Réf. : Cass. soc., 11 décembre 2024, n° 23-13.332, F-B N° Lexbase : A15346MR
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par Morgan Sweeney, Maître de conférences à l’Université de Dauphine-PSL, CR2D
le 09 Janvier 2025
► La Chambre sociale, dans un arrêt publié au bulletin, précise que l'employeur n'a pas à recueillir l'accord préalable du salarié protégé pour une mise à pied disciplinaire, le caractère temporaire de la sanction justifiant vraisemblablement cette précision jurisprudentielle.
Étendue du statut protecteur des salariés pourvu d’un mandat. Un salarié protégé a été mis à pied disciplinairement pour cinq jours. Les juges du fond reprochent à l’employeur de n’avoir pas informé le « salarié protégé de son droit d'accepter ou de refuser » la sanction et précisent que la mise à pied disciplinaire constitue « une modification de la rémunération du salarié sur les deux mois de juillet et août et donc de la durée du travail durant la même période » (CA Aix-en-Provence, 2 décembre 2022, n° 19/04013 N° Lexbase : A16648YB). Cette motivation justifiera la cassation de l’arrêt au visa de l’article L. 2411-1, 2° du Code du travail N° Lexbase : L8528LGX, car « la mise à pied disciplinaire du salarié protégé, qui n'a pas pour effet de suspendre l'exécution du mandat de représentant du personnel et n'emporte ni modification de son contrat de travail ni changement de ses conditions de travail, n'est pas subordonnée à l'accord du salarié ». La Chambre sociale précise l’étendue de sa jurisprudence antérieure en faveur des salariés protégés.
Tout d’abord, la Chambre sociale rappelle la raison d’être du statut protecteur : les décisions de l’employeur ne peuvent avoir pour « effet de suspendre l'exécution du mandat de représentant du personnel ». Cela implique que le salarié protégé, durant sa mise à pied, peut tout de même se rendre sur son lieu de travail pour exercer les prérogatives attachées à son mandat, notamment se rendre aux réunions du CSE. Autrement dit, le salarié protégé peut décider de prendre des heures de délégation rémunérées durant cette période.
Ensuite, les juges du fond avaient cru pouvoir s’appuyer sur une jurisprudence acquise de longue date, selon laquelle « aucune modification de son contrat de travail et aucun changement de ses conditions d'emploi ne peuvent être imposés à un salarié protégé et il appartient à l'employeur, en cas de refus du salarié, soit de le maintenir dans ses fonctions soit d'engager une procédure de licenciement sauf manifestation de volonté non équivoque de l'intéressé de démissionner » (Cass. soc., 30 avril 1997, n° 95-40.573, publié N° Lexbase : A9637AA8). Étant entendu que si le salarié protégé, comme tout salarié, peut s’opposer à une modification de son contrat, il ne peut s’opposer à un changement des conditions de travail, l’inspecteur du travail appréciant le caractère fautif et le degré de gravité d’un tel refus (CE, 7 décembre 2009, n° 301563, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4269EPS). En somme, dans la seconde hypothèse, le salarié n’acquiert pas un droit au refus du changement, mais un droit de s’opposer à sa mise en œuvre immédiate. L’objectif de cette jurisprudence constructive est d’éviter que l’employeur exploite une brèche dans le statut protecteur et ne contourne l’autorisation de l’inspection du travail. Les juges du fond avaient cru pouvoir considérer que la mise à pied disciplinaire entraine nécessairement une modification du contrat. La Chambre sociale, sans modifier le principe précédent, en précise l’étendue : la mise à pied n’emporte ni modification du contrat de travail ni même changement des conditions de travail. Il convient donc désormais de distinguer selon que la sanction prononcée par l’employeur emporte soit une modification du contrat de travail ou un changement des conditions de travail, soit n’emporte pas de tels effets. Dans la première hypothèse, l’employeur doit recueillir l’accord du salarié et dans la seconde il en est dispensé.
Dans quel cas l’employeur n’a pas à solliciter l’accord du salarié ? Convient-il de distinguer selon le degré de sévérité ou selon le caractère temporaire de la sanction ? Si l’on retient le critère de sévérité, les sanctions moins sévères comme le blâme ou l’avertissement ne modifient immédiatement ni le contrat ni les conditions de travail, contrairement à la rétrogradation ou la mutation. Si l’on retient le caractère temporaire, la répartition est différente : le blâme mentionné dans le dossier du salarié peut faire obstacle à une éventuelle promotion future et s’inscrit alors dans la durée - sauf à considérer que la prescription de trois ans (C. trav., art. L. 1332-5 N° Lexbase : L1869H94) en fait une sanction nécessairement temporaire. Il semblerait qu’il convient de privilégier le critère de la temporalité. En effet, les juges du fond invitaient à considérer que la sanction ne peut être imposée au salarié protégé « sans qu'il n'y ait lieu de distinguer selon que la modification est temporaire ou permanente ». Ils faisaient alors œuvre nouvelle. C’est manifestement à cette lecture que la Chambre sociale s’oppose.
La Chambre sociale desserre la contrainte sur l’employeur pour les sanctions ayant un caractère temporaire, le dispensant de recueillir l’accord du salarié protégé avant leur mise en œuvre. N’est-ce pas au prix d’un affaiblissement du statut protecteur ?
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La sanction disciplinaire, La mise à pied disciplinaire, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E2776ETY. |
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