Le Quotidien du 26 décembre 2024 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La liquidation judiciaire n’entraîne plus clôture du compte courant

Réf. : Cass. com., 11 septembre 2024, n° 23-12.695, FS-B N° Lexbase : A53445YL

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

le 18 Décembre 2024

Mots-clés : liquidation judiciaire – effets - clôture du compte courant (non) – possibilité de poursuite de la caution (non)

La liquidation judiciaire n’entraîne pas la clôture du compte courant. Il en résulte que le créancier ne peut poursuivre la caution du solde débiteur du compte, en se prévalant de la liquidation judiciaire du débiteur, faute de clôture du compte.


 

Selon une jurisprudence bien établie, la caution du solde débiteur d’un compte courant ne peut être poursuivie par le créancier qu’après clôture du compte courant [1]. C’est pourquoi, faute de clôture du compte et d’exigibilité de la créance de solde débiteur de compte courant, en cas de redressement judiciaire, la caution ne peut être poursuivie [2]. Le fait que le juge-commissaire ait autorisé l’administrateur judiciaire à solliciter la clôture du compte et à obtenir l'ouverture d'un autre compte « redressement judiciaire » est indifférent, car du fait de la continuation de la convention de compte courant et de découvert, c’est juridiquement le même compte courant qui a continué de fonctionner après l'ouverture du redressement judiciaire [3].

Selon une jurisprudence posée sous l’empire des législations précédentes, l’ouverture de la liquidation judiciaire (liquidation judiciaire immédiate) ou le prononcé de la liquidation judiciaire (liquidation judiciaire sur conversion d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire) entraînait la clôture du compte [4]. Il en résultait que le solde de ce compte devenait immédiatement exigible contre le débiteur et autorisait la poursuite immédiate de la caution [5].

C’est sur le fondement de cette jurisprudence que, en l’espèce, une banque avait cru devoir assigner une caution.

En l’espèce, la société Robert Beranger a ouvert un compte courant auprès de la société Banque Marze aux droits de laquelle vient la société Banque populaire du Sud (la banque).

Le 7 février 2018, la société MV Finances s'est portée caution de tous les engagements de la société Robert Beranger envers la banque à hauteur d'un montant de 150 000 euros.

La société Robert Beranger a été mise en redressement puis liquidation judiciaire les 11 juillet 2018 et 10 juillet 2019.

Après avoir déclaré une créance de 48 333,54 euros au titre du solde débiteur du compte, la banque a assigné en paiement la caution.

La cour d’appel de Grenoble ne va pas faire droit à sa demande [6]. La banque va alors se pourvoir en cassation en se prévalant de la jurisprudence de la Cour de cassation posant en règle que la liquidation judiciaire entraîne clôture du compte courant, d’où il résulte que la liquidation judiciaire autorise la poursuite de la caution au titre du solde débiteur du compte courant.

Pourtant, la Cour de cassation ne va pas faire droit au moyen soulevé par la banque et, en conséquence, rejeter le pourvoi.

Pour ce faire, la Cour de cassation va constater que « Selon l'article L. 641-11-1 N° Lexbase : L3298IC7, I, alinéa 1er, introduit dans le Code de commerce par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 N° Lexbase : L2777ICT, nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture ou du prononcé d'une liquidation judiciaire.  Ce texte, entré en vigueur le 15 février 2009, a transposé à la liquidation judiciaire les règles identiques résultant de l'article L. 622-13 du Code de commerce N° Lexbase : L7287IZW édictées pour la sauvegarde et rendues applicables au redressement judiciaire par l'article L. 631-14 de ce code N° Lexbase : L9175L7X ».

La Chambre commerciale de la Cour de cassation va ensuite rappeler sa propre jurisprudence en la matière, en se référant à un arrêt de sa chambre en date 13 décembre 2016 [7], qui avait jugé que le compte courant d'une société étant clôturé par l'effet de sa liquidation judiciaire, il en résultait que le solde de ce compte était immédiatement exigible de la caution.

La Cour de cassation relève que la solution ainsi posée en 2016 avait fait l’objet de vives critiques doctrinales, la qualifiant de contra legem. En effet, la doctrine la plus autorisée [8] considérait que « cette solution est contraire, non seulement aux principes régissant la continuation des contrats en cours, mais aussi au texte clair de l’article R. 641-37 N° Lexbase : L1065HZH [9] qui prévoit le maintien des comptes pendant six mois au moins, si bon semble au liquidateur, ou à l’administrateur s’il en a été désigné : ce texte énonce en effet que le liquidateur "peut faire fonctionner sous sa signature les comptes bancaires du débiteur pendant un délai de six mois à compter du jugement prononçant la liquidation ou, au-delà, pendant la durée du maintien de l’activité autorisée par le tribunal [….] L’utilisation ultérieure de ces comptes est subordonnée à l’autorisation du juge-commissaire délivrée après avis du ministère public" (art. R. 641-37). Rien ne justifie donc le maintien de cette jurisprudence et la rupture du crédit du fait de la clôture du compte ».

Voici ce qui a conduit la Cour de cassation à abandonner, par cet arrêt du 11 septembre 2024, sa propre jurisprudence et à procéder à un authentique revirement qu’elle signale ainsi dans son arrêt : « Le compte courant non clôturé avant le jugement d'ouverture constitue un contrat en cours, de sorte qu'en l'absence de disposition légale contraire, les textes précités [C. com., art. L. 641-11-1, I, alinéa 1er], lui sont applicables ». Or, selon l’article L. 641-11-1, I, alinéa 1er, du Code de commerce, « nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture ou du prononcé d'une liquidation judiciaire ». Par conséquent, et contrairement à la solution antérieurement retenue en la matière, la Cour de cassation ne pouvait continuer à soutenir, sans fondement juridique tiré d’un texte, que la liquidation judiciaire entraînait résolution d’un certain type de contrat, à savoir le compte courant. 

Le message est entendu. Il est très lourd de conséquences pour les banquiers. Cela signifie, en effet, que le compte courant continue à fonctionner même en liquidation judiciaire. Si, au compte est attachée une ouverture de crédit, explicite ou tacite, celle-ci est continuée de plein droit en liquidation judiciaire ce qui autorise, en théorie, le liquidateur à utiliser la ligne de crédit complètement. Il est cependant douteux que, en dehors d’une poursuite de l’activité, un liquidateur utilise la faculté qui lui est ainsi offerte. En effet, il créerait des dettes couvertes par les dispositions de l’article L. 641-13 N° Lexbase : L1065HZH, en tant que dettes nées de la continuation d’un contrat, éligibles comme telles au traitement préférentiel réservé aux créanciers postérieurs et cela pourrait lui être reproché s’il ne parvenait pas ensuite à rembourser le banquier. Mais la solution doit sans doute être nuancée s’il est question d’une liquidation judiciaire avec poursuite d’activité. Nul doute alors que cela devrait faciliter la tâche du liquidateur ou de l’administrateur judiciaire confronté aux besoins de la poursuite provisoire de l’activité.

Si le liquidateur ne prend pas l’initiative de résilier spontanément le contrat comme il en a la faculté en vertu du 3° du III de l’article L. 641-11-1 du Code de commerce, les banquiers devront donc prendre le soin de dénoncer les concours en utilisant les dispositions de l’article L. 313-12, alinéa 2, du Code monétaire et financier N° Lexbase : L2507IX7 [10] et, en se fondant sur le fait que si le débiteur est en liquidation judiciaire, sa situation est irrémédiablement compromise. Cela les autorisera alors à rompre immédiatement les concours, et par conséquent les ouvertures de crédit non encore utilisées, sans avoir à respecter le délai de préavis mentionné à l’alinéa 1er de l’article L. 313-12 du même code [11].

Pour autant, le contrat de compte courant, quant à lui, ne sera pas résilié. Si le solde débiteur de ce contrat est cautionné, il est impératif que le banquier se préoccupe de le faire résilier pour que la dette de solde débiteur devienne exigible contre la caution. Il faudra que le banquier utilise les dispositions de l’article L. 641-11-1 du Code de commerce pour qu’il soit procédé à la clôture du compte par l’effet d’une résiliation. Pour cela, l’établissement de crédit devra mettre en demeure le liquidateur judiciaire d’avoir à opter sur la continuation du compte bancaire. S’il n’y a pas de poursuite d’activité, logiquement, le liquidateur ne devrait pas opter pour la continuation du contrat et cela entraînera résiliation.

En revanche, si le liquidateur opte pour la continuation du contrat, il sera important pour le banquier de dénoncer immédiatement l’ouverture de crédit adossée au compte courant, sur le fondement de l’existence d’une situation irrémédiablement compromise du débiteur placé en liquidation judiciaire. À défaut, s’il advenait que l’utilisation de cette ouverture ne soit pas remboursée au banquier en tant que créance postérieure couverte par les dispositions de l’article L. 641-13, la responsabilité du banquier pourrait être recherchée par la caution. En effet, lorsque cette dernière sera poursuivie postérieurement à la clôture du compte, elle pourrait reprocher au banquier d’avoir maintenu ses concours en faveur d’un débiteur en situation irrémédiablement compromise, en ce qu’il faisait l’objet d’une liquidation judiciaire. La solution n’est cependant pas certaine. En effet, l’article L. 650-1 du Code de commerce N° Lexbase : L3503ICQ pose un principe d’irresponsabilité du dispensateur de crédit assorti de trois exceptions : « Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci ». Or, même si l’esprit de ce texte est sans doute de ne s’intéresser qu’aux concours consentis avant le jugement d’ouverture d’une procédure collective, la lettre du texte ne pose pas de distinction selon que le concours est antérieur ou postérieur au jugement d’ouverture. Le doute est donc permis !


[1] Cass. com., 16 avril 1996, n° 94-14.250 N° Lexbase : A1401ABI.

[2] Cass. com., 3 janvier 1995, n° 90-19.832, publié N° Lexbase : A3766AB4, JCP E, 1995, I, 457, n° 16, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; JCP 1995, I, 3851, n° 8, obs. Ph. Simler et Ph. Delebecque ; Rev. proc. coll., 1995, 324, n° 3, obs. Kerckhove – Cass. com., 2 mars 1999, n° 96-16.938, inédit N° Lexbase : A6944AHN, Act. proc. coll., 1999, n° 103, obs. C. Regnaut-Moutier ; Rev. proc. coll., 2000, 55, n° 3, obs. Kerckhove – Cass. com., 15 avril 2008, n° 07-12.590, F-D N° Lexbase : A9685D7T.

[3] Cass. com., 11 juin 2003, n° 00-12.382, F-D N° Lexbase : A7092C88 – Cass. com., 16 décembre 2008, n° 07-21.764, F-D N° Lexbase : A9120EBE, Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 34, note R. Bonhomme ; P.-M. Le Corre, in Chron., janvier 2009, n° 334 N° Lexbase : A9120EBE

[4] Cass. com., 19 mai 2004, n° 02-18.570, FS-P+B N° Lexbase : A2732DC8, JCP E, 2004. 1292, n° 5, obs. M. Cabrillac – Cass. com., 14 mai 2002, n° 98-21.521, FS-P N° Lexbase : A6695AYM, Act. proc. coll., 2002-12, n° 155, note J. Ch. Boulay ; Rev. proc. coll., 2003, p. 240, n° 7, obs. Ph. Roussel Galle – Cass. com., 20 janvier 1998, n° 95-17836, RTD Com., 1998, 393, obs. M. Cabrillac.

[5] Cass. com., 13 décembre 2016, n° 14-16.037, F-P+B N° Lexbase : A2282SXS, D., 2017, 2002, note P. Crocq ; Act. proc. coll., 2017/2, comm. 30, note P. Petit ; Gaz. Pal., 21 février 2017, n° 8, 32, note M.-P. Dumont-Lefrand ; RTD civ., 2017, 196, n° 2, note P. Crocq ; Rev. proc. coll., mars/avril 2017, comm. 27, note Ch. Gijsbers et comm. 64, note Fl. Reille ; Dr. & pat., mai 2017, n° 269, 92, note A. Aynès ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, janvier 2017, n° 495 N° Lexbase : N6216BW7.

[6] CA Grenoble, 19 janvier 2023, n° 21/01643 N° Lexbase : A53832BY.

[7] Cass. com., 13 décembre 2016, n° 14-16.037, préc.

[8] F. Pérochon, La continuation des concours bancaires en faveur d’une entreprise en difficulté, in « Contentieux bancaire des procédures collectives », éd. Bruylant, coll. Procédure(s), p. 54, n° 38.

[9] Et des textes qui l’ont précédé.

[10] « L'établissement de crédit ou la société de financement n'est pas tenu de respecter un délai de préavis, que l'ouverture de crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s'avérerait irrémédiablement compromise ».

[11] « Tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours […] ».

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