En toute logique, les juges ont donc, en l'espèce, soumis au dispositif protecteur le contrat de location-vente portant sur une voiture.
Si la solution retenue par les juges de la première chambre civile de la Cour de cassation se justifie au regard de la rédaction antérieure des articles du droit de la consommation, elle ne l'est plus nécessairement à la lecture du nouveau dispositif, tel qu'il est issu de la loi du 17 mars 2014. En effet, le législateur a mis en place un cops de règles uniforme portant sur le contrat à distance et hors établissement dont il a précisé les contours aux articles L. 121-16 (N° Lexbase : L7778IZ4) et L. 121-16-1 (N° Lexbase : L8712IZP) du Code de la consommation. En application de ce nouveau dispositif, est un contrat à distance "tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans le cadre d'un système organisé de vente ou de prestations de services à distance, sans la présence physique simultanée du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu'à la conclusion du contrat". L'hypothèse objet du contentieux dans l'arrêt commentée ne relève pas de cette définition puisque le contrat n'a pas été conclu par le biais d'une technique de communication à distance. La question reste de savoir si elle répond aux contours de la notion du contrat hors établissement qui ne fait pas l'objet d'une définition générale mais d'une énumération de trois situations. Il s'agit plus précisément, dans une première hypothèse, de tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur dans le lieu qui n'est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle. Dans une deuxième hypothèse, il s'agit du contrat conclu dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement dans un lieu différent du lieu habituel du professionnel à la condition que les deux parties aient été présentes physiquement et simultanément. Enfin, dans une dernière hypothèse, il s'agit d'un contrat signé à l'occasion d'une excursion organisée par le professionnel dans le but de promouvoir et de vendre des biens et des services. Au vu de ces situations limitativement énumérées, des doutes sur le sort réservé à certaines pratiques commerciales peuvent être relevés. Ainsi, les opérations de démarchage au cours de ventes au déballage paraissent devoir être soumises au dispositif. En revanche, la situation visée dans la décision commentée, à savoir une sollicitation du consommateur par courrier avec promesse de cadeau en vue de l'inciter à se déplacer dans un temps décalé dans le lieu habituel du professionnel, semble devoir être exclue du le champ d'application du droit de la consommation (3). La confrontation de l'arrêt rendu par la première chambre civile avec le nouveau dispositif issu de la loi "Hamon" présente alors l'intérêt de montrer la restriction du domaine d'application des règles encadrant le démarchage opérée par cette dernière. La redéfinition des contours des règles du droit de la consommation n'est pas anodine au vu des enjeux soulevés en matière de protection des intérêts des clients.
II - Enjeu : protection particulière du consommateur
Les enjeux attachés aux contours de la notion de démarchage reposent sur la mise en oeuvre ou non des mesures protectrices. La mesure principale dont l'application était sollicitée par le consommateur était le droit de réflexion de sept jours et l'interdiction de percevoir une contrepartie financière durant la durée du délai. Cette mesure a été maintenue pour les contrats conclus hors établissement et précisée par la loi "Hamon" qui a vocation à concerner les actes contractés après le 13 juin 2014. En vertu du nouvel article L. 121-18-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7618IZ8), un principe est posé selon lequel "le professionnel ne peut recevoir aucun paiement ou aucune contrepartie sous quelque forme que ce soit de la part du consommateur avant l'expiration d'un délai de sept jours à compter de la conclusion du contrat hors établissement". Ce principe est, cependant, tempéré d'exceptions comme la souscription à domicile d'un abonnement à une publication quotidienne ou, encore, les contrats conclus au cours de réunions organisées par le vendeur à son domicile.
Notons que si la réforme intervenue en 2014 a redéfini les contours de la notion de démarchage dans un sens plus restrictif à travers l'énumération des hypothèses de contrats hors établissement, les mesures de protection ont été, quant à elles, renforcées. Alors que jusque-là aucune mesure n'imposait d'obligations précontractuelles d'information dans le cadre du démarchage, c'est aujourd'hui le cas. Dans le même esprit, le démarchage téléphonique fait désormais l'objet d'un encadrement précontractuel spécifique. Par exemple, la confirmation d'une offre de conclure ou de modifier un contrat faite par téléphone doit comporter l'ensemble des informations obligatoires.
Par ailleurs, le dispositif est complété par un délai de rétractation qui a été porté à quatroze jours par la loi "Hamon" au lieu de sept jours. Cette augmentation du délai soulève alors un problème de coordination avec le délai de réflexion de sept jours déjà évoqué durant lequel aucun versement ne peut être opéré. Cette distorsion remet, en effet, en question la légitimité du délai de réflexion qui initialement avait pour but d'assurer l'effectivité du délai de rétractation. Toutefois, en pratique, on peut estimer que la concordance entre ces deux délais s'établira naturellement au vu des conséquences imposées au professionnel en cas d'exercice du délai de rétractation par le consommateur. Ainsi, il doit, dans un délai de quatorze jours au lieu de trente jours, rembourser la totalité des sommes versées par le consommateur y compris les frais de livraison.
En appliquant le dispositif du démarchage au contrat conclu sur un lieu de vente habituel après sollicitation du client par courrier, l'arrêt reflète donc la tendance protectrice des consommateurs de la jurisprudence. Mais cette solution ne devrait pas être maintenue à la lecture des nouvelles hypothèses énumérées par la loi pour délimiter le champ d'intervention des dispositions en matière de contrats hors établissement.
(1) Loi, n° 2014-344 du 17 mars 2014 (N° Lexbase : L7504IZX) ; cf. nos obs. Un corps de règles commun aux contrats à distance et aux contrats hors établissement (commentaire des articles 9 à 17 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014), Lexbase Hebdo n° 378 du 17 avril 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N1808BUI).
(2) Cass. crim., 10 janvier 1996, n° 95-80.993, publié (N° Lexbase : A9093ABE), Bull. crim., n° 12 ; Dr. pénal, 1996, comm. 132, D., 1996, IR 120 ; Cass. crim., 26 octobre 1999, n° 98-87.970, inédit (N° Lexbase : A7708C3U), JCP éd. E, 2000, 20, 804.
(3) BRDA, 5/4, p. 20 ; M. Feferman, Du démarchage aux contrats conclus hors établissement : quels impacts sur les pratiques des agents immobiliers ?, AJDI, 2014, p. 606.
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