Le Quotidien du 27 janvier 2025 : Environnement

[Textes] La criminalité environnementale : l’adoption d’une nouvelle Directive européenne ambitieuse renforçant le droit pénal de l’environnement

Réf. : Directive (UE) n° 2024/1203 du Parlement européen et du conseil du 11 avril 2024, relative à la protection de l’environnement par le droit pénal et remplaçant les Directives 2008/98/CE et 2009/123/CE N° Lexbase : L2700MMX

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par Lamia El Bouchtioui, docteure en droit, CRDEI Bordeaux

le 23 Janvier 2025

Mots clés :  criminalité environnementale • infractions environnementales • droit pénal de l'environnement • pollution • substances chimiques


 

Le 11 avril 2024, le Parlement européen a adopté la Directive (UE) n° 2024/1203 [1] relative à la protection de l'environnement par le droit pénal, visant à renforcer l'efficacité de la lutte contre la criminalité environnementale. Cette Directive remplace les précédentes Directives de 2008 [2] et de 2009 [3] concernant la pollution causée par les navires, et impose aux États membres d'intégrer vingt nouvelles infractions environnementales dans leur législation nationale, contre neuf sous les textes antérieurs. Toutefois, le crime d'écocide, bien qu'évoqué, n'est toujours pas inscrit parmi ces infractions. La Directive doit être transposée dans les législations nationales des États membres d'ici le 21 mai 2026.

  • Contexte et objectifs de la Directive

L'adoption de l'Acte unique européen en 1986 a marqué un tournant en matière de protection de l'environnement au sein de l'Union européenne [4]. Depuis, la protection de l'environnement est devenue une priorité du droit communautaire [5], avec l'introduction d'un arsenal pénal spécifique. Cependant, la Directive de 2008, première initiative en la matière, visant à établir des règles minimales concernant les infractions et sanctions en matière environnementale, a révélé de nombreuses lacunes. Un faible nombre de condamnations, des sanctions insuffisamment dissuasives et des disparités dans son application par les États membres ont limité son efficacité.

Par ailleurs, un rapport d'Eurojust a mis en lumière l’ampleur de la criminalité environnementale, qui constitue la quatrième activité criminelle la plus répandue au monde, représentant une source majeure de financement pour la criminalité organisée, avec un profit total estimé à 260 milliards de dollars par an [6]. Face à ces constats, le Parlement européen a adopté une nouvelle Directive établissant des règles minimales pour définir les infractions et sanctions pénales visant à protéger l’environnement, tout en renforçant l’efficacité du droit européen [7].

  • La création de nouvelles infractions environnementales

L'un des axes majeurs de la Directive (UE) n° 2024/1203 réside dans l'élargissement des infractions environnementales. L'article 3 de la Directive institue vingt nouvelles infractions que les États membres sont tenus de transposer dans leur législation. Ce socle minimal peut être complété par des infractions supplémentaires décidées au niveau national [8]. Ces comportements sont qualifiés comme une infraction pénale dès lors qu’ils sont illicites et commis intentionnellement ou par négligence.

Parmi les nouvelles infractions figurent :

  • la fabrication, le stockage et l'exploitation illégale du mercure ;
  • le recyclage illégal de composants polluants des navires ;
  • le rejet illégal de substances polluantes par les navires ;
  • l'exploitation illégale des ressources en eau susceptibles de nuire à l'état écologique des masses d'eau ;
  • l'introduction ou la propagation d'espèces exotiques envahissantes ;
  • la production, l'exploitation ou le rejet de gaz à effet de serre fluorés.

Certaines infractions, comme l'introduction d'espèces exotiques envahissantes, peuvent être commises par négligence, et non seulement de manière intentionnelle [9]. Par ailleurs, la Directive prévoit des critères d’évaluation des dommages causés, notamment la réversibilité des dommages et le respect des obligations légales liées à l'activité incriminée. Elle impose également de prévoir la répression des tentatives d'infractions et définit des circonstances aggravantes, telles que la commission de l'infraction par un agent public ou la recherche de bénéfices financiers.

Ces mesures renforcent substantiellement la protection de l’environnement en harmonisant les standards et en instaurant des sanctions plus sévères.

  • Le durcissement des sanctions

Pour combler, les insuffisances de la Directive (CE) 2008/99, la Directive (UE) n° 2024/1203 introduit des sanctions plus strictes, spécifiques et détaillées, visant à garantir une réponse pénale efficace et dissuasive. En effet, l’ancienne Directive se contentait de préciser que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les infractions visées aux articles 3 et 4 soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives » [10].

En plus de fixer des peines minimales pour certaines infractions, la nouvelle Directive prévoit des peines pouvant atteindre 10 ans d’emprisonnement (pour certaines infractions causant la mort d’une personne). Elle instaure plusieurs sanctions principales et complémentaires.

À titre d’exemple, la fabrication, l'utilisation, le stockage ou l'importation illégale de mercure, si cela entraîne la mort d'une personne, est passible d'une peine d'emprisonnement d'au moins dix ans. La captation illégale de ressources en eau, causant des dommages substantiels irréversibles à la qualité du sol ou de l'eau, peut quant à elle entraîner une peine d'emprisonnement maximale de huit ans.

La Directive ajoute également des amendes pour les personnes morales, calculées en fonction de la gravité du comportement et de la situation financière de l'entité concernée. En outre, plusieurs peines complémentaires sont prévues pour les personnes physiques, comme l'exclusion d'accès à des financements publics, la suspension d'autorisations d'exploiter ou l'interdiction temporaire d'exercer des fonctions publiques. Pour les personnes morales, des sanctions telles que l'exclusion d'aides publiques, l'interdiction d'exercer certaines activités ou la fermeture de l'établissement responsable de l'infraction peuvent être appliquées.

Enfin, la Directive encourage la réparation des dommages environnementaux. Les auteurs d’infractions sont incités à restaurer l'environnement dans son état antérieur à l'infraction ou, à défaut, à verser une indemnisation. Ces mesures visent à encourager la prise de responsabilité des entreprises et des individus impliqués dans des infractions environnementales.

  • Mesures de prévention et de mise en œuvre

Outre les sanctions, la Directive introduit plusieurs mesures complémentaires visant à prévenir les infractions et à améliorer l'application des normes environnementales. Les États membres devront notamment :

  • définir des délais de prescription minimum [11] ;
  • mettre en place des outils d'enquête efficaces et proportionnés [12] ;
  • protéger les lanceurs d'alerte signalant des infractions environnementales [13] ;
  • adopter des mesures de prévention pour réduire le risque de criminalité environnementale [14];
  • organiser une formation spécialisée pour les acteurs impliqués dans les enquêtes pénales environnementales [15] ;

En ce sens, les articles 17 à 18 de la nouvelle Directive précisent que la formation régulière et spécialisée des magistrats et des enquêteurs est essentielle pour garantir l’efficacité de la lutte contre ces infractions.

  • Absence de la création d'un crime d'écocide

Bien que le crime d'écocide ait été largement discuté au niveau international et dans certains États membres, il n’est pas explicitement inscrit dans la Directive. Toutefois, l'article 3 de la Directive (UE) n° 2024/1203 évoque des « infractions qualifiées » qui couvrent certains comportements assimilables à un écocide. Il s'agit de comportements entraînant la destruction d'écosystèmes de grande envergure ou des dommages irréversibles et substantiels à la qualité de l'air, du sol ou de l'eau. Le considérant 21 de la Directive (UE) n° 2024/1203 mentionne également que ces infractions peuvent englober des actes similaires à un écocide, déjà reconnu dans certaines législations nationales et en cours de discussion dans les forums internationaux.

En conclusion, la Directive (UE) n° 2024/1203 constitue une avancée significative dans la lutte contre la criminalité environnementale, avec l'introduction de nouvelles infractions, un durcissement des sanctions et des mesures de prévention. Toutefois, l’absence de reconnaissance explicite du crime d’écocide témoigne d’un compromis, laissant la porte ouverte à des discussions futures au niveau international. Les États membres devront mettre en œuvre ces nouvelles dispositions dans une stratégie cohérente et ambitieuse, pour garantir la protection de l’environnement.

 

[1] Directive (UE) n° 2024/1203 du Parlement européen et du conseil du 11 avril 2024, relative à la protection de l’environnement par le droit pénal et remplaçant les Directives 2008/98/CE et 2009/123/CE, JO, L 2024/1203, 30 avril 2024.

[2] Directive (CE) n° 2008/99 du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, relative à la protection de l’environnement par le droit pénal N° Lexbase : L1148ICI, JO, L 328 du 6 décembre 2008.

[3] Directive (CE) 2009/123 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009, modifiant la Directive 2005/35/CE relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions en cas d’infractions N° Lexbase : L8799IEM, JO, L 280 du 27 octobre 2009.

[4] Acte unique européen, 28 février 1986.

[5] Article 3 du TUE N° Lexbase : L2130IPL ; Article 21 du TFUE N° Lexbase : L2518IPX ; Article 37 de la Charte européenne des droits fondamentaux de l’UE.

[6] Report on Eurojust’s Casework on environmental Crime, Criminal justice across borders, January 2021.

[7] Article 1 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[8] Article 3, paragraphe 5 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[9] Article 3 paragraphe 4 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[10] Article 5 de la Directive (CE) n° 2008/99.

[11] Article 11 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[12] Article 13 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[13] Article 14 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[14] Article 16 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[15] Article 18 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

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