La lettre juridique n°559 du 20 février 2014 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Plafonnement de l'ISF : le bras de fer de l'Etat et des magistrats

Réf. : Cons. const., décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 (N° Lexbase : A9152KSR)

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par Frédéric Douet, Professeur à l'Université de Bourgogne

le 20 Février 2014

Pour le calcul du plafonnement de l'ISF, ne doivent pas être considérés comme des revenus réalisés au cours de la même année en France ou hors de France les revenus des bons ou contrats de capitalisation et des placements de même nature, notamment des contrats d'assurance-vie, souscrits auprès d'entreprises d'assurance établies en France ou à l'étranger. Telle est la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 29 décembre 2013, au terme d'une saga opposant l'administration et le législateur aux juges. Retour sur le coup fatal porté aux velléités grandissantes des pouvoirs publics de taxer des revenus latents à l'ISF. 1. Un mécanisme de plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été introduit dans le CGI par la loi de finances pour 2013 (loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7971IUR). Le jeu de ce mécanisme fait que l'ISF d'un contribuable domicilié fiscalement en France doit, le cas échéant, être réduit de la différence entre (CGI, art. 885 V bis N° Lexbase : L0140IW4) :
- d'une part, le total de l'ISF est des impôts dus en France et à l'étranger au titre des revenus et produits de l'année précédente, calculés avant imputation des seuls crédits d'impôt représentatifs d'une imposition acquittée à l'étranger et des retenues non libératoires ;
- et, d'autre part, 75 % du total des revenus nets de frais professionnels de l'année précédente après déduction des seuls déficits catégoriels dont l'imposition est autorisée par l'article 156 du CGI (N° Lexbase : L1408IZ8), des revenus exonérés d'impôt sur le revenu et des produits soumis à un prélèvement libératoire réalisés au cours de la même année en France ou hors de France.

2. Pour l'application de ce mécanisme, la loi de finances pour 2013 prévoyait que devaient être regardés comme des revenus réalisés au cours de la même année en France ou hors de France "la variation de la valeur de rachat des bons ou contrats de capitalisation, des placements de même nature, notamment des contrats d'assurance-vie, ainsi que des instruments financiers de toute nature visant à capitaliser des revenus, souscrits auprès d'entreprises établies en France ou hors de France, entre le 1er janvier et le 31 décembre de l'année précédente, nette des versements et des rachats opérés entre ces mêmes dates". Toutefois, il résulte de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (N° Lexbase : L1360A9A) que la loi fiscale ne doit pas méconnaître l'exigence de prise en compte des facultés contributives des contribuables. Le fait de prendre en compte, pour le calcul du plafonnement de l'ISF, la variation de la valeur de rachat des bons ou contrats de capitalisation et des placements de même nature, notamment des contrats d'assurance-vie, faisait entrer dans le revenu des contribuables des revenus non mis effectivement à leur disposition. Cela a amené le Conseil constitutionnel à considérer que cette prise en compte méconnaissait l'exigence édictée par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (Cons. const., décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, § 95 N° Lexbase : A6288IZW).

3. A la suite de la loi de finances pour 2013, l'administration fiscale a fait connaître -par le biais de la doctrine administrative- la façon dont elle entendait mettre en oeuvre le mécanisme de plafonnement de l'ISF institué par cette loi. N'ayant cure de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012, l'administration fiscale a alors fait savoir qu'elle estimait que les produits des contrats "mono-support" en euros et des compartiments en euros des contrats "multisupports" devaient être pris en considération, chaque année, à raison de leur montant effectivement retenu pour l'assiette des prélèvements sociaux (BOI-PAT-ISF-40-60-20130614, § 200 N° Lexbase : X3130AMU). Cette interprétation méconnaissait l'autorité attachée à la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 et l'article 885 V bis du CGI. Celui-ci énumère de façon limitative les revenus à prendre en compte pour le calcul du plafonnement de l'ISF. Les revenus visés sont les revenus soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu, les revenus exonérés d'impôt sur le revenu et les revenus soumis à un prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu. Ces trois catégories de revenus ont en commun de correspondre à des revenus à la fois acquis et disponibles.

4. Il ne faut pas oublier qu'un revenu doit en principe être disponible pour être imposable. Cette exigence résulte de l'article 12 du CGI (N° Lexbase : L1047HLD). Celui-ci prévoit que "L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année". Un revenu doit être considéré comme disponible à partir du moment où son bénéficiaire peut librement le percevoir. A cet égard, la doctrine administrative indique : "Un revenu est disponible lorsque sa perception ne dépend que de la seule volonté du bénéficiaire" (BOI-IR-BASE-10-10-10-40-20120912, § 20 N° Lexbase : X5036AL4). En d'autres termes, un revenu disponible correspond à un revenu que son titulaire peut librement encaisser. Cela conduit à opérer une distinction entre la disponibilité du revenu et son encaissement.

Par exception, le CGI prévoit des cas dans lesquels des revenus acquis sont imposables sans attendre leur mise à disposition. Tel est notamment le cas des contribuables domiciliés en France qui transfèrent leur domicile à l'étranger. Les contribuables concernés sont passibles de l'impôt sur le revenu à raison, d'une part, des revenus dont ils ont disposé pendant l'année de leur départ jusqu'à la date de celui-ci et, d'autre part, de tous revenus qu'ils ont acquis sans en avoir la disposition antérieurement à leur départ (dispositif de l'"exit tax" ; CGI, art. 167-1 N° Lexbase : L2848HL3). Dans le même ordre d'idée, il est possible de songer à la façon dont sont imposés les revenus qu'un contribuable perçoit l'année de son décès. L'impôt sur le revenu est alors assis sur les revenus dont ce contribuable a disposé pendant l'année de son décès et sur ceux qu'il a acquis sans en avoir la disposition antérieurement à son décès (CGI, art. 204-1 N° Lexbase : L0509IPK). Les exceptions sont d'interprétation stricte. Il y a donc lieu de considérer qu'il n'existe pas d'autres cas d'imposition de revenus indisponibles que ceux énumérés limitativement par le CGI.

5. Les produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation ainsi qu'aux placements de même nature présentent une particularité. Ces produits ne sont soumis à l'impôt sur le revenu qu'au moment du dénouement du contrat (CGI, art. 125-0 A, I, al. 1er N° Lexbase : L1591IZX). Tant que le contrat n'est pas dénoué, ces produits sont acquis sans pour autant être disponibles. C'est le dénouement du contrat qui les rend disponibles et, par conséquent, imposables en vertu de l'article 12 du CGI. Le législateur n'a pas édicté de règle qui dérogerait à cette disposition à l'égard des produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation, ainsi qu'aux placements de même nature.

6. Il n'en demeurait pas moins que la doctrine administrative intégrait dans le calcul du plafonnement de l'ISF les produits des contrats "mono-support" en euros et des compartiments en euros des contrats "multisupports" (BOI-PAT-ISF-40-60-20130614, § 200, précité). Concrètement, cela revenait à y intégrer des revenus acquis mais indisponibles avant le dénouement du contrat. Sur ce point, la doctrine administrative ajoutait donc à l'article 885 V bis du CGI. Dans un tel cas de figure, la doctrine administrative est entachée d'un vice qui affecte sa légalité externe, en l'occurrence l'incompétence de son auteur. S'agissant de cette question, il est à peine besoin de rappeler que le domaine de la loi est défini par l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 (N° Lexbase : L0860AHC). En vertu de cet article, le législateur est exclusivement compétent pour fixer les règles relatives à l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature. Sur ce fondement, le juge de l'excès de pouvoir annule la doctrine administrative lorsque celle-ci, sous couvert d'interprétation de la loi fiscale, modifie en réalité son champ d'application, ses conditions d'application ou ses effets. Suivant ce raisonnement, le Conseil d'Etat a annulé, le 20 décembre 2013, les paragraphes 180 et 200 du commentaire relatif au plafonnement de l'ISF publié dans le BoFip - Impôts (BOI-PAT-ISF-40-60-20130614, précité ; CE, 8° et 3° s-s-r., 20 décembre 2013, n°s 371157, 372625, 372675, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7987KSM).

7. En dépit de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 et de l'arrêt du Conseil d'Etat du 20 décembre 2013, l'article 13 de la loi de finances pour 2014 (loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 N° Lexbase : L7405IYW) prévoyait que, pour le calcul du plafonnement de l'ISF, devaient également être considérés comme des revenus réalisés au cours de la même année, en France ou hors de France, les revenus des bons ou contrats de capitalisation et des placements de même nature, notamment des contrats d'assurance-vie, souscrits auprès d'entreprises d'assurance établies en France ou à l'étranger.

8. Le Conseil constitutionnel a déclaré l'article 13 de la loi de finances pour 2014 contraire à la Constitution (Cons. const., 29 décembre 2013, n° 2013-685 DC, § 7 à 12). Pour cela, il suffisait aux juges de la rue de Montpensier de souligner que cet article méconnaissait l'autorité de chose jugée attachée, en vertu de l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), à la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012. La décision du 29 décembre 2013 prend la peine de mettre en exergue que "si l'autorité attachée à une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnelles des dispositions d'une loi ne peut, en principe, être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue en termes distincts, il n'en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution" (Cons. const., 29 décembre 2013, § 10). Se faisant l'écho de cette décision, le président du Conseil constitutionnel a indiqué, dans son discours de voeux 2014 au Président de la République, "[...] A plusieurs reprises au cours de ces derniers mois, des dispositions législatives ont été adoptées alors qu'elles contrevenaient directement à l'autorité de la chose jugée par le Conseil. Ce dernier n'a alors pu que les censurer une deuxième, ou plutôt, j'espère, une dernière fois. Il en est allé ainsi pour les droits de succession en Corse, pour le plafonnement de l'ISF ou pour la cotisation foncière sur les bénéfices non commerciaux. Je n'évoque pas même le fait que, par instruction, le ministre du Budget ait repris une mesure législative censurée par le Conseil. Cette situation est préoccupante. L'Etat de droit est fondé sur le respect de la règle de droit et des décisions de justice. Bien plus, pour le Conseil constitutionnel, l'article 62 de la Constitution dispose que l'autorité de ses décisions s'impose aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. La volonté générale ne s'exprime que dans le respect de la Constitution" (lire le discours de voeux du Président du Conseil constitutionnel au Président de la République).

Décision

Cons. const., décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 (N° Lexbase : A9152KSR)

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