La lettre juridique n°559 du 20 février 2014 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] L'honoraire de résultat et les nouvelles activités des avocats : "Château en Espagne" et pactes de quota litis

Réf. : CA Aix-en-Provence, 14 janvier 2014, trois arrêts, n° 13/17317 (N° Lexbase : A3113KTH) et n° 13/18013 (N° Lexbase : A3210KT3) et n° 13/13135 (N° Lexbase : A3666KTX)

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par Jean-Paul Lévy, Ancien membre du conseil de l'Ordre, Ancien membre du Conseil national des barreaux

le 20 Février 2014

Dans trois ordonnances rendues par le premier Président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 14 janvier 2014, il est précisé, dans le cadre des nouvelles activités des avocats, les conditions de validité des conventions d'honoraire et, à défaut, rappelé quel est le mode de fixation de la rémunération des avocats et la prohibition du pacte de quota litis.
Nous savons que l'article 10, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) prohibe toute fixation d'honoraire qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire, il en est de même de l'article 11.3 du Règlement intérieur national (RIN N° Lexbase : L4063IP8).
Depuis lors, un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 décembre 1999 (Cass. civ. 1, 7 décembre 1999, n° 97-16.971 et n° 97-20.427, publié au bulletin N° Lexbase : A5228AWK) est venu préciser que cette interdiction concerne tout mandat donné à l'avocat qu'il s'agisse de son activité contentieuse ou de son activité juridique.
Même lorsque l'honoraire de résultat est licite, il faut qu'il ait été stipulé dans une convention préalablement conclue avec le client (Cass. civ. 1, 3 mars 1998, deux arrêts, n° 95-21.387 N° Lexbase : A2039ACI et n° 95-21.053 N° Lexbase : A2035ACD ; Gaz. Pal., 11 juillet 1998, p.19, note Damien ; JCP éd. G, 1998, II, n° 10116, note Sainte-Rose). De plus, il ne peut être perçu qu'après le résultat définitif et ce même lorsque l'avocat s'est dessaisi volontairement du dossier avant la fin de la procédure (Cass. civ. 2, 9 avril 2009, n° 07-20.853, FS-P+B N° Lexbase : A1000EG7). Dans la première décision (n° 2014/11), aux termes d'une convention d'honoraires conclue avec chacune des héritières, l'avocat avait reçu mission, dans le cadre d'une succession recueillie pour partie en Espagne, de faire toutes démarches en vue du règlement de la succession et, notamment, de faire libérer un immeuble occupé sis Outre-Pyrénées, ainsi que de le faire vendre par un agent immobilier du cru. La rémunération était décomposée en un honoraire fixe normal et un honoraire de résultat calculé sous la forme d'un pourcentage progressif de "toutes les sommes récupérées par voies judiciaires ou amiables". Las, la crise immobilière espagnole étant survenue, si la maison était devenue libre de tout occupant, elle ne s'était pas vendue en dépit de tous les efforts prodigués par les héritiers et leur diligent conseil. Ce dernier voyant s'évanouir tout espoir de cession réclamait alors le paiement de son honoraire de résultat, prétendant qu'il lui était dû puisque c'était à raison du désaccord survenu dans la succession que la vente n'avait pu se conclure (ce qui n'était nullement démontré bien au contraires).

Par une décision confirmative, le premier Président valide la convention d'honoraires, mais en rejette l'exécution dans la mesure où les clientes n'ont encore récupéré aucune somme et ne sont donc pas encore redevables de l'honoraire de résultat.

On relèvera que cette solution apparait conforme à celle adoptée, depuis le 11 mai 2009, par le Règlement intérieur du barreau de Paris, visée à l'article P.6.0.4 et énoncée par l'article 2 de l'annexe XV à ce Règlement, relative à la négociation de biens immobiliers à vendre ou à louer qui prescrit qu'"aucune rémunération autre que celle perçue au titre de la rédaction des actes (projets, avant-contrat, contrat)ne pourrait être perçue dans l'hypothèse où l'opération ne serait pas effectivement conclue". L'article 6 de l'annexe prévoit que l'Ordre des avocats contrôlera les conditions d'exercice de l'activité de négociation et le respect des règles déontologiques en la matière.

Le barreau de Paris n'est pas le seul à avoir encadré cette activité, le Barreau de Lille, ceux de Bordeaux et de Nice et, enfin, le Conseil national des barreaux, dans son guide de l'avocat mandataire en transactions du 16 janvier 2012 (III, p. 9) ont fait de même.

Dans la seconde décision du premier Président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence (n°v2014/16), les faits sont un peu différents : il s'agit d'une opération immobilière menée par un client cherchant à acquérir un bien à un prix ne dépassant pas une enveloppe fixé.

Il n'y a pas de convention en la forme, mais des échanges de courriels. Consensualisme oblige au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), ils sont interprétés au regard de la commune intention des parties.

Les accords ainsi dégagés stipulent un honoraire forfaitisé payable au jour de la signature des actes définitifs pour une mission consistant en une assistance prêtée par l'avocat à des négociations avec le notaire et le conseil des vendeurs potentiels, en la rédaction d'une offre d'acquisition et la mise en place des instruments de la réalisation de la vente. Il n'existe aucun honoraire de diligence.

La sanction tombe : c'est la nullité au visa de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971. Le juge d'appel infirme la décision du Bâtonnier qui avait validé la convention estimant de surcroît que les honoraires étaient dus, alors que les actes n'avaient pas été encore signés, dès lors que toutes les conditions pour la signature de l'acte avaient été remplies !

Le premier Président fixe, en conséquence, les honoraires dus à l'avocat conformément aux dispositions de l'article 11.3 du RIN. C'est-à-dire en considération de la situation de fortune du client, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété, de la difficulté de l'affaire et des diligences accomplies. Cette ordonnance s'inscrit, encore une fois, dans le droit fil de la jurisprudence et des règles déontologiques applicables y compris aux mandats de transactions immobilières comme on l'a vu plus haut. On se reportera, notamment, pour ce qui concerne l'interprétation des accords sur les honoraires de résultat se déduisant des échanges de courriers à un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 16 janvier 2014, n° 12-35.126, F-D N° Lexbase : A7854KT3), cette décision rejetant la notion d'accord tacite sur l'honoraire de résultat pour exiger un accord préalable et exprès du client.

Dans la troisième ordonnance rendue le 14 janvier 2014 par le premier Président de la cour d'Aix-en-Provence, l'avocat et le client ont échangé deux courriels : le premier contenant la pollicitation et sollicitant la "confirmation de nos accords sur le montant des honoraires forfaitaires de mon cabinet lors du bouclage de ces affaires [...] SCI X 65OOO euros Y/Z dation en paiement d'un appartement. Hôtel des pins : 100.000 euros HTVA" ; le second constituant l'acceptation le même jour "En ce qui concerne vos modalités financières, je suis OK pour l'Hôtel des pins...". On ne saurait être plus lapidaire.

Hélas, trois fois hélas (pour reprendre une célèbre formule), cela ne suffira pas car pour être forfaitaire l'honoraire n'en est pas moins fixé intégralement en fonction du résultat : la convention ainsi formée est donc, là aussi, frappée de nullité puisque constituant un pacte de quota litis, même si les parties ne sont pas en l'attente d'une décision judiciaire et alors que les actes définitifs n'ont pas encore été signés.

Cela ne signifie pas pour autant que l'avocat n'a droit à rien, comme le soutenait avec une certaine mauvaise foi le client. Les dispositions de l'article 11.3 du RIN sont, une fois de plus, mises à contribution l'honoraire sera fixé à une somme bien moindre que celle initialement convenue en cas de signature.

Si les avocats peuvent, aujourd'hui, intervenir en tant que mandataires en transactions immobilières dans des opérations, certes lucratives compte tenu des intérêts en cause, ils ne doivent pas perdre de vue l'observations des principes déontologiques qu'ils soient ceux du conflits d'intérêts ou de la prohibition du pacte de quota litis, même si ils sont en concurrence dans ces domaines avec des professionnels qui ne sont pas astreints aux même règles, constatation d'évidence que faisait déjà mon confrère Maître Chantal Meininger Bothorel, alors secrétaire de la commission de prospective du Barreau de Paris, en 2010 (La responsabilité de l'avocat mandataire en transactions immobilières, Gaz. Pal., 8 mai 2010, n° 128, p. 20). Comme le faisait également observer le Président de l'association des avocats mandataires en transactions immobilières, Maître Michel Vauthier, dans un autre article paru dans la même publication, deux ans plus tard (L'activité nouvelle d'avocat mandataire en transactions immobilières : une jeune pousse pleine de promesse, Gaz. Pal. ; 4 et 5 mai 2012, p.21 à 24) : "les compétences que les avocats ont à développer doivent conduire leurs clients à venir les voir d'abord pour la qualité de leurs conseils et la fiabilité des actes auxquels ils participent".

Mais à la condition de ne pas s'abstraire de l'observation de leur déontologie, car, à défaut, ils risquent, comme on l'a vu plus haut, de se retrouver "Gros Jean comme devant".

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