Le Quotidien du 1 janvier 2025 : Licenciement

[Focus] Articulation entre congé de reclassement et priorité de réembauche : une réponse jurisprudentielle qui n’est pas nécessairement à l’avantage des salariés

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[Focus] Articulation entre congé de reclassement et priorité de réembauche : une réponse jurisprudentielle qui n’est pas nécessairement à l’avantage des salariés. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/114021648-focus-articulation-entre-conge-de-reclassement-et-priorite-de-reembauche-une-reponse-jurisprudentiel
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par Clémence Favre, Avocat of Counsel, Factorhy Avocats

le 18 Décembre 2024

Mots-clés : rupture du contrat de travail • licenciement économique • PSE • priorité de réembauche • congé de reclassement

L’article L. 1233-45 du Code du travail fait courir la priorité de réembauche d’un an dont peuvent bénéficier les salariés licenciés pour motif économique à compter de la rupture de leur contrat de travail. En théorie, la règle est simple.  Elle s’avère en pratique plus complexe lorsque le salarié est licencié dans le cadre d’un PSE, et bénéficie d’un congé de reclassement. La Cour de cassation a tranché en 2019 [1], en indiquant que la possibilité pour le salarié de bénéficier de la priorité de réembauche, dans ce cas de figure, court à compter de la fin de son congé de reclassement. Qu’en est-il alors des embauches réalisées pendant la période de congé de reclassement, donc juste après le PSE : peuvent-elles s’opérer sans qu’il soit nécessaire de les proposer aux salariés licenciés qui ont déjà indiqué qu’ils souhaitaient déjà bénéficier de leur priorité de réembauche ? Oui, nous répondent sans aucune ambiguïté les juges d’appel, à l’occasion de multiples décisions rendues au cours de ces dernières années.


Lorsqu’un ou plusieurs licenciements économiques sont mis en œuvre au sein d’une entreprise, le sujet de la priorité de réembauche fait rarement débat :

  • les représentants du personnel s’y intéressent peu, dans la mesure où elle ne donne pas lieu à négociations particulières : il s’agit de la simple application d’une règle légale ;
  • l’employeur garde simplement en tête qu’il doit informer de l’existence de cette priorité de réembauche au moment de la rupture du contrat de travail pour motif économique du ou des salariés concernés (c’est-à-dire, selon les cas, au moment du licenciement, de la proposition du contrat de sécurisation professionnelle ou de la signature de la convention de départ volontaire), en leur précisant les modalités « d’activation » de cette priorité (c’est au salarié qui a quitté l’entreprise de signaler qu’il souhaite avoir l’information des postes disponibles, et non à son ancien employeur de prendre l’initiative de lui transmettre cette information) ;

Étant précisé que la priorité de réembauche ne s'exerce qu'à l'égard de l'entreprise ayant prononcé la rupture du contrat : c'est l'entreprise et non le groupe qui a la qualité d'employeur vis-à-vis de ses salariés ; dès lors, le salarié ne peut prétendre être réemployé dans une société du groupe autre que celle qui l'a licencié [2].

  • les salariés font rarement jouer cette priorité de réembauche (soit qu’ils aient déjà trouvé une nouvelle activité professionnelle, soit qu’ils ne souhaitent pas, tout simplement, revenir dans l’entreprise).

On observe pourtant, au fil de décisions rendues par plusieurs juridictions d’appel depuis 2020, qu’une situation particulière fait débat : la mise en œuvre de cette priorité de réembauche pour les salariés bénéficiant d’un congé de reclassement.

Pour rappel :

Dans le cadre d’une procédure de « grand » licenciement économique collectif (cas général : lorsqu’au moins dix ruptures de contrat de travail sont envisagées sur une période de trente jours), l’entreprise est tenue de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et, dans le cadre de ce PSE, doivent être fixées les règles relatives au congé de reclassement des salariés dont le contrat de travail est rompu pour motif économique (qu’il s’agisse d’un licenciement, ou d’un départ volontaire). Ce congé de reclassement est d’une durée comprise entre quatre et douze mois, pouvant être portée à vingt-quatre mois en cas de formation de reconversion professionnelle [3].

1. Un éclairage de la Cour de cassation sur la date de départ de la priorité de réembauche quand le salarié bénéficie d’un congé de reclassement

Le Code du travail nous indique que la priorité de réembauche court à compter de la date de rupture pour motif économique du contrat de travail des salariés. La Cour de cassation a dû préciser ce qu’il fallait, selon elle, entendre par « date de rupture de contrat » lorsque le salarié bénéficiait d’un congé de reclassement.

L’article L. 1233-45 du Code du travail N° Lexbase : L5792I3W dispose :

« Le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai.

Dans ce cas, l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification. En outre, l'employeur informe les représentants du personnel des postes disponibles.

Le salarié ayant acquis une nouvelle qualification bénéficie également de la priorité de réembauche au titre de celle-ci, s'il en informe l'employeur ».

Mais qu’entend-on par date de rupture de contrat de travail ? On observe, sur ce point, une divergence entre l’interprétation « classique » de ce que la Cour de cassation considère être la date de rupture d’un contrat de travail, et l’interprétation spécifique qu’elle en fait concernant l’article L. 1233-45 du Code du travail, dans le cas spécifique où la rupture du contrat de travail pour motif économique a été suivie d’un congé de reclassement. En effet :

Dans un cadre général de rupture du contrat de travail (qu’il s’agisse ou non d’une rupture pour motif économique) :

  • En cas de licenciement :

Selon une jurisprudence constante, la date de rupture du contrat de travail d’un salarié licencié est la date d’envoi de la lettre de licenciement :

« la rupture du contrat de travail se situe à la date où l'employeur a manifesté sa volonté d'y mettre fin, c'est-à-dire au jour de l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant la rupture » [4].

Après la rupture du contrat en tant que telle, les relations contractuelles se poursuivent jusqu’à la fin du préavis, ou, potentiellement, du congé de reclassement (dans le cadre d’un licenciement pour motif économique).

  • En cas de rupture amiable (rupture conventionnelle ou départ volontaire) :

La logique est la même : la rupture intervient à la date où les parties actent, d’un commun accord, leur volonté de mettre fin au contrat de travail, même si les relations contractuelles se poursuivent encore jusqu’à la date fixée, là encore d’un commun accord, par les parties.

Ainsi, à titre d’exemple, dans les conventions de départ volontaire, on distingue habituellement :

  • la date de rupture du contrat de travail qui intervient le jour de la signature de la présente convention de départ volontaire ;
  • la date de départ effective du salarié de l’entreprise (c’est-à-dire le jour où il s’arrête effectivement de travailler) ;
  • la date de fin des relations contractuelles qui intervient à la date du terme du congé de reclassement si le salarié a opté pour ce dispositif.

Pour autant, et sans respecter la lettre du texte, les juges font, en dernier état, débuter la possibilité pour les salariés de bénéficier de la priorité de réembauche à compter de la fin du congé de reclassement.

Précisément :

  • après avoir d’abord indiqué de façon sibylline (car non éclairante sur la situation d’un congé de reclassement dépassant le préavis) :

« Le délai d'un an, pendant lequel le salarié bénéficie de la priorité de réembauchage, court à compter de la date à laquelle prend fin le préavis, qu'il soit exécuté ou non » [5] ;

  • la Cour de cassation a, pour la première fois, précisé en 2019 sa compréhension de l’article L. 1233-45 du Code du travail en cas de congé de reclassement :

« Le délai d'un an pendant lequel le salarié bénéficie de la priorité de réembauche court à compter de la date à laquelle prend fin le préavis, qu'il soit exécuté ou non ; que selon l'article L. 1233-72 du même code, le congé de reclassement est pris pendant le préavis, que le salarié est dispensé d'exécuter ; que lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement » [6].

Mais si l’on pousse le raisonnement un peu plus loin :

2. Un vide juridique sur les embauches pendant le congé de reclassement

La loi évoque simplement un délai d’un an pour la priorité de réembauche à compter de la rupture du contrat, sans préciser les modalités d’application en cas de préavis/congé de reclassement.

On l’a vu, à date (nous ne sommes jamais à l’abri d’un revirement), la Cour de cassation, en contradiction manifeste avec sa propre jurisprudence relative à la définition de la rupture de contrat, a indiqué clairement (arrêt de 2019 ci-dessus évoqué) que la priorité de réembauche ne débute qu’à l’issue du congé de reclassement. On comprend que la logique qui sous-tend le raisonnement de la Cour de cassation est de rester plus favorable aux salariés dont le congé de reclassement peut être plus ou moins long. De cette façon :

  • les salariés cherchent à se reclasser pendant le congé de reclassement ;
  • en cas d’aléa ultérieur, ils ont toujours la possibilité de « faire jouer » la priorité de réembauche pour éventuellement revenir dans l’entreprise.

Mais qu’en est-il des postes disponibles pendant la période de congé de reclassement des salariés ?

Faut-il les proposer aux salariés dont le contrat est effectivement déjà rompu, qui auraient éventuellement indiqué souhaiter faire valoir leur priorité de réembauche pendant leur congé de reclassement ?

Il semble que la Cour de cassation n’a pas pris toute la mesure de cette problématique, qui peut conduire, potentiellement, à une situation défavorable aux salariés.

Mais les juges d’appel y ont déjà répondu, en appliquant à la lettre la position de la Cour de cassation. On l’observe au fil de décisions rendues au cours de ces dernières années par différentes juridictions :

« Xxxx fait valoir que la société a manqué à son obligation de lui assurer une priorité de réembauche en ne lui proposant pas un certain nombre de postes ayant le fait l'objet d'une offre d'emploi ou d'une embauche.

La société soutient que la priorité de réembauche de Xxxx ne pouvait s'exercer qu'à l'issue de son congé de reclassement soit le 10 février 2016 et qu'elle n'a procédé à aucun recrutement susceptible de rentrer dans le champ de cette priorité ainsi qu'elle offre de le démontrer par la production des extraits de registre d'entrée et de sortie du personnel. […]

En l'espèce, le congé de reclassement a pris fin le 10 février 2016 de sorte que le salarié ne peut effectivement se prévaloir des embauches qui ont eu lieu antérieurement à cette date au soutien de sa demande ».

« Xxxx a manifesté son souhait de bénéficier de la priorité de réembauchage par courrier reçu par la SAS SFR Distribution le 18 septembre 2017. Toutefois, à cette date, il était encore en congé de reclassement.

Dès lors que son contrat de travail n'était pas rompu et qu'il faisait encore partie des effectifs de la SAS SFR Distribution, il ne peut reprocher à cette dernière de ne pas avoir donné de suite à sa priorité de réembauchage ».

« Le congé de reclassement de Mme [B] a commencé à courir le 29 mai 2016, à l'issue du délai de réponse de huit jours suivant la présentation de la lettre de licenciement, le 21 mai 2016. Il a été suspendu durant la période d'essai de Mme [B] chez son nouvel employeur, du 22 juin au 21 août 2016. Le délai de préavis de Mme [B], qui était de trois mois, a pris fin en conséquence le 1er novembre 2016, comme mentionné sur le bulletin de paie de l'intéressée, versé aux débats et non contesté. La date de rupture du contrat de travail au sens de l'article L. 1233-45 doit dès lors être fixée au 1er novembre 2016, peu important que le licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse. Le droit à priorité de réembauche ayant pris naissance à cette date, la cour ne peut se fonder sur des éléments antérieurs pour apprécier si la priorité de réembauche a été respectée ».

« Il se déduit de ces stipulations de l'accord collectif du 19 octobre 2016 et de la convention de rupture conclue par M. [C] que la priorité de réembauche d'une durée d'un an offerte à ce dernier ne court qu'à compter de la date de la rupture du contrat de travail, soit au terme du congé de reclassement intervenu le 30 juin 2018, et à condition d'en avoir fait la demande au cours de ce même délai.

Or, au soutien de sa demande de dommages-intérêts pour violation de la priorité de réembauche, M. [C] invoque, d'une part, sa demande de bénéfice de cette priorité faite le 25 avril 2017, et d'autre part, des postes disponibles en juin 2017, soit des faits intervenus pendant le congé de reclassement et avant la rupture du contrat de travail. En outre, M. [C] n'allègue pas l'existence de postes disponibles après la rupture du contrat de travail.

Dans ces conditions, M. [C] n'est pas fondé à invoquer une violation de la priorité de réembauche.

Il y a donc lieu de débouter M. [C] de sa demande de dommages-intérêts à ce titre ».

En conclusion :

La position de la Cour de cassation est à ce jour claire (même si elle peut toujours évoluer), et les cours d’appel l’appliquent strictement, peu important :

  • les implications pour les salariés concernés ;
  • l’incohérence de fond consistant à priver des salariés déjà licenciés, ou dont le départ volontaire a déjà été acté, d’une possibilité de retrouver un emploi sur un poste disponible chez leur employeur (alors même, d’ailleurs, qu’ils viennent de partir, ce qui rendrait leur retour d’autant plus facile).

Autrement dit : tant que les salariés sont en congé de reclassement, l’entreprise n’a pas de comptes à rendre sur ses postes disponibles ni auprès du CSE, ni des salariés qui auraient éventuellement fait (déjà) valoir leur souhait de bénéficier de la priorité de réembauche.

3. Quelques rappels, en dernier lieu, sur les conséquences d’une réembauche d’un salarié/d’un non-respect de la priorité de réembauche par une entreprise

En cas de réembauche d’un salarié dont le contrat de travail a été rompu pour motif économique, cela semble évident, mais il est toujours bon de le rappeler : un salarié éventuellement réembauché ne doit pas restituer les indemnités perçues dans le cadre de son départ.

En cas de non-respect de la priorité réembauche par une entreprise (C. trav., art. L. 1235-13 N° Lexbase : L8059LGL et L. 1235-14 N° Lexbase : L8058LGK) :

  • si le salarié a au moins 2 ans d'ancienneté dans une entreprise d'au moins 11 salariés, l’employeur peut être condamné à verser au salarié une indemnité au moins égale à 1 mois de salaire ;
  • si le salarié a moins de 2 ans d'ancienneté ou est employé dans une entreprise de moins de 11 salariés, l'indemnisation est fonction du préjudice subi.

[1] Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-18.653, F-P+B N° Lexbase : A1614Z8B.

[2] Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 06-43.879, F-D N° Lexbase : A6065D4E ; Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-22.265, FS-D N° Lexbase : A8618RRM.

[3] C. trav., art. R. 1233-31 N° Lexbase : L5760L44.

[4] Cass. soc., 6 mai 2009, n° 08-40.395, F-P+B N° Lexbase : A7619EGB ; Cass. soc., 7 mars 2012, n° 10-17.090, FS-P+B N° Lexbase : A3732IEX ; Cass. soc., 28 septembre 2022, n° 21-15.606, F-D N° Lexbase : A08468MB.

[5] Cass. soc., 27 novembre 2001, n° 99-44.240, publié N° Lexbase : A2931AXT.

[6] Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-18.653, F-P+B N° Lexbase : A1614Z8B.

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