Le Quotidien du 12 février 2025 : Comité social et économique

[Observations] Délai de contestation d’une expertise votée par un CSE s’achevant un samedi, un dimanche ou un jour férié : prorogation jusqu'au premier jour ouvrable suivant

Réf. : Cass. soc., 5 février 2025, n° 22-21.892, F-B N° Lexbase : A60726T3

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N1658B3S

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[Observations] Délai de contestation d’une expertise votée par un CSE s’achevant un samedi, un dimanche ou un jour férié : prorogation jusqu'au premier jour ouvrable suivant. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/115521242-observations-delai-de-contestation-dune-expertise-votee-par-un-cse-sachevant-un-samedi-un-dimanche-o
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par Frédéric-Guillaume Laprévote, Avocat associé, cabinet Flichy Grangé Avocats

le 10 Février 2025

► Faisant application des principes généraux de computation des délais prévus par le Code de procédure civile prorogeant les délais expirant un samedi, un dimanche ou un jour férié au premier jour ouvrable suivant à minuit, la Cour de cassation valide une assignation en contestation d’une expertise votée treize jours plus tôt par un CSE.

Tout juriste avisé sait que la première diligence à accomplir lorsqu’il reçoit une assignation consiste à vérifier si le délai du demandeur pour agir en justice a bien été respecté. En effet, l’expiration du délai pour agir en justice constitue une fin de non-recevoir prévue par l’article 122 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1414H47, qui entraîne le rejet des prétentions du demandeur, sans même un examen au fond de celles-ci par le juge. Cette fin de non-recevoir présente en outre les avantages, comme toutes les fins de non-recevoir, de pouvoir être proposée en tout état de cause, sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de la soulever plus tôt et, surtout, de pouvoir être accueillie par le juge sans que celui qui l’invoque ait à justifier d'un grief.

La question du délai pour contester les expertises votées par les institutions représentatives du personnel n’a pas donc manqué d’être posée aux juridictions.

Longtemps, aucun délai n’était prévu par le Code du travail pour contester ces expertises, ce qui pouvait sembler étonnant, notamment en matière d’expertises pour projet important et risque grave. A cette époque, des contestations de telles expertises pouvaient alors être introduites en justice plusieurs mois après le vote de la désignation d’un expert agréé par le CHSCT, voire après la réalisation de l’expertise. Certains comités ont donc eu l’idée d’essayer de faire déclarer irrecevables ces contestations, en faisant valoir qu’à défaut de délai de contestation expressément prévu par le Code du travail, elles devaient à tout le moins être introduites dans un délai raisonnable, donc bref selon eux, dès lors que le président du tribunal de grande instance devait statuer « en urgence » « en la forme des référés ». Les juridictions du fond ont rendu des décisions divergentes : certaines déclarant des contestations irrecevables en l’absence d’introduction de l’instance dans un délai raisonnable (CA Toulouse, 19 septembre 2014, n° 13/05892 N° Lexbase : A6352MW8) ; d’autres jugeant cette fin de non-recevoir inopérante en l’absence de délai de contestation prévu par le Code du travail (CA Aix-en-Provence, 18 septembre 2008, n° 07/11377 N° Lexbase : A9305HKT ; CA Aix-en-Provence, 20 décembre 2012, n° 12/01843 N° Lexbase : A5664IZS). C’est dans ce dernier sens que la Cour de cassation a jugé qu’à défaut de délai prévu par la Code du travail pour ces contestations, seule la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC pouvait être appliquée en la matière (Cass. soc., 17 février 2016, n° 14-25.358, FS-D N° Lexbase : A4685PZK).

La carence du Code du travail a été comblée par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels N° Lexbase : L8436K9C, dite loi « Travail » ou loi « El Khomri », qui a modifié l’article L. 4614-13 du Code du travail N° Lexbase : L7241K93 en vue de fixer un délai de quinze jours pour introduire les différentes contestations relatives aux expertises pour projet important ou risque grave. Ce délai d’action en justice a ensuite été étendu aux expertises comptables demandées par les CSE par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7628LGM, qui l’a en outre réduit à dix jours (C. trav., art. L. 2315-86 N° Lexbase : L1774LR7 et R. 2315-49 N° Lexbase : L0548LI7).

Comme ni l’ancien article L. 4614-13, ni les nouveaux articles L. 2315-86 et R. 2315-49 du Code du travail ne précisent l’acte interruptif de ce délai d’action en justice, le contentieux s’est ensuite porté sur ce sujet. Certaines juridictions ont considéré que ce délai était interrompu par l’enrôlement de l’assignation signifiée au défendeur, c’est-à-dire la remise de la première expédition de l’assignation au greffe, en se fondant sur les dispositions de l’ancien article 757 du Code de procédure civile, recodifié à l’article 754 N° Lexbase : L5412L8X depuis le 1er janvier 2020, qui dispose que « La juridiction [le tribunal judiciaire] est saisie, à la diligence de l'une ou l'autre partie, par la remise au greffe d'une copie de l'assignation. ». D’autres juridictions ont, au contraire, considéré que le délai d’action était interrompu par la signification de l’assignation au défendeur par l’huissier de justice, désormais dénommé commissaire de justice. C’est cette dernière solution que la Cour de cassation a approuvée puis constamment confirmée en se fondant sur les dispositions de l’ancien article 485 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8426IRI, qui disposait que lorsque le juge statuait en la forme des référés, la demande était portée par voie d'assignation à une audience tenue à cet effet aux jour et heure habituels des référés (Cass. soc., 6 juin 2018, n° 17-10.497, FS-D N° Lexbase : A7396XQY, n° 17-17.594, FS-P+B N° Lexbase : A7412XQL et n° 16-28.026, FS-P+B N° Lexbase : A7356XQI ; Cass. soc., 21 novembre 2018, n° 17-20.670, F-D N° Lexbase : A0080YNB ; Cass. soc., 6 mars 2019, n° 18-10.876, F-D N° Lexbase : A0236Y37 ; Cass. soc., 29 mai 2019, n° 17-21.556, F-D N° Lexbase : A1036ZDQ ; Cass. soc., 9 octobre 2019, n° 18-19.047, F-D N° Lexbase : A0117ZRR ; Cass. soc., 5 février 2020, n° 18-18.527, F-D N° Lexbase : A92883DD). La même solution a été récemment transposée à l’action en justice du CSE, également en procédure accélérée au fond devant le président du tribunal judiciaire, fondée sur les dispositions de l’article L. 2312-15 du Code du travail N° Lexbase : L1768LRW, visant à obtenir la condamnation de l’employeur à lui communiquer des éléments manquants pour rendre un avis éclairé et, éventuellement, proroger son délai préfix de consultation (Cass. soc., 9 octobre 2024, n° 23-11.339, F-B N° Lexbase : A290959M, rendu au visa du nouvel article 481-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2302LUS, qui dispose que « lorsqu'il est statué selon la procédure accélérée au fond, […] le juge est saisi par la remise d'une copie de l'assignation au greffe »).

Le présent arrêt apporte deux nouvelles précisions concernant la computation du délai de contestation des expertises votées par les CSE. Sur le fondement des dispositions générales des articles 641, alinéa 1er, du Code de procédure civile N° Lexbase : L6802H73 et 642 N° Lexbase : L6803H74 du même Code, la Cour de cassation juge que, d’une part, le délai des contestations des expertises votées par des CSE expire le dernier jour à vingt-quatre heures et que, d’autre part, si ce délai s'achève un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant à minuit.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour de cassation déclare recevable la contestation d’une expertise introduite par une assignation signifiée au CSE le treizième jour suivant le vote de sa délibération au motif que le dixième jour était un samedi, le onzième jour était un dimanche et le douzième jour était un jour férié (lundi de Pâques). L’expertise votée le mercredi 6 avril 2022 pouvait donc bien être contestée régulièrement par une assignation signifiée le mardi 19 avril 2022, soit treize jours plus tard.

La future publication de cet arrêt au bulletin des arrêts de la Cour de cassation permet de penser que cette solution, rendue dans le cadre d’une contestation du principe d’une expertise pour risque grave, trouvera à s’appliquer à toutes les contestations prévues par les dispositions de l’article L. 2315-86 du Code du travail N° Lexbase : L1774LR7.

Cette solution conforme aux principes généraux de computation des délais de procédure civile doit d’autant plus être approuvée que le délai prévu par l’article R. 2315-49 du Code du travail N° Lexbase : L0548LI7 en un délai extrêmement court pour réaliser l’ensemble des diligences nécessaires à l’introduction des instances concernées. Elle garantit donc le droit à un recours effectif de l’employeur devant le juge de la contestation des expertises votées par les CSE.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le recours à l’expertise par le comité social et économique, La contestation, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E2027GAC.

 

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