Réf. : Cass. soc., 4 février 2014, n° 12-35.333, FS-P+B (N° Lexbase : A9119MD4)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 20 Février 2014
Résumé
Les conditions de validité d'un accord collectif sont d'ordre public. Il en résulte qu'un accord collectif ne peut subordonner sa validité à des conditions de majorité différentes de celles prévues par la loi. |
Commentaire
I - La stricte application des exigences légales
L'affaire. En l'espèce, la société Behr France avait invité, en juillet 2008, les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise à une réunion dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire. Un accord avait été établi, prévoyant une augmentation des salaires et de la prime transport, respectivement de 2,7 % et de 2 %, à la condition que l'accord soit signé par toutes les organisations syndicales représentatives. Le 18 décembre 2008, l'accord avait été signé par deux organisations syndicales.
La société Behr France faisait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit l'accord applicable malgré la clause suspensive et de l'avoir condamné à appliquer à l'ensemble des salariés l'augmentation prévue dans l'accord. A l'appui de son pourvoi, la société soutenait qu'est licite et opposable aux syndicats la condition suspensive d'un accord collectif subordonnant un engagement de l'employeur à la signature de l'accord par tous les syndicats représentatifs présents dans l'entreprise. L'accord collectif en cause subordonnait l'application des stipulations prévoyant une augmentation générale des salaires de 2,7 % et une augmentation de l'indemnité de transport de 2 % à la signature de l'accord par les cinq organisations syndicales présentes dans l'entreprise. L'accord stipulait, par ailleurs, à défaut de réalisation de la condition suspensive, une augmentation des salaires de 2,2 %, répartie individuellement entre les salariés, et une augmentation de l'indemnité de transport de 1 %. En jugeant cette condition suspensive inopposable aux cinq organisations syndicales de l'entreprise, par des prétextes pris, d'une part, de ce qu'elle serait en contradiction avec le principe énoncé par l'article L. 2251-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2406H9Y), selon lequel les conventions et accords collectifs de travail ne peuvent déroger aux dispositions des lois et règlements si ce n'est par des dispositions plus favorables aux salariés, et d'autre part, de ce qu'elle avait pour effet de conférer à l'employeur un pouvoir unilatéral dans le domaine de l'augmentation des salaires et de minorer l'augmentation prévue conventionnellement au 1er juin 2009 de 0,5 %, la cour d'appel a violé les articles 1168 (N° Lexbase : L1270ABN) et suivants du Code civil, ensemble les articles L. 2231-1 (N° Lexbase : L3746IBD) et suivants, L. 2241-1 (N° Lexbase : L2346H9R), L. 2242-1 (N° Lexbase : L2369H9M) et suivants et L. 2251-1 (N° Lexbase : L2406H9Y) du Code du travail.
La société demanderesse soutenait également, qu'en tout état de cause, aux termes de l'article 1172 du Code civil (N° Lexbase : L1274ABS), toute condition d'une chose impossible, contraire aux bonnes moeurs ou prohibée par la loi est nulle et rend nulle la convention qui en dépend. En conséquence, à supposer que la condition suspensive litigieuse ait été illicite, elle était nulle et entraînait la nullité de l'entier accord collectif.
La solution. Après avoir affirmé que "les conditions de validité d'un accord collectif sont d'ordre public", la Cour de cassation indique "qu'il en résulte qu'un accord collectif ne peut subordonner sa validité à des conditions de majorité différentes de celles prévues par la loi".
Cette solution doit être rattachée aux prescriptions de l'article L. 2251-1 du Code du travail. On sait que ce texte, après avoir énoncé qu'une convention ou un accord collectif "peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur", précise que ces mêmes actes juridiques "ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d'ordre public". Cet article conduit à distinguer un ordre public dit "absolu" et un ordre public qualifié de "social". Les normes légales relevant du premier ne peuvent être objet de négociation collective, tandis que celles qui sont rattachables au second peuvent être améliorées par des stipulations conventionnelles.
La difficulté en la matière réside dans le fait que peu de textes du Code du travail précisent leur statut au regard de la distinction précitée. Sans doute, le célèbre avis du Conseil d'Etat rendu le 22 mars 1973 offre-t-il quelques indications pour distinguer normes d'ordre public absolu et norme d'ordre public social (1). Rappelons que celui-ci a indiqué qu'"une convention collective ne saurait légalement déroger ni aux dispositions qui, par leurs termes mêmes, présentent un caractère impératif, ni aux principes fondamentaux énoncés dans la Constitution ou aux règles du droit interne ou, le cas échéant, international, lorsque ces principes ou règles débordent le domaine du droit du travail ou intéressent des avantages ou garanties échappant, par leur nature, aux rapports conventionnels". On admettra, toutefois, que ces précisions restent sujettes à interprétation, si bien que la Cour de cassation dispose d'une certaine latitude au moment de qualifier telle ou telle disposition légale.
S'agissant des conditions de validité d'un accord collectif, la Chambre sociale a donc fait le choix de les rattacher à "l'ordre public". Il faut ici comprendre "ordre public absolu" (2), ce que confirme la suite du motif de principe de la décision, interdisant qu'un accord collectif subordonne sa validité à des conditions de majorité différentes de celles prévues par la loi. L'absence de toute référence au caractère plus favorable des stipulations exclut le rattachement des règles légales à l'ordre public social (3). On est tenté d'ajouter que les conditions de validité d'un accord collectif relèvent, pour reprendre la terminologie du Conseil d'Etat, des garanties échappant, par leur nature, aux rapports conventionnels.
On aura donc compris que, s'agissant de la validité des conventions et accords collectifs de travail, il n'y a place que pour les conditions prévues par la loi. Cela interdit, non seulement, à un accord collectif de subordonner sa validité à des conditions de majorité différentes de celles prévues par la loi, mais cela exclut aussi qu'une convention de branche vienne soumettre les accords d'entreprise conclus dans la branche aux conditions de validité qu'elle édicte.
Ajoutons, pour conclure sur ce point, que la solution, rendue sous l'empire des textes antérieurs à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, vaut, de par sa généralité, pour les dispositions issues de cette réforme. En d'autres termes, s'agissant de la validité d'un accord d'entreprise, sont seules applicables les conditions de majorité fixées par l'article L. 2232-12 du Code du travail (N° Lexbase : L3770IBA).
II - La conformité de l'accord à la loi
La validité de l'accord. Pressentant, sans doute, que la clause de l'accord soumettant l'application de certaines de ses stipulations à une exigence d'unanimité n'était guère conforme à la loi, la société employeur avait tenté de convaincre la Cour de cassation que l'illicéité de la stipulation litigieuse devait rejaillir sur l'accord lui-même, entraînant sa nullité.
Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation qui relève que "la cour d'appel, qui a constaté que l'accord litigieux avait été signé par au moins un syndicat représentatif, conformément aux prescriptions de l'article L. 2231-1 du Code du travail dans sa rédaction alors applicable, en a déduit à bon droit qu'il était valable, et que la clause qui conditionnait la validité de certaines de ses dispositions relatives au salaire à l'accord unanime des organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ne pouvait être invoqué par l'employeur pour se soustraire à l'application de l'accord".
Ainsi qu'il a été vu précédemment, les conditions de validité d'un accord ne peuvent être autres que celles prévues par la loi. En conséquence, dès lors que ces conditions de validité sont remplies, on ne peut qu'en conclure, à l'instar de la Cour de cassation, que l'accord est valable. Il ne saurait donc être, par hypothèse, question de nullité de l'accord conforme aux exigences légales, quand bien même il renfermerait une stipulation illicite.
Le sort de la stipulation illicite. Contrairement à ce qu'indique la Cour de cassation, la clause litigieuse ne conditionnait pas la "validité" de certaines stipulations de l'accord relatives au salaire à l'accord unanime des organisations syndicales représentatives dans l'entreprise. C'est l'application de ces stipulations qui était subordonnée à cette exigence. Ce faisant, et de notre point de vue, c'est moins la validité de l'accord collectif qui est ici en cause, que son application et, plus précisément encore, son effet impératif à l'égard de l'employeur. Or, la stipulation litigieuse remettait en cause cet effet impératif en permettant à l'employeur, ainsi que le relève la Cour de cassation, de se soustraire à l'application de l'accord.
Cela ne peut être admis, quand bien même la stipulation produisant un tel effet figurerait dans un accord collectif signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs. Remettant en cause l'effet règlementaire de la norme conventionnelle, cette stipulation est inopposable aux salariés auxquels la convention ou l'accord collectif s'applique. Cela ne signifie pas qu'un accord collectif ne peut jamais comporter une condition suspensive. Mais, pour être admise, celle-ci ne doit pas porter atteinte à son effet impératif.
(1) CE Contentieux, 22 mars 1973, n° 310.108 (N° Lexbase : A3303DYY), Dr. soc., 1973, p. 514.
(2) La Cour de cassation n'hésite pas, parfois, à évoquer l'ordre public "absolu". V. en dernier lieu, Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-60.406 (N° Lexbase : A2616HSP), JCP éd. S, 2011, 1404, note J.-Y. Kerbourc'h : "Attendu, ensuite, qu'en ce qu'elle soumet désormais la représentativité des organisations syndicales à la condition d'avoir obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés lors du premier tour de l'élection des membres titulaires du comité d'entreprise, la loi n° 2008/789 du 20 août 2008 est d'ordre public absolu, ce qui interdit, par suite, à un accord collectif, comme à un employeur de reconnaître la qualité d'organisation syndicale représentative à une organisation qui n'a pas satisfait à cette condition" (nous soulignons).
(3) Il semble que la cour d'appel avait plutôt retenu un tel rattachement, soulignant que les conventions et accords collectifs de travail ne peuvent déroger aux dispositions des lois et règlements, si ce n'est par des dispositions plus favorables aux salariés.
Décision
Cass. soc., 4 février 2014, n° 12-35.333, FS-P+B (N° Lexbase : A9119MD4). Rejet (CA Metz, 18 septembre 2012, n° 11/01437 N° Lexbase : A5778IT8). Texte concerné : C. trav., art. L. 2251-1 (N° Lexbase : L2406H9Y). Mots-clés : accord collectif, conditions de validité, ordre public. Lien base : (N° Lexbase : E2232ETT). |
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