Le Quotidien du 5 août 2024 : Santé et sécurité au travail

[Jurisprudence] Le licenciement du salarié inapte pour origine partiellement professionnelle

Réf. : Cass. soc., 7 mai 2024, n° 22-10.905, F-B N° Lexbase : A61005A8

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par Mathilde Caron, Maître de conférences HDR en droit privé à l’Université de Lille, ULR 4487 - CRDP

le 02 Août 2024

Mots-clefs : inaptitude • accident du travail • licenciement

Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement.


 

Le droit de la santé au travail s’applique à tout employeur, quelle que soit la forme juridique de la structure choisie pour exercer l’activité de l’entreprise. Parfois, en plus du Code du travail et du Code de la Sécurité sociale, d’autres codes interviennent, comme notamment en l’espèce le Code rural. En effet, ce dernier, qui comporte un livre VII consacré aux « dispositions sociales », articles L. 711-1 à L. 783-1 N° Lexbase : L1351AND, est ici applicable, car l’employeur est une société coopérative agricole. Il s’agit de structures, distinctes des sociétés civiles et des sociétés commerciales, qui ont pour objet l’utilisation en commun par des agriculteurs de tous moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité [1]. Ces sociétés coopératives participent du secteur de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), elles partagent des valeurs et sont engagées sur les principes d’utilité sociale, d’ancrage territorial, de gouvernance démocratique et de lucrativité limitée.

Une société coopérative agricole emploie un salarié, chauffeur poids lourd en CDI temps plein, qui a été victime d’un accident de travail le 18 avril 2012. Il a été placé en arrêt de travail pour accident du travail du 18 avril au 25 décembre 2012, et en arrêt de travail pour maladie du 19 décembre 2012 au 1er septembre 2013 puis du 26 septembre 2013 au 31 mai 2015. Une visite de reprise a été organisée le 30 mars 2015. Le médecin du travail a conclu à un avis d’inaptitude et le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 5 mai 2015. Le salarié a alors contesté ce licenciement.

Les juges ont précisé l’applicabilité des règles protectrices des victimes d’AT/MP en cas de licenciement du salarié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, le 7 mai 2024, a confirmé sur ce point la décision rendue par la cour d’appel de Montpellier le 24 novembre 2021, en précisant que les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement. Elle estime que la cour d’appel a légalement justifié sa décision en constatant que l’employeur avait connaissance du fait que l’accident du travail était à l’origine du premier arrêt de travail du salarié et que ce dernier n’avait jamais repris le travail depuis la date de l’accident du travail jusqu’à son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

L’inaptitude du salarié, dont l’origine peut être professionnelle (II), est prononcée après un processus médical précis (I)

I. Le constat médical de l’inaptitude

Deux médecins entrent en jeu en cas d’accident de travail pour constater l’état de santé du salarié, le médecin généraliste pour se prononcer sur la nécessité d’arrêter le travail et effectuer le lien avec l’accident de travail (A) et le médecin du travail pour évaluer la reprise du travail et l’aptitude du salarié (B).

A. L’arrêt de travail pour cause d’accident de travail préalable à l’avis d’inaptitude

Le salarié, en l’espèce, a été placé par son médecin en arrêt de travail pour cause d’accident du travail, ce qui signifie que le contrat de travail est suspendu et que les règles protectrices en cas d’AT/MP s’appliquent. Ce premier arrêt a été suivi de deux arrêts de travail pour cause de maladie de droit commun. Le salarié n’a donc jamais repris le travail depuis son premier arrêt, et les juges du fond nous apprennent que chaque arrêt met en évidence des pathologies liées à l’accident du travail initial.

Au plan procédural, pour que l’accident soit bien reconnu de nature professionnelle, la CPAM ne doit pas refuser de le prendre en charge, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. Par ailleurs, rien n’indique que l’employeur ait émis des réserves sur ce point. Cela signifie donc que toutes les parties avaient bien conscience du lien entre le travail et l’accident, conformément à l’article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4725MHH selon lequel « est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».

Au volet droit de la Sécurité sociale qui vient d’être évoqué s’ajoute le volet droit du travail qui concerne le médecin du travail et l’avis d’aptitude ou d’inaptitude lors de la visite de reprise du travail du salarié.

B. Le constat d’inaptitude par le médecin du travail

En l’espèce, à l’issue de ses arrêts de travail, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail lors de la visite de reprise. La décision antérieure rendue par la cour d’appel de Montpellier le 24 novembre 2021 reprend le contenu de l’avis d’inaptitude. Ainsi, les termes employés par le médecin du travail sont les suivants : « l’état de santé actuel de X ne lui permet plus d’exercer son activité à son poste de travail. Son maintien dans l’emploi présente un danger immédiat pour sa santé et sa sécurité dans le cadre des dispositions de l’article R. 4624-31 du Code du travail (C. rur., art. R. 717-48). En conséquence il est inapte à son poste à compter de ce jour à l’issue d’une seule visite médicale ».

Il est précisé que l’inaptitude est prononcée à l’issue d’une seule visite médicale, car le texte en vigueur à l’époque des faits prévoyait que « le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail que s'il a réalisé : 

  • 1° une étude de ce poste ; 
  • 2° une étude des conditions de travail dans l'entreprise ; 
  • 3° deux examens médicaux de l'intéressé espacés de deux semaines, accompagnés, le cas échéant, des examens complémentaires. 

Lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers ou lorsqu'un examen de pré-reprise a eu lieu dans un délai de trente jours au plus, l'avis d'inaptitude médicale peut être délivré en un seul examen » [2].

Aujourd’hui, cette procédure est abandonnée, le médecin du travail ne peut plus émettre un avis d’inaptitude du salarié qu’après avoir suivi trois phases qui consistent en une visite médicale suivie d’une étude de poste et un échange avec le salarié et l’employeur [3].

La Cour de cassation précise encore en l’espèce que les règles protectrices s’appliquent « quel que soit le moment où elle (l’inaptitude) est constatée ou invoquée ». Le lien entre le travail et l’inaptitude n’est donc pas soumis à un délai particulier par rapport à l’événement « accident du travail » ayant emporté le premier arrêt de travail. 

Pour que les règles protectrices s’appliquent, le salarié doit avoir une inaptitude, constatée par le médecin du travail, ce qui est bien le cas en l’espèce, mais aussi, cette inaptitude doit avoir une origine professionnelle.

II. L’origine professionnelle de l’inaptitude

L’origine de l’inaptitude n’est pas nécessairement exclusivement professionnelle pour emporter l’application des règles protectrices (A) ; en revanche, il est impératif que l’employeur ait eu connaissance de cette origine professionnelle (B).

A. Le caractère partiel du lien professionnel avec l’inaptitude

Selon la Cour de cassation, ces règles protectrices s’appliquent « dès lors que l’inaptitude du salarié […] a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie […] ». Elle confirme en l’espèce sa jurisprudence antérieure. Le lien entre l’accident du travail et l’avis d’inaptitude n’est que partiel en ce sens que les arrêts de travail pour cause de maladie de droit commun ayant suivi l’arrêt de travail pour cause d’accident du travail, même s’ils rapportent tous un lien entre la pathologie et l’accident, mettent aussi en évidence d’autres pathologies [4]. Il n’est toutefois pas indispensable que le salarié soit en arrêt pour cause d’accident du travail au moment de l’avis d’inaptitude. Par ailleurs, les arrêts pour cause de maladie de droit commun demeurent en l’espèce tous en lien avec cet accident. Le caractère « au moins partiel » du lien ne fait donc ici aucun doute. L’origine professionnelle de l’inaptitude a bien été démontrée et la preuve contraire n’a pas été apportée. Dans l’hypothèse inverse, la Cour de cassation aurait pu conclure à l’absence de lien entre l’avis d’inaptitude et l’accident du travail [5].

Au caractère professionnel de l’inaptitude s’ajoute celui de la connaissance de cette origine par l’employeur.

B. La connaissance de l’origine professionnelle par l’employeur

La Cour de cassation indique que l’employeur devait « avoir connaissance de cette origine (professionnelle) au moment du licenciement ». Elle précise préalablement que les règles protectrices s’appliquent « quel que soit le moment où elle (l’inaptitude) est constatée ou invoquée ». Or l’employeur conteste, dans le cadre du contentieux lié au licenciement du salarié, l’origine professionnelle de l’inaptitude. Il y a donc deux temps dans le raisonnement, celui du médecin du travail, qui peut constater l’inaptitude et la lier à l’accident du travail à un moment espacé/éloigné par rapport à la survenue de l’accident du travail (v. supra, I, B), et le temps de l’employeur qui doit avoir connaissance de ce lien au moment où il prononce le licenciement, autrement dit au stade de la rupture du contrat.

La Cour de cassation est constante dans sa logique, elle reprend une formule ancienne de 2006 [6], réaffirmée en 2010 puisqu’alors elle indiquait que « les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement ; que l'application de l'article L. 1226-10 du Code du travail N° Lexbase : L8707LGL n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre l'accident du travail et l'inaptitude ; qu'ayant relevé que le salarié avait bénéficié d'un arrêt de travail, le 22 juillet 2002 pour rechute d'accident du travail initial et qu'il n'avait pas repris le travail ensuite jusqu'à l'engagement de la procédure de licenciement pour inaptitude, la cour d'appel, qui a constaté que l'inaptitude avait au moins partiellement pour origine l'accident du travail et que l'employeur en avait connaissance au moment du licenciement, a légalement justifié sa décision » [7]

L’enjeu est ici indemnitaire, car le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis d’un montant égal à celui de l’indemnité légale de préavis et à une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l’indemnité légale de licenciement ou, si cela est plus favorable, à l’indemnité conventionnelle de licenciement [8].

► Quel impact sur la pratique ? Quand un salarié est en arrêt de travail à la suite d'un accident du travail, et qu’il n’a jamais repris le travail depuis celui-ci (même si les autres arrêts sont prononcés pour maladie de droit commun, mais sont tous tout de même en lien avec la pathologie issue de l’accident), l’employeur doit appliquer les règles protectrices applicables aux victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle dès lors qu’il connaît l’origine du premier arrêt de travail.

[1] C. rur., art. L. 521-1 N° Lexbase : L4237AEN.

[2] Version issue du décret n° 2012-135, du 30 janvier 2012, relatif à l’organisation de la médecine du travail N° Lexbase : L9907IRD.

[3] C. trav., art. L. 4624-4 N° Lexbase : L7399K9W et R. 4624-42 N° Lexbase : L2257LCL, dans sa version actuelle.

[4] Cass. soc., 13 octobre 2021, n° 20-20.194, F-D N° Lexbase : A3302498  ; Cass. soc., 11 janvier 2017, n° 15-20.492, F-D N° Lexbase : A0819S8T.

[5] Cass. soc., 24 janvier 2024, n° 22-13979, F-D N° Lexbase : A22242HT.

[6] Cass. soc., 17 janvier 2006, n° 04-41.754, F-P+B N° Lexbase : A4099DMR.

[7] Cass. soc., 9 juin 2010, n° 09-41040, F-P N° Lexbase : A0183EZS.

[8] C. trav., art. L. 1226-14 N° Lexbase : L1033H97.

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