Réf. : Cass. civ. 2, 27 février 2025, n° 22-21.209, F-B N° Lexbase : A44356ZB
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par Charlotte Blanc Laussel, Avocate au Barreau de Paris, Docteure en droit
le 03 Avril 2025
► Après la déclaration de maladie professionnelle, l'indemnisation d'un préjudice moral par le FIVA inclut la réparation du préjudice d'anxiété lié à la conscience permanente du risque d'aggravation de la maladie.
Périmètre du préjudice d’anxiété. Le salarié qui justifie d'une exposition à une substance nocive ou toxique telle que l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité et obtenir réparation.
Le préjudice d’anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris les troubles liés au bouleversement dans leurs conditions d'existence, qu'engendre la connaissance par les salariés du risque élevé de développer une pathologie grave, pouvant être la cause de leur décès, créé par une exposition à une substance nocive ou toxique (Cass. soc., 25 septembre 2013, n° 12-12.883, FP-P+B N° Lexbase : A9515KLY ; Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-20.486, FP-P+B+R N° Lexbase : A9056NCE).
La Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de préciser que le préjudice d’anxiété répare la « situation d'inquiétude permanente » dans laquelle les salariés se trouvaient par le fait de l'employeur alors qu’ils « étaient amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse » (Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, FP-P+B+R N° Lexbase : A1745EXW)
Incompétence matérielle de la juridiction prud’homale pour statuer sur la demande en réparation d’un préjudice d'anxiété en lien avec une pathologie déjà prise en charge par la Caisse. Dans cette affaire, un ancien salarié qui exerçait le métier de mécanicien industriel a déclaré une affection « plaques pleurales » qui a été prise en charge par la Caisse au titre du tableau n° 30 des maladies professionnelles.
Il a ensuite accepté une offre d'indemnisation du FIVA pour un montant de 22 519, 22 €, dont 15 400 € au titre de l'indemnisation de son préjudice moral. L'ancien salarié a postérieurement saisi le conseil de prud’hommes de Pau en référé, qui a ordonné à l'employeur de remettre au salarié une fiche d'exposition à l'amiante et de lui payer une provision de 2 500 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice d’anxiété. Cette ordonnance a été confirmée en appel.
Dans un second temps, le salarié a saisi au fond la juridiction prud’homale d'une demande tendant à la condamnation de son employeur à la réparation de son préjudice d'anxiété. Ce dernier a alors soulevé l'incompétence matérielle de cette juridiction pour statuer sur cette action.
En parallèle, le salarié a formé une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur en lien avec sa maladie professionnelle, procédure à laquelle est intervenu le FIVA. La faute inexcusable de l’employeur a alors été reconnue par la juridiction de Sécurité sociale qui a fixé l'indemnisation des préjudices à 15 400 € au titre du préjudice moral et 200 € au titre du préjudice physique.
Par jugement du 8 mars 2016, le conseil de prud’hommes de Pau a rejeté l'exception d'incompétence matérielle et a reconnu le trouble psychologique du préjudice d'anxiété lié à une éventuelle aggravation de la maladie professionnelle du salarié provoqué par son exposition à l'amiante, en lui allouant la somme globale de 12 500 €.
L'employeur a interjeté appel devant la cour d’appel de Pau qui a infirmé la décision attaquée (CA Pau, 14 février 2019, n° 16/01193 N° Lexbase : A1220YXH), en se déclarant matériellement incompétente pour statuer sur une action en indemnisation d'un dommage résultant d'une maladie professionnelle, s'agissant au cas particulier d'un préjudice d'anxiété, en renvoyant l’affaire devant le tribunal spécialement désigné pour en connaître, soit le pôle social du tribunal judiciaire.
Pour ce faire, la cour d’appel de Pau a d’abord rappelé qu’en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass. soc., 15 février 2012, n° 10-21.948, F-D N° Lexbase : A8742ICR ; Cass. soc., 29 mai 2013, n° 11-20.074, FS-P+B+R N° Lexbase : A9450KEQ ; Cass. soc. 6 novembre 2019, n° 18-20.837, F-D N° Lexbase : A3974ZUQ), l'indemnisation des dommages résultant d'un évènement professionnel, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive de la juridiction de Sécurité sociale.
Dès lors, et même s’ils sont intrinsèquement liés à l’exécution du contrat de travail, l’appréciation et l’indemnisation des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité ne relèvent pas nécessairement de la compétence de la juridiction prud’homale.
Ainsi, un salarié ne peut former devant la juridiction prud'homale une action en dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité afin d’obtenir réparation de dommages résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.
Cela s’explique par le fait que lorsqu’un salarié est victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, les règles spécifiques tirées des articles L. 142-1 N° Lexbase : L1769LZK et L. 451-1 N° Lexbase : L4467ADS du Code de la Sécurité sociale, trouvent à s’appliquer.
À l’inverse, lorsque le salarié invoque une violation d’une obligation de sécurité de l’employeur alors que l’évènement invoqué n’a pas été pris en charge au titre de la législation professionnelle, seule la juridiction prud’homale est compétente pour examiner sa demande en dommages-intérêts à ce titre (Cass. soc., 3 mai 2018, n° 16-26.850 N° Lexbase : A4409XMA et n° 17-10.306 N° Lexbase : A1880XML, FS-P+B+R+I).
En l’espèce, la cour d’appel de Pau a relevé, dans un premier temps, que la victime sollicitait l’indemnisation d'un préjudice d'anxiété au titre d'une pathologie, dont le caractère professionnel avait été préalablement reconnu par la Caisse, comme étant consécutive à une exposition prolongée à l'amiante.
Dans un second temps, la juridiction du fond en a logiquement déduit que le préjudice dont cet ancien salarié demandait réparation était en réalité intimement lié à la maladie professionnelle ainsi prise en charge, l’anxiété découlant ici de l'incertitude relative à l’évolution de la pathologie dont il était déjà atteint.
En conséquence, l’incompétence matérielle de la juridiction prud’homale a été objectivée au motif que l’action en réparation de ce préjudice d'anxiété devait s'analyser comme une action en indemnisation d'un dommage résultant d'une maladie professionnelle.
Cette solution est parfaitement cohérente avec la jurisprudence ancienne de la Cour de cassation qui avait déjà eu l’occasion de juger que, dès lors que les salariés n'avaient pas déclaré souffrir d'une maladie professionnelle causée par l'amiante, les demandes indemnitaires fondées sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité relevaient de la compétence de la juridiction prud'homale (Cass. soc., 25 septembre 2013, n° 12-12.883, FP-P+B N° Lexbase : A9515KLY). Ainsi, il pouvait déjà s’en déduire, qu’à l’inverse, dès lors que les salariés avaient déclaré souffrir d’une maladie professionnelle causée par l’amiante et prise en charge comme telle par un organisme social, alors les demandes indemnitaires en lien avec un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité devaient relever de la juridiction de Sécurité sociale.
Inclusion du préjudice d'anxiété dans le préjudice moral indemnisé par le FIVA après la déclaration de maladie professionnelle. Par jugement du 30 août 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Pau a, sur renvoi, postérieurement déclaré irrecevable la demande d'indemnisation d’un préjudice d’anxiété de la victime et l’a condamné à rembourser à son ancien employeur la somme de 2 500 € qu’il avait initialement obtenue en référé à titre de provision.
La victime a interjeté appel de cette décision, soutenant qu'elle était recevable à agir dès lors que la transaction passée avec le FIVA portait sur la réparation de son seul préjudice moral et non sur l’indemnisation d’un préjudice d'anxiété. À l’appui de sa demande, elle faisait notamment valoir que ces deux préjudices ne se confondaient pas, car si le préjudice moral indemnisait les souffrances endurées, le préjudice d’anxiété indemnisait quant à lui l'appréhension d'une dégradation de l'état de santé.
L’ancien employeur s’opposait à cette indemnisation, en faisant valoir que la victime avait déjà été indemnisée de son préjudice d’anxiété suivant offre acceptée du FIVA, de sorte qu’en application des dispositions de l'article 53, IV, alinéa 3 de la loi du 23 décembre 2000 N° Lexbase : L5178AR9, qui prévoit que l'acceptation d'une offre d'indemnisation du FIVA vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice, sa demande en réparation d’un préjudice d’anxiété était irrecevable à ce titre.
Par arrêt du 7 juillet 2022 (CA Pau, 7 juillet 2022, n° 21/03219 N° Lexbase : A15438GA), la cour d’appel de Pau a rejeté l’argumentation de la victime tendant à démontrer l’existence d’une distinction entre le préjudice moral et le préjudice d’anxiété, puis est venue juger que la victime avait déjà été intégralement indemnisée de son préjudice d'anxiété résultant de sa maladie professionnelle.
Pour ce faire, la juridiction du fond a d’abord rappelé, qu’en l’espèce, la somme de 15 400 € avait été versée à la victime par le FIVA en réparation d'un préjudice moral, et qu’ensuite le FIVA, subrogé dans les droits de cette dernière, avait obtenu la fixation judiciaire de ce même préjudice à ce même montant dans le cadre du contentieux parallèle en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Puis, la cour d’appel de Pau a estimé que l’indemnisation de ce préjudice moral avait donc vocation à réparer au cas d’espèce le préjudice d'anxiété allégué, compte tenu de la motivation tant de l’offre du FIVA que du jugement reconnaissant la faute inexcusable de l’employeur.
Irrecevabilité de l’action juridictionnelle en réparation du même préjudice après acceptation de l'offre du FIVA. Sur pourvoi de la victime, la Cour de cassation le rejette finalement, au visa de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000, en retenant que la cour d’appel de Pau avait exactement déduit que l’offre du FIVA portant réparation de divers préjudices résultant de la maladie professionnelle, ainsi acceptée par l’ancien salarié, comportait l'indemnisation d'un préjudice moral qui réparait également le préjudice d'anxiété, ici entendu comme le préjudice d’anxiété lié à la conscience permanente du risque d'aggravation de la maladie déjà déclarée.
C’est donc ensuite tout à fait logiquement que la Cour de cassation a fait une stricte application de l’article 53 de la loi du 23 décembre 2000 précitée, en retenant que la demande d'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, postérieur à une déclaration de maladie professionnelle, présentée par la victime à l'encontre de son employeur, était irrecevable, s’agissant de la réparation d’un préjudice déjà indemnisé du fait de l’acceptation de l’offre du FIVA.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les dispositions spécifiques aux maladies liées à l’amiante, Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, in Droit de la protection sociale, Lexbase N° Lexbase : E3188ETA. |
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